A l’épreuve des planches
Comment le suisse allemand est-il utilisé dans les médias ou en politique? Focus sur les arts vivants
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Tania Buri
27 janvier 2021 à 02:01
Schwyzerdütsch (4/4) » Les journalistes Alain Croubalian de l’émission Vacarme sur la RTS et Tania Buri de Keystone-ATS décortiquent l’utilisation du suisse allemand dans différents univers, de l’art à la politique. Cette semaine, le théâtre.
Le théâtre, c’est un monde intermédiaire entre l’univers de l’écrit et celui du parler. Alors, quelle langue choisir sur les planches si la langue des textes et celles de la vie courante ne sont pas les mêmes? Goethe, Schiller, Brecht, Büchner: le théâtre allemand est réputé pour sa langue merveilleuse, son inventivité et depuis les années 70-80 pour son avant-gardisme. Comment ce théâtre trouve-t-il sa place en Suisse alémanique? Faut-il traduire les textes en suisse allemand?
Selon le comédien Nils Torpus, dans une salle de répétition du Théâtre Schlachhaus à Berne, «on doit bien connaître l’allemand avant de pouvoir jouer sur une scène allemande. Oui c’est vrai, on doit l’apprendre à l’école de théâtre. On pourrait vraiment faire plus de pièces en dialecte. C’est notre langue. Cela ferait sens, Mais beaucoup trouvent cela pas cool. Il y a toujours un peu quelque chose du Volkstheater, du théâtre de campagne. C’est idiot. On donne l’impression qu’on a honte de notre langue. On pourrait dire des choses beaucoup plus belles en dialecte qu’en allemand écrit. Il y a des mouvements dans ce sens mais le dialecte est toujours traité comme la belle-mère: on ne l’aime pas vraiment au théâtre.»
En Allemagne aussi la langue de scène et la langue parlée sont différentes. «Sur le Reeperbahn on parle le dialecte hambourgeois. Sur scène tous parlent une langue artificielle, une langue de scène que personne ne parle en vrai, poursuit le comédien, dont les deux parents étaient Allemands et qui a donc dû apprendre le suisse allemand.»
Un peu de nationalisme
Les lignes ont bougé sur la question de la langue utilisée au théâtre en Suisse alémanique. «Les acteurs allemands en Suisse ont senti le changement: les acteurs suisses tiennent de plus en plus au dialecte sur scène. D’un côté c’est ok, pourquoi devrait-on à tout prix s’adapter? Et d’un autre côté c’est aussi: «Hö toi! Tu dois te plier! On est en Suisse ici, on est chez nous!» Je ne sais pas si c’est vraiment contre les étrangers… c’est un mélange. Avant on parlait automatiquement allemand si un Allemand était présent: ce n’est plus le cas. Aujourd’hui cela prend une autre direction: ce n’est pas que positif. C’est un sentiment anti-étranger, anti-allemand qui est à la base de cette redécouverte. Un peu de nationalisme oui.»
Pour l’acteur, musicien, performeur Oschi, que l’on a vu jouer récemment dans le film Les enfants du Platzspitz et dans Mon nom est Eugène, «ce n’est pas facile de jouer en allemand pour un acteur qui parle le dialecte. C’est vraiment ça: c’était une langue étrangère au début. J’ai dû l’apprendre à l’école de théâtre en partant de zéro. Après j’ai beaucoup joué en Allemagne, en Autriche. Bien que l’allemand soit ma deuxième langue, c’est en allemand que je rêve.»
«C’est nouveau pour moi de jouer en dialecte, poursuit Oschi. Du coup j’ai dû réapprendre à jouer dans ma propre langue pour que ça sonne juste. J’ai fait un vrai travail pour retrouver MA langue: mais ça marche! J’ai joué dans beaucoup de pièces et de films en schwyzerdütsch depuis.»
Pourtant les Suisses alémaniques pourraient très bien parler allemand, «mais il y a comme une barrière. Elle les empêche d’avancer. Et à l’école, l’enseignement de l’allemand est terrible. Les profs parlent un allemand totalement faux au niveau de la grammaire. Et les élèves devraient le parler juste pour pouvoir l’écrire juste…», poursuit le performeur.
Le musicien et comédien Resli Burri, qui est né au Brésil et a vécu à Lausanne avant de s’installer dans le canton de Berne, a dû reprendre son spectacle avant de le proposer en Allemagne. «Pour faire fonctionner l’humour, basé sur les jeux de mots, c’était un boulot immense. On le joue normalement en dialecte bernois avec notre duo, qui s’appelle «Les trois Suisses» – le plus petit trio du monde.»
Dialecte si coloré
Au détour d’une question, il nous apprend que le bernois et l’allemand des Grisons sont les deux dialectes les mieux acceptés en Suisse alémanique. Dans un autre registre, la comédienne Brigitte Weber, de la troupe de théâtre Jungfrau & Co et du Theater blau, relève qu’on propose beaucoup de pièces en dialecte dans le théâtre pour enfants. «Mais maintenant, comme on prépare une pièce pour des petits enfants de cinq ans, on parle en Hochdeutsch.» La troupe est partie du principe que les enfants migrants le comprennent mieux. «Ils apprennent le Hochdeutsch à l’école et à la garderie et le suisse allemand dans la cour de récréation», relève-t-elle.
«Le dialecte est tellement coloré, poursuit la comédienne. On peut jouer avec. Au théâtre en Allemagne par contre, on n’aime pas quand il y a un accent régional. Les Allemands ont tout à fait un autre rapport chez eux entre le dialecte et le Hochdeutsch. Si un comédien s’installe à Berlin ou Hambourg, il adapte sa façon de parler et son dialecte d’origine disparaît. Le dialecte suisse, ce n’est pas la même chose, c’est comme une langue indépendante. Et si tu entends les différences cantonales, tu n’entends pas les différences de classe sociale, alors que c’est qui se joue en Allemagne.» ATS
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