Midori, une carrière à contretemps
Objet d’un culte récent, la fascinante percussionniste japonaise jouera mardi au Bad Bonn, à Guin
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Jean-Philippe Bernard
15 septembre 2023 à 15:25
On ne va pas se mentir: sur le papier, un instrument, le marimba, ça ne fait pas rêver. Sans doute parce qu’on a trop vu de gens danser jusqu’à l’épuisement au son de Sous les sunlights des tropiques, ce tube des années 1980 de Gilbert Montagné servi avec un solo de marimba à nous faire regretter le bon temps de la valse musette. Un cruel manque de chance en vérité, car à peu près au même moment, Through the Looking Glass, un album signé Midori Takada, sortait du côté de l’Empire du Soleil levant. Le premier chef-d’œuvre d’une artiste à découvrir mardi 19 septembre prochain sur la scène du Bad Bonn, à Guin. Un ovni sonique d’une pureté cristalline, à mi-chemin entre la musique contemporaine et l’ambient chère à Brian Eno, qui aurait pu nous convaincre, après une seule écoute, de ranger ce cousin latino du xylophone aux côtés du Fender Rhodes, de la Gibson Les Paul ou de la basse Rickenbacker 4003 au rayon des instruments de première nécessité!
Las, lorsque Through the Looking Glass apparaît chez les disquaires en 1983, les acheteurs de cette œuvre d’une «zénitude» absolue vont se compter sur les doigts d’une seule main. Un coup dur pour Midori Takada, artiste déjà confirmée à l’époque. Née en 1951 d’une mère professeure de piano et d’un père enseignant la littérature anglaise, Midori se passionne très tôt pour la musique coréenne et le folklore indonésien dont l’épure la captive. Dans les années 1970, après avoir obtenu un diplôme à l’Université des Arts de Tokyo, elle se laisse néanmoins tenter par les sirènes électriques comme tant de personnes de sa génération. Elle sévit ainsi durant quelque temps au sein d’un trio de rock progressif qui tente de cloner les sonorités pompeuses des célèbres Emerson, Lake and Palmer. Une aberration sonique dont elle préfère aujourd’hui encore taire le nom. Au milieu des seventies, elle trouve toutefois une occupation plus en rapport avec ses aspirations en intégrant carrément le Philharmonique de Berlin. En Europe, elle va croiser de nombreux musiciens, africains et coréens dont les musiques vont nourrir son imaginaire et l’amener à fonder MKWAJU, un ensemble world capable de rassembler les vibrations de divers continents.
Triomphe tardif
Et donc, en 1983, l’artiste, alors âgée de 32 ans, se lance dans une carrière solo. En seulement trois jours, Midori Takada enregistre quatre compositions, longues plages contemplatives. La musicienne joue de tous les instruments, essentiellement des percussions, batterie, vibraphone, gong et bien entendu marimba. La légende prétend même qu’elle y joue de la bouteille de coca, ce qui au final n’aurait rien d’étonnant tant cet album, non content d’être d’une douceur et d’une beauté inouïes, ne ressemble à aucun autre.
Tandis que son chef-d’œuvre va sombrer dans l’oubli, Midori Takada, plutôt que de sombrer dans la mélancolie, va poursuivre une carrière de percussionniste admirée dans les cercles de la musique contemporaine. Huit autres albums verront le jour entre divers projets pour la danse ou le théâtre. Autant de trésors perdus (dont au moins un second chef-d’œuvre authentique baptisé Lunar Cruise et publié en 1990) qui le resteront jusqu’à la décennie passée. Alors que ces enregistrements restaient introuvables, le turbulent et efficace label genevois We Release Whatever the Fuck We Want Records fondé par Stephan Armleder et Olivier Ducret, de Mental Groove, met la main sur les bandes de Through the Looking Glass. Les compères, qui sont des mordus de musique japonaise, mettent le paquet et l’album ressort, servi par un son magnifique en vinyle et en CD. Il devient l’une des plus belles ventes du label en 2017! Depuis, les Genevois, qui s’appuient sur une diffusion planétaire, ont réédité avec succès d’autres albums majeurs de Midori Takada. A 72 ans, cette dernière jouit enfin d’une exposition discographique digne de son esprit d’ouverture et de son génie mélodique. Preuve que la beauté finit toujours par triompher de toutes les adversités.
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