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Musique

Jeff Beck, un guitar hero si discret

Véritable légende de la musique électrique, le Britannique s’est éteint mercredi à l’âge de 78 ans


 Jean-Philippe Bernard

Jean-Philippe Bernard

13 janvier 2023 à 02:01

Hommage » Comme la plupart des souvenirs, celui-ci est suffisamment précis pour qu’on le décline au présent: dans le cadre d’une séance du ciné-club scolaire, un enseignant, dans l’incapacité d’allumer sa pipe tellement il est agité, se réjouit de faire découvrir à ses élèves turbulents un chef-d’œuvre du septième art.

Voilà à présent plus d’une heure que ces derniers sommeillent devant une copie délavée de Blow-Up de Michelangelo Antonioni. L’affaire prend cependant une autre dimension lorsque le héros, un photographe de mode perturbé, entre dans un club où se produisent les Yardbirds. Soudain, un grésillement s’échappe de l’ampli du guitariste. Contrarié, le musicien, un beau gosse à la chevelure filasse vêtu à la mode de Carnaby Street, fracasse son instrument puis balance les débris sur la foule. C’est l’émeute: dans un rugissement de tonnerre, Jeff Beck, l’enragé en question, vient de réveiller figurants et spectateurs.

Sacrée promotion

Un pur moment d’électricité hors contrôle qui tourne en boucle depuis qu’on a appris l’impensable: Jeff Beck est mort mercredi après avoir contracté une méningite bactérienne quelques semaines après une tournée en compagnie de Johnny Depp, tournée passée par Montreux l’été dernier. On a beau savoir que les gladiateurs soniques sont immortels, ça fait mal.

Impossible pourtant de parler de Jeff Beck au passé. L’artiste, né le 24 juin 1944 à Wallington dans le Grand Londres, demeure l’un des guitaristes les plus créatifs et brillants de l’histoire. L’égal d’un Eric Clapton, d’un Jimmy Page ou d’un David Gilmour. A quelques pas seulement de l’intouchable Hendrix. Un guitar hero malgré lui.

Durant toute sa carrière, Jeff Beck va autant se soucier des feux de la gloire que de sa première paire de chaussettes.

Très tôt pourtant, le monde lui tend les bras. En l’entendant un soir jouer au sein des Tridents, Eric Clapton lâche: «Ce mec a tout, moi je ne suis pas fait pour ce métier.»

Après avoir repris ses esprits, celui que ses fans surnomment «Dieu» va cependant proposer à Beck de prendre sa place au sein des Yardbirds. Une sacrée promotion! Sous l’œil du chanteur Keith Relf, Jeff expérimente les sonorités indiennes et transforme la formation blues rock en bombardier psychédélique capable de laminer les charts avec des merveilles hallucinées telles que Heart Full of Soul ou Shapes of Things. Un vrai triomphe artistique qui ne l’empêche pas dès 1967 de céder sa place dans les Yardbirds à Jimmy Page, un ami d’enfance avec lequel il écoutait des disques de blues et jouait de la guitare durant de longs après-midi.

Déjà à l’abri du besoin mais peu intéressé par les mondanités, contrairement à la plupart de ses confrères, il réunit cependant autour de lui en 1968 une formation de rêve composée notamment de Rod Stewart au chant, de Ronnie Wood (futur Rolling Stones) à la basse. Le Jeff Beck Group, c’est son nom, décolle immédiatement grâce aux albums Truth (1968) et Beck Ola (1969).

C’est durant l’été 1969 que Beck va réussir son plus bel acte manqué. Alors que son groupe est programmé au festival de Woodstock, il quitte les Etats-Unis et repart vivre en Angleterre chez sa mère! Ses amis Rod et Ronnie lui en voudront longtemps mais durant toute son existence, Jeff Beck assumera sa décision: «Je n’étais pas prêt pour tout ce cirque.»

Du hard rock à la soul

A défaut de devenir une superstar, l’homme va être sacré «légende de la six cordes» par un public et par ses pairs, incapables de lui trouver le moindre défaut. Un instrumentiste horrifié à l’idée de se répéter mais heureusement capable de passer du hard rock à la soul (c’est en jammant avec lui que Stevie Wonder composera Superstition) ou même de renaître en prince du jazz fusion grâce à l’album Blow By Blow (1974).

Une passion pour les moteurs, les bolides customisés (Hot Rods) notamment, aussi importante que celle qu’il éprouve pour la musique selon ses dires, l’empêchera sans doute d’enregistrer par la suite des choses aussi fondamentales que ses disques des années 60 et 70. Sur scène en revanche, Jeff Beck restera ce musicien unique que même le plus inconscient des «tripatouilleurs» de guitare ne songerait à imiter. Un sorcier, doux rebelle capable de plier les notes, d’en faire des bouquets de fleurs sauvages ou de les changer en serpents cosmiques en route vers l’éternité.

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