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La menace n’est pas nouvelle mais s’est concrétisée avec la nomination, le 30 janvier dernier, du président du Zimbabwe Robert Mugabe à la tête de l’Union africaine. Le doyen des chefs d’Etat du continent a annoncé que l’Afrique se retirerait de la Cour pénale internationale (CPI) dès le prochain sommet de l’Union africaine, prévu en juin à Johannesburg.
Le président Mugabe propose, comme alternative, la création d’une Cour africaine de justice pour juger les affaires criminelles actuellement soumises à la Cour de La Haye. Virulent, il n’hésite pas à qualifier la CPI de «très raciste», affirmant que cette «Cour internationale de l’Europe occidentale (…) méprise le monde africain en général». De fait, toutes les enquêtes ouvertes par la CPI depuis son entrée en fonction en 2002 concernent des Africains, les autres régions du monde ne faisant l’objet pour l’instant que d’examens préliminaires (lire ci-dessous).
Un million sur la table
Le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, qui vient d’échapper en décembre 2014 à des poursuites de la CPI - il avait été suspecté d’avoir planifié des actes de violence qui avaient fait 1200 morts après les élections de 2007 -, a d’ores et déjà promis un million de dollars pour mettre en place cette nouvelle institution, selon «La Libre Belgique». Interrogé en février par Radio France Internationale (RFI), le président Kenyatta a précisé: «Nous sommes clairs sur le fait qu’en tant que continent, nous ne sommes pas pour l’impunité. Mais nous avons besoin d’une institution qui soit capable de répondre aux besoins de l’Afrique sans aucune influence venant d’où que ce soit.» Son pays, le Kenya, compte parmi les 34 Etats d’Afrique à être parties au Statut de Rome, qui régit la Cour pénale internationale. Le Zimbabwe de Robert Mugabe n’en est en revanche pas membre.
L’impopularité de la CPI en Afrique a commencé à s’exprimer ouvertement dans les années 2009-2010, lors de la diffusion d’un mandat d’arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir, pour crime de guerre et crime contre l’humanité au Darfour, à l’ouest du Soudan.
Mais c’est surtout l’ouverture de procédures contre des dirigeants kényans en exercice qui a attisé les tensions. Résultat, en juin 2014, en Guinée équatoriale, l’Union africaine a établi un «protocole de Malabo» en vue d’initier la création d’une Cour africaine de justice. Depuis lors, les opposants farouches à la CPI, menés par le président kényan, font campagne pour tenter de convaincre les Etats africains de les rejoindre.
La plupart des pays d’Afrique restent toutefois convaincus des bien-fondés de la Cour de La Haye. Ainsi, lors de la dernière assemblée des Etats parties à la CPI, en décembre au siège des Nations Unies à New York, les voix se sont multipliées pour exprimer «un soutien fort au travail de la Cour», comme l’a observé sur place l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch. L’Afrique du Sud, par exemple, a décrit la CPI comme «un rempart dans la lutte contre l’impunité» et le Lesotho comme «un instrument clé» pour promouvoir la justice. La République démocratique du Congo a souligné que la CPI est «un cadeau d’espoir» pour les générations futures.
La Sierra Leone, pour sa part, s’est félicitée que «les Africains jouent un rôle important à la CPI», comme l’a déclaré son représentant Ibrahim Tommy. Ainsi, en plus d’une procureure générale africaine - Fatou Bom Bensouda, de Gambie -, l’Afrique compte désormais quatre juges. Et pour la première fois, un président de l’assemblée de la Cour est également Africain: le ministre de la Justice sénégalais, Sidiki Kaba. Lors de son intronisation en décembre dernier, le nouveau président a pris l’engagement de réconcilier la CPI avec l’Afrique. «Un de mes axes majeurs, c’est un dialogue constructif avec les Etats africains», a-t-il affirmé devant la presse, soulignant qu’il fallait découpler la politique de la justice.
Principe de complémentarité
A La Haye, le projet de Cour africaine de justice n’est pas perçu comme une concurrence. «La CPI ne prétend pas à l’exclusivité, nous explique son porte-parole Fadi el-Abdallah. C’est une Cour de dernier recours, qui fonctionne selon le principe de complémentarité. Elle n’intervient que si les Etats se trouvent réellement dans l’incapacité d’agir ou n’ont pas la volonté de le faire.» Selon Fadi el-Abdallah, il est trop tôt pour imaginer ce que pourrait être l’impact d’une éventuelle Cour africaine sur la CPI. «Chaque Etat partie a le droit de se retirer du Statut de Rome. Mais le fait d’adhérer à une Cour africaine ne signifie pas nécessairement qu’il doive se retirer de la CPI», précise-t-il. Cela dit, souligne-t-il, «la CPI ne peut que se féliciter de toute initiative visant à participer à la lutte contre l’impunité des responsables des crimes les plus graves et à garantir la justice aux victimes».
Nombreux défis
Si le président de l’Union africaine Robert Mugabe semble vouloir porter rapidement la Cour africaine de justice sur les fonts baptismaux, il devra toutefois relever préalablement d’épineux défis. Il s’agira d’abord de convaincre suffisamment de pays africains pour asseoir le projet, alors que la majorité des Etats se satisfont du travail de la CPI. Il faudra résoudre également le problème de la diversité des systèmes juridiques en matière de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Surtout, par souci de crédibilité, il importera de garantir l’indépendance absolue de cette nouvelle Cour africaine, alors que pour l’instant, dans plusieurs Etats, les juges sont encore nommés ou soumis à approbation par les chefs d’Etat. Les dysfonctionnements des tribunaux nationaux qui défraient souvent la chronique en disent long sur les difficultés à surmonter en matière d’impartialité. Enfin, l’aspect financier ne sera pas négligeable, s’agissant d’une Cour africaine qui se voudra indépendante du reste du monde. Pour se faire une idée, le budget 2015 de la CPI se monte à plus de 130 millions d’euros…
> Voir aussi «Le procureur», dimanche sur RTS 2.
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Seule l’Afrique est sous enquête
L’un des principaux reproches avancés à l’encontre de la Cour pénale internationale, c’est que depuis son entrée en force en 2002, la CPI n’a ouvert des enquêtes et des procédures judiciaires qu’en Afrique. Ailleurs, comme en Afghanistan, en Colombie ou en Ukraine, elle en est encore aux examens préliminaires (voir ci-contre). En fait, cette exclusivité africaine s’explique simplement par les requêtes des pays africains eux-mêmes et leur volonté de faire la lumière sur des crimes graves.
Comme le précise Fadi el-Abdallah, porte-parole de la CPI, «sur les neuf enquêtes ouvertes jusqu’à présent, cinq l’ont été à la demande des Etats africains eux-mêmes, et deux à la demande du Conseil de sécurité des Nations Unies, où les Etats africains sont également représentés. En revanche, il n’y a pas eu pour l’instant de demandes d’enquêtes dans les régions situées hors de l’Afrique.»
Concrètement, les enquêtes déférées par un Etat partie à la CPI concernent l’Ouganda, la République démocratique du Congo, la République centrafricaine (deux fois) et le Mali. Le Conseil de sécurité a déféré à la Cour la situation du Darfour au Soudan ainsi que celle de la Libye. Ces deux Etats ne sont pas parties au Statut de Rome.
En fait, seules deux enquêtes ont été ouvertes à l’initiative du bureau du procureur. L’une, au Kenya, découle d’un accord politique destiné à mettre fin aux actes de violence commis après les élections de 2007. Elle a été ouverte en dernier recours, faute de trouver de solution interne, avec le soutien de la classe politique du pays.
L’autre enquête concerne la Côte d’Ivoire. Ce pays n’était à l’époque pas encore un Etat partie au Statut de Rome. Son gouvernement ne pouvait donc pas saisir «techniquement» la CPI. Il avait alors demandé au bureau du procureur d’examiner la situation, ce qui a amené à l’ouverture d’une enquête.
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Repères
La CPI en bref
> La CPI est la 1re Cour pénale internationale permanente créée pour juger les personnes accusées de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Elle est régie par le Statut de Rome, entré en vigueur en 2002 et signé par 123 pays.
> Indépendante, la CPI ne fait pas partie de l’ONU, mais coopère avec elle. Elle a son siège à La Haye (NL) et est financée principalement par les Etats parties.
> Plus de 20 affaires ont été ouvertes dans le contexte de 9 «situations» dans 8 Etats, tous africains. En 2012, premier jugement avec le Congolais Thomas Lubanga, condamné pour crimes de guerre.
> La compétence de la CPI est plus large que celle des 4 Tribunaux pénaux internationaux (TPI) mis en place par le Conseil de sécurité en ex-Yougoslavie, Rwanda, Sierra Leone et Liban.