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Reportage. A Cana, la guerre rouvre les plaies des massacres précédents

Au sud du Liban, la ville de Cana a beaucoup souffert des guerres avec Israël. Au cours des derniers mois, elle a de nouveau essuyé des bombardements. Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël, une partie des 20 000 habitants tentent de retrouver leur vie d’avant, au milieu des décombres.

Pour beaucoup d’habitants de Cana, au Sud-Liban, le retour au village a laissé place à la découverte de leur maison détruite.Keystone

Amélie David, Cana

Amélie David, Cana

10 décembre 2024 à 15:30

Temps de lecture : 4 min

Cana a été une ville fantôme pendant deux mois. Mais aujourd’hui, la vie semble peu à peu y reprendre ses droits. Depuis le 27 novembre, jour du début du cessez-le-feu, les habitants qui avaient fui la guerre reviennent peu à peu. Les routes qui traversent le village sont bordées par des bâtiments détruits et de la poussière grisâtre. Il y a toujours cette odeur, âpre et toxique.

Dans le centre de la ville, un groupe d’hommes discute devant le café de Hussein Ammas. Un bombardement israélien a détruit sa maison située en face de son commerce. «Ma maison, celle de mon fils et celle de ma voisine… Tout a été détruit. Nous avons loué un appartement de manière temporaire», explique-t-il, en faisant couler un café dans une tasse en carton.

Le sexagénaire est parti environ 10 jours après le début des intenses bombardements à la mi-septembre et est revenu le premier jour de la trêve. «Je voudrais réparer, mais tout est parti. Il n’y a plus rien», lâche-t-il. Sur le site de son ancienne maison, les citernes d’eau, les meubles, les vêtements ont été pulvérisés. «J’ai vécu trois guerres ici. Nous nous sommes habitués à la guerre. Que nous mourions aujourd’hui ou dans 100 ans, c’est la même chose», lâche le commerçant.

Se relever et reconstruire

Quelques mètres plus loin, une pelleteuse est à l’arrêt près d’un immeuble effondré. Tous les bâtiments de la rue ont été rasés. Dans un magasin de vêtements, quelques tuniques tiennent encore sur les présentoirs. Myriam Hassan Kreish, qui se fait appeler Mimo, tente d’enlever une partie de la poussière et essaie de dégager les décombres, de sauver ce qui peut l’être encore. «Le revenu est important bien sûr, mais rien ne se compare à la vie humaine. Ce qui est vraiment déchirant, ce sont les jeunes martyrs et les blessés», explique celle qui a grandi ici.

Myriam et sa famille ont fui au nord du Liban, à Anfeh, pour trouver refuge loin des bombardements. Pour la commerçante, l’heure est maintenant aux réparations et au deuil. «Les priorités sont d’enterrer les morts et de sortir les gens des décombres. Ici, nous sommes des gens forts. Nous tombons, mais nous nous relevons et nous reconstruisons encore mieux», affirme-t-elle avec fierté, en tapant d’un geste sec une tunique sur un portant.

Depuis le café de Hussein, la route serpente au milieu de la ville détruite. Le long de celle-ci se trouve la mairie, dont le bâtiment est quasiment intact. Pour le maire de la ville, Mohammed Kresht, cette guerre a été plus intense et plus forte que les précédentes. Selon lui, environ 15 000 habitations ont été totalement détruites et au moins une quinzaine de personnes sont mortes, parmi celles restées par choix ou parce qu’elles n’avaient pas d’endroits où se réfugier.

«En 2024, nous avons vécu une guerre d’une brutalité sans précédent. Rien n’a été aussi féroce que cette guerre: tous les moyens d’armement interdits internationalement ont été utilisés: le phosphore blanc, les bombes à fragmentation…» explique l’édile, installé derrière son bureau.

Résignés et fatalistes

Les habitants continuent de déblayer, de retirer les décombres et de sauver ce qu’ils peuvent de leurs habitations. D’après le maire, l’aide du gouvernement se met en place doucement, mais il ne sait pas quand elle arrivera à Cana. Mohammed Kresht a organisé une campagne de nettoyage avec les habitants. Avec son équipe, il s’attelle aussi à la restauration du réseau d’eau et d’électricité.

Les habitants disent attendre peu de leur gouvernement. Ils espèrent simplement que l’armée de leur pays pourra se déployer au sud et que les Israéliens se retireront. Certains estiment tout de même que seul le Hezbollah peut continuer de les défendre.

Certains estiment tout de même que seul le Hezbollah peut continuer de les défendre

Un avion, sans doute israélien, passe au-dessus de la ville. Quelques minutes plus tard, un drone bourdonne. Plus au sud du Liban, selon différents médias, l’armée israélienne a violé à plus d’une centaine de reprises les accords de cessez-le-feu. Une dizaine de personnes sont mortes dans des combats dans le sud depuis son entrée en vigueur. Le 6 décembre, le gouvernement a approuvé un plan pour le redéploiement de l’armée dans le sud du Liban. Dans la même journée, une nouvelle personne a été tuée dans une frappe de drone israélien qui a visé une moto à Deir Seriane.

Trois guerres

Tous sont aussi marqués par les actions passées commises dans leur ville. Hussein et Myriam sont des enfants de Cana. Ils ont vécu dans cette ville les affres de la guerre au cours des dernières décennies. Dans leurs discours, ils évoquent toujours le souvenir des précédents massacres qui ont marqué l’histoire de cette ville. Cana a été martyr trois fois. La première fois en 1996. La deuxième fois en 2006. La troisième fois, cette année.

En 1996, 106 personnes, dont des femmes et des enfants qui s’étaient réfugiés dans un camp de la Finul, ont été massacrées par l’armée israélienne. 10 ans plus tard, lors de la guerre de 33 jours entre le Hezbollah et Israël en juillet 2006, 38 personnes sont mortes sous les bombes israéliennes. Les massacres restent gravés dans la mémoire collective des habitants.

En reprenant la route vers l’est de la ville, un mémorial du massacre de 1996 a été érigé. Là se trouvent les noms de certaines des victimes du massacre. Depuis peu, les habitants y ont ajouté ceux des victimes de 2024. Tous ceux-là ont été tués par l’armée israélienne. Un traumatisme de plus pour cette petite ville du Liban, aussi citée dans la Bible pour ses noces.


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