Seconde Guerre mondiale » Le mois dernier, Angela Merkel a reconnu la responsabilité historique de l’Allemagne nazie en Grèce. Rendant hommage aux victimes, devant la tombe du soldat inconnu à Athènes, elle a affirmé que l’Allemagne assumait «complètement la responsabilité des crimes»: «Nous savons quelle souffrance nous avons infligée à la Grèce durant la période du national-socialisme», a-t-elle admis, avant de s’entretenir avec le président de la République hellénique, Prokopis Pavlopoulos, et le premier ministre, Alexis Tsipras.
La chancelière allemande s’est en revanche bien gardée d’évoquer un remboursement des 280 milliards d’euros réclamés par la Grèce au titre de réparation de guerre. Le sujet controversé est pourtant revenu plusieurs fois sur le tapis ces dernières années, alors que la Grèce est en proie à une dette exorbitante, proche de 180% de son PIB, et qu’elle doit subir une cure d’austérité au coût économique et social élevé.
Blitzkrieg d’enfer
Pour comprendre cette revendication grecque au montant astronomique, un rappel historique s’impose. Le 6 avril 1941, après avoir résisté aux assauts italiens lancés dès octobre 1940, la Grèce est envahie par l’Allemagne depuis la Bulgarie. En trois semaines, menant une Blitzkrieg d’enfer, la Wehrmacht triomphe de l’armée grecque, largement inférieure en nombre et en équipement. La capitale tombe le 27 avril, les Britanniques réussissant à évacuer 50 000 hommes.
Voyant débarquer les Allemands sur l’esplanade de l’Acropole, un garde en fustanelle amène le drapeau grec qui flottait au vent et se drape dedans. L’officier allemand, très grave, lui tend aussitôt le sien, frappé du swastika noir. «Alors d’un bond, le soldat grec grimpe sur le parapet, et tandis que des coups de feu éclatent, il chancelle, saute et s’écrase 60 m plus bas, recouvert du linceul qu’il s’est choisi», raconte l’historien François de Lannoy. L’opération Marita s’achève le lendemain avec la prise de Kalamata, au sud du Péloponnèse.
800 villages décimés
Le pays est alors divisé en trois zones contrôlées par l’Allemagne, la Bulgarie et l’Italie, jusqu’au retrait des troupes italiennes en 1943 et à la retraite des Allemands en octobre 1944. Cette occupation sera une terrible épreuve pour la population. Selon l’historien Mark Mazower, la Grèce est le pays qui a le plus souffert du joug nazi, après la Russie et la Pologne. Il a subi «un pillage systématique de ses ressources» et connu de terribles privations, entraînant une grande famine faisant plus de 300 000 morts (lire ci-contre).
Réagissant aux actions de guérilla orchestrées par la Résistance, les troupes d’occupation ont aussi mené de nombreuses expéditions punitives. Environ 800 villages ont été complètement décimés et 70 000 personnes assassinées.
Le pays a aussi été forcé de participer à l’effort de guerre nazi en «prêtant» 476 millions de Reichsmark, soit l’équivalent de 10 milliards d’euros actuels. «Ils ont pris les réserves d’or de la Banque de Grèce, ils ont pris l’argent et ne l’ont jamais rendu! C’est un sujet qu’il faudra bien aborder un jour ou l’autre», a dénoncé en 2010 Theodoros Pangalos, alors vice-premier ministre grec, lors d’un passage en Allemagne. Sans être entendu.
Pourtant, la question des réparations de guerre a été clairement réglée lors de l’Accord de Londres sur les dettes extérieures allemandes, en 1953. Les Etats ont décidé de ne pas surcharger l’Allemagne exsangue pour ne pas répéter les erreurs du Traité de Versailles (1919). La somme due à la Grèce a alors été arrêtée à 7,1 milliards de dollars. Un premier montant de 115 millions de marks (65 millions de dollars) a été payé en 1960, puis le remboursement a été suspendu en attendant que les deux Allemagnes s’entendent dans le cadre d’un «traité de paix». Mais lors de la réunification, l’ancien chancelier Helmut Kohl a réussi à évacuer le problème, estimant qu’il était trop tard pour une réparation.
Héros de la Résistance
Le combat du «héros grec» Manolis Glezos n’y a rien changé. Ce fameux résistant avait participé à la création d’un groupe antifasciste en 1939, travaillé pour la Croix-Rouge durant le conflit, réussi à dérober le drapeau nazi sur l’Acropole et été plusieurs fois arrêté et torturé par les Allemands. Il a porté son combat de politicien de gauche jusqu’au Parlement européen, obtenant le soutien de Daniel Cohn-Bendit. En vain. Aujourd’hui, la dette est estimée à 280 milliards d’euros. Et Berlin fait toujours la sourde oreille…
François de Lannoy, Opération Marita, La guerre dans les Balkans - Yougoslavie et Grèce, Editions Heimdal, 1999.
Mark Mazower, Dans la Grèce d’Hitler, Editions Les Belles Lettres, Paris 2002.
Joëlle Dalègre, La Grèce depuis 1940, Editions L’Harmattan, 2002.
La Grande Famine, une tragédie irréparable
Plus de 300 000 Grecs sont morts de faim lors de l’occupation du pays par les puissances de l’Axe.
La Grande Famine de Grèce a été très sévère durant l’hiver 1941-1942 dans les villes et les Cyclades, puis s’est étendue dans les zones montagneuses, jusqu’en 1944. Selon diverses sources, elle a fait plus de 300 000 victimes, voire 500 000 selon l’antenne grecque de la BBC, soit bien davantage que l’ensemble des victimes de guerre et de déportation juive recensées durant toute l’occupation du pays. L’historienne Joëlle Dalègre estime que 65 à 70% des victimes du conflit sont mortes des suites de la disette, de malnutrition ou de maladies. Ces chiffres sont vraisemblablement sous-estimés, note l’historien Mark Mazower: les familles ne déclaraient pas leurs défunts pour garder leurs tickets de rationnement.
La famine a été provoquée volontairement par les puissances de l’Axe. Dès la partition du pays en trois zones (italienne, allemande et bulgare), ils font main basse sur les stocks agricoles, vident systématiquement les commerces de gros et de détail, réquisitionnent tous les moyens de transport, y compris les vélos et les bêtes de somme, saisissent les réserves de carburant, confisquent les bateaux et interdisent la pêche en mer. La tragédie est encore renforcée par le blocus naval complet des forces alliées et par le marché noir, qui devient le seul moyen de ravitaillement dans la capitale. Si les Italiens tentent de maintenir des rations de pain (moins de 100 grammes par habitant en novembre 1941), les nazis n’ont aucun état d’âme, comme l’écrit Hermann Göring dans une lettre aux commissaires du Reich en août 1942: «Je m’en moque, quand vous dites que les gens sous votre administration meurent de faim. Qu’ils périssent, ainsi aucun Allemand ne sera affamé.»
Après la levée du blocus britannique en février 1942, sous la pression de l’opinion publique au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, l’approvisionnement reprend lentement. La Croix-Rouge distribue des rations de lait aux enfants et leur prodigue des services médicaux. La Grande Famine restera toutefois une plaie ouverte dans la mémoire grecque. Une douleur qu’aucune réparation financière ne pourra jamais guérir. PFY
* * *
Radio: Ve: 13h30
TV: Grèce, chronique d’un ravage (1929-1955) Di: 21h05 Lu: 23h35