Un Davos fracturé
La réunion reportée du World Economic Forum débute lundi, écho d’un monde écartelé comme jamais
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Yves Genier
20 mai 2022 à 04:01
Démondialisation » C’est lundi prochain que s’ouvre pour quatre jours, avec quatre mois de retard, l’édition 2022 du World Economic Forum (WEF). Considérée comme le reflet de la mondialisation depuis sa création en 1971, la rencontre se tiendra cette année en l’absence d’importantes délégations: celle des Russes, pour cause de guerre en Ukraine et celle des Chinois, pour cause de pandémie; et sans président américain. Le nombre même de participants inscrits, un peu plus de 1400, moins de la moitié de ce qu’il était en 2020, dernière édition d’avant la pandémie.
L’édition 2022 du forum sera donc le reflet de la démondialisation en cours. Les thèmes officiels sont le climat et l’environnement, l’équité en économie, l’amélioration des compétences en emploi et dans la pratique des affaires ou encore la santé. Mais l’intitulé des conférences laisse une large place aux questions plus immédiates: la guerre en Ukraine et ses conséquences sécuritaires et économiques, ainsi que la persistance de la pandémie de Covid-19 et ses conséquences, principalement la continuation de la fermeture de la Chine et l’accumulation de goulets d’étranglement qui en résulte.
Le WEF va ainsi se faire l’écho des fracturations en cours: aucune figure russe de la politique ou des affaires n’a été invitée. En revanche, la délégation ukrainienne est particulièrement fournie, emmenée par le vice-premier ministre Mykhailo Fedorov, son collègue des Affaires étrangères Dmytro Kuleba, et le maire de Kiev Vitali Klitschko. Le président Volodymyr Zelensky aura l’honneur d’une intervention par visioconférence lors de la cérémonie d’ouverture lundi à 11 h 15, immédiatement après les discours de bienvenue du président et fondateur du forum Klaus Schwab et celui du président de la Confédération Ignazio Cassis.
De même, la délégation officielle chinoise est réduite à sa plus simple expression: un seul représentant, en l’occurrence l’envoyé spécial pour le changement climatique. Le monde des affaires de la République populaire sera néanmoins bien représenté, particulièrement par des invités de Hong Kong, ce qui limite, sur le plan économique, le sentiment de fracture. Cela limitera quelque peu l’impact de la délégation indienne, qui sera fournie.
Six conseillers fédéraux
Aussi, les délégations seront plus que jamais dominées de façon écrasante par les Européens et les Américains. La Suisse sera représentée par six conseillers fédéraux, la grande absente étant Karin Keller-Sutter, cheffe du Département de justice et police. Néanmoins, aucune rencontre formelle n’est prévue entre eux et un représentant de la Commission. Mais des surprises, ou des échanges discrets, sont toujours possibles entre les couloirs, les salles de conférence du Centre des congrès et des hôtels des délégations.
Il est prévu que le chancelier allemand Olaf Scholz et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen notamment prennent la parole en personne, de même que John Kerry, ancien secrétaire d’Etat américain et actuel représentant spécial du président pour le climat. Sa présence, couplée à celle de son alter ego chinois, et celle de Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne chargé du Green Deal, laisse augurer quelques avancées dans ce dossier entre ces trois blocs économiques.
La guerre en Ukraine et les multiples défis qu’elle pose, comme le rapide renchérissement des matières premières et de l’énergie ainsi que les inconnues sécuritaires, seront évidemment dans toutes les têtes. Mais le programme des discussions met aussi l’accent sur le réchauffement climatique, la pandémie, la réorganisation du monde du travail, même si ces préoccupations se trouvent brutalement reléguées dans l’esprit des participants.
Le WEF ne s’est jamais distingué par ses capacités d’anticipation. Cette année ne déroge pas à la règle. C’est en décembre dernier, à peine plus d’un mois avant la date prévue en janvier, que le report de sa tenue a été décidé, sous la menace du variant omicron dont la dangerosité était alors mal connue.
Manque de vision
En janvier dernier, le WEF publiait aussi son annuel Global Risk Report («Rapport des risques globaux») dans lequel ne figure absolument pas le danger d’une agression militaire russe contre le voisin ukrainien, alors que la question était quotidiennement abordée sur la scène publique, et qu’un autre rapport de la même nature dressé par le groupe de réflexion Eurasia Group rangeait explicitement une telle possibilité au cinquième rang.
Enfin, en janvier encore, paraissait un ouvrage critique signé par un habitué des rencontres davosiennes: The Davos Man, («L’homme de Davos»). Son auteur, le journaliste Peter Goodman, correspondant économique du New York Times à Londres, soulignait l’hypocrisie de nombre de participants de haut rang venus témoigner de leur sollicitude pour la planète et la lutte contre les inégalités tout en dissimulant leur fortune dans les paradis fiscaux. Peter Goodman ne figure pas sur la liste des participants de cette édition.
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