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Duel à couteaux tirés

Le bilan calamiteux de Jair Bolsonaro profite à Lula en vue de l’élection présidentielle de dimanche


 Thierry Jacolet

Thierry Jacolet

30 septembre 2022 à 04:01

Brésil » «Si Dieu le veut, nous gagnerons dès le premier tour. L’autre camp ne réunit pas le peuple dans la rue, comment gagnerait-il dès le premier tour? Ça me paraît difficile… non: impossible. Point final.» Ce message définitif posté dimanche dernier sur Telegram par Jair Bolsonaro sera-t-il à ranger parmi les fake news qui auront circulé sur les réseaux sociaux avant les élections générales de dimanche prochain au Brésil?

Les 156 millions d’électeurs décideront du sort qu’ils réservent au président sortant face au revenant Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula. L’élection présidentielle se résume à un duel à couteaux tirés. Aucune «troisième voie» n’a émergé parmi les neuf autres candidats tant les deux bêtes de scène ont dominé les débats.

A 76 ans, l’ancien président Lula a de bonnes chances de revenir par la grande porte au palais de l’Alvorada, la résidence officielle des chefs d’Etat brésiliens. Peut-être même sans attendre le deuxième tour du 30 octobre. Eclairages.

1 Pourquoi ce retour en grâce de Lula?

Lula revient de loin. Condamné à 12 ans et un mois de prison en 2018 pour corruption dans l’affaire Petrobras, le chef de file du Parti des travailleurs (PT, gauche) a été libéré en 2019, en raison de la partialité du juge et parce qu’il n’avait pas pu épuiser toutes les voies de recours. Cette réhabilitation l’autorise à briguer un troisième mandat de président après 2003-2010.

C’est même un retour en grâce tant il caracole en tête dans les sondages: il obtient 47% des intentions de vote selon le dernier pointage de Datafolha, contre 33% pour Jair Bolsonaro et 7% pour le candidat de centre gauche Ciro Gomes. «C’est le résultat d’une convergence gauche, centre et vert», observe Jacques Marcovitch, professeur émérite de l’Université de Sao Paulo et fin connaisseur de la politique brésilienne.

2 Quels électeurs votent Lula?

L’ex-président est resté très populaire, en particulier dans les couches modestes de la population. Quand ils regardent derrière Lula, les partisans de Jair Bolsonaro ne voient que des casseroles en lien avec son passé judiciaire, tandis que ses soutiens n’ont d’yeux que pour son long passé politique à défendre les inégalités sociales et salariales.

«Lula a son principal bastion parmi les électeurs à faible revenu de la région du nord-est du Brésil», appuie Jacques Marcovitch. «Cela représente 66 millions de travailleurs qui gagnent jusqu’à l’équivalent de 450 francs par mois, à ajouter au soutien de l’électorat féminin et jeune. Quant aux plus faibles revenus et aux sans-emploi, qui représentent 10 millions d’habitants, ils ont bénéficié de filets de sécurité sociale bien structurés mis en place sous son gouvernement.»

A cette population pauvre, il faut ajouter «la classe moyenne endettée et une partie de l’intelligentsia qui avaient pris de la distance avec le PT en raison des affaires de corruption mais qui reviennent depuis vers Lula», complète Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC), à Sciences Po, Paris.

De son côté, Jair Bolsonaro peut compter sur un socle solide de 25-30% des électeurs, composé d’irréductibles partisans adhérant à sa défense des valeurs ultraconservatrices autour de la famille, la patrie ou Dieu. Ce dirigeant sexiste, homophobe et raciste a le soutien de la fameuse BBB (bœuf, balle, Bible): la fine fleur de l’agronégoce, les militaires ou les partisans de la légalisation du port d’armes et les évangélistes.

3 Lula profite-t-il du bilan de Bolsonaro?

Destruction, population en détresse, autorités impuissantes, violence… Le digest de «San Andrea»? Non, le bilan du mandat de Jair Bolsonaro qui a aussi tout du mauvais film catastrophe. Un bilan tellement calamiteux qu’il profite à Lula. «Une partie de la population va voter contre le président en raison de la dégradation de la situation au niveau sanitaire, économique, social, environnemental et diplomatique», souligne Gaspard Estrada. «Ce sera un vote sanction avec des circonstances aggravantes: ce dirigeant d’extrême droite a saccagé la démocratie brésilienne.»

Façon Trump, ce rouleau compresseur s’est appliqué à détruire ce qui a été construit depuis le retour de la démocratie après la longue séquence de dictature (1964-1985). Une élection de ce nostalgique du régime des généraux accélérerait le basculement du Brésil vers une «démocrature». «Cette élection est importante, car c’est l’avenir de la démocratie au Brésil qui est en jeu», insiste Gaspard Estrada.

4 Et les conditions de vie des Brésiliens?

Entre l’ère Lula et les années Bolsonaro, il n’y a pas photo. Si la politique sociale était la boussole de l’ex-syndicaliste entre l’éradication de la faim et de l’exclusion sociale, le président actuel a saboté ses laborieux efforts. Les conditions de vie se sont gravement détériorées sous Bolsonaro. D’où son impopularité croissante au sein d’une partie des Brésiliens qui se sent abandonnée face à l’insécurité du moment: paupérisation, criminalité sans fin, crise sanitaire, inflation… Exemple parlant, l’insécurité alimentaire qui frappe aujourd’hui près de 33 millions de Brésiliens, alors que Lula avait réglé le problème.

Entre sa politique clientéliste, une impéritie notoire et une diatribe incendiaire, Jair Bolsonaro a embrasé le Brésil. Tout en militarisant l’appareil d’Etat – près de 6000 cadres de l’armée occupent aujourd’hui des fonctions publiques –, l’ancien capitaine d’artillerie a facilité la délivrance des permis de port d’armes qui a explosé de 474% en quatre ans. Par ailleurs, sa non-gestion de la pandémie de Covid-19 a laissé sur le carreau plus de 686 000 Brésiliens.

Autre hécatombe, celle en cours en Amazonie. Depuis son arrivée au pouvoir, la déforestation annuelle moyenne de cette région a grimpé de 75% par rapport à la décennie précédente. Illustration de cette prédation irresponsable: en juin 2021, le ministre de l’Environnement Ricardo Salles a dû jeter l’éponge, parce qu’il trempait dans des trafics de bois. La corruption est plus difficile à déraciner au Brésil qu’un hévéa en Amazonie.

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