La douce mélodie de Mary
Prof de piano jazz, compositrice, Mary Freiburghaus a vécu mille vies musicales dont une en Palestine
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Stéphanie Schroeter
4 avril 2022 à 04:01
Musique » Elle n’aurait finalement ni besoin de parler, ni de jouer du piano, ni même de chanter. Il émane de Mary Freiburghaus une douce mélodie que l’on devine parfois plus intense et qui se suffit à elle-même. Mais ce serait quand même dommage de se priver de l’entendre. Car cette professeure de piano jazz se dévoile à travers ses nombreuses compositions, comme autant de témoignages de ses multiples voyages et expériences, en Palestine, notamment. Et plus récemment, au récent Festival des lumières à Morat où elle a, seule sur scène, éclairé le public de sa joie. Lumineuse!
Mary, comment vous définissez-vous?
Je me définirais comme pianiste-compositrice mais d’abord comme bricoleuse. J’aime cette idée de réunir des sons et matières différentes. Le chant n’est apparu que très récemment. J’ai même été assez réticente au début à cause du cliché qui veut que, dans le monde du jazz, si vous êtes une femme, vous êtes chanteuse. J’avais besoin de dire que non, je suis pianiste. Mais je découvre la voix et j’aime ça de plus en plus.
Le piano est votre instrument de cœur. Quand avez-vous décidé d’en faire votre métier?
J’ai commencé à l’âge de neuf ans. J’étais passionnée mais mon grand rêve, c’était devenir médecin et de partir au bout du monde. Après le collège, j’ai décidé de consacrer une année à la musique, consciente qu’après, j’aurais moins de temps. Je suis donc partie à Vienne et en revenant, j’ai commencé mes études de médecine. J’ai alors réalisé que ce qui me faisait vibrer, c’était vraiment la musique. Je me suis alors lancée.
Vous avez un côté altruiste très développé. Pouvez-vous autant l’exprimer dans la musique?
J’y ai beaucoup réfléchi car ça n’a pas été facile d’abandonner ce projet de devenir médecin qui m’a accompagné durant toute mon adolescence. Mais, un jour, une amie m’a dit que si je voulais aider les autres je devais d’abord me sentir bien. Avec le recul, je me rends compte aujourd’hui qu’il y a tellement de moments et d’expériences durant lesquels j’ai senti que la musique est un lien vers l’autre. Que ce soit en Palestine ou comme professeure au conservatoire.
Qu’avez-vous fait en Palestine?
J’avais fini mon master et j’avais très envie de retourner à Rome où j’ai aussi étudié. J’ai beaucoup de chance dans ma vie car des portes se sont souvent ouvertes. Mes amis m’appellent «Mary-bons-plans». Sauf que rien ne se passait à Rome. J’avais du temps et je me suis souvenue d’une amie pianiste qui est palestinienne et qui m’avait proposé de la rejoindre. J’y suis donc allée et à ce moment-là l’université était à la recherche de professeurs. J’ai envoyé mon dossier et j’ai été prise. Deux semaines plus tard, j’enseignais à l’université arabe de Jérusalem. C’était en 2013. J’y ai passé un an et demi mais c’était comme si cela représentait dix ans tellement c’était intense! J’y ai aussi donné des concerts. Je devais prolonger mon séjour mais à cause de la guerre, j’ai dû renoncer et partir en catastrophe durant l’été 2014.
Que vous a apporté cette expérience, comme toutes les autres d’ailleurs?
Un sentiment de reconnaissance, d’abord. Celle d’avoir pu vivre de belles choses et de rencontrer des personnes différentes. Une ouverture, une compréhension de l’autre, aussi, même si c’est à une petite échelle. Et se rendre compte qu’ici, en Suisse, nous sommes très privilégiés, comme dans une bulle dorée. Comprendre aussi que, comme femme, nous y avons beaucoup de libertés. En Palestine, plus particulièrement, c’était une expérience belle, riche, forte et humaine! Et parfois aussi difficile en matière de gestion des émotions. Car autant le paysage était beau, l’accueil incroyable, autant je ressentais des injustices très fortes en travaillant dans ces territoires occupés. J’ai beaucoup appris. Cela m’a remuée. Et j’y ai aussi rencontré mon mari (elle rit).
Comment avez-vous vécu cette occupation et ce conflit?
Les derniers jours de mon séjour ont été terribles, je ne pouvais plus sortir de mon appartement. J’ai appris à adapter mon enseignement en fonction de la situation. Nous avions quand même des projets dans le campus. Nous étions là pour faire de la musique et nous évader.
Vous n’avez pas hésité à vous y rendre, connaissant la situation politique?
Je suis parfois une tête brûlée (elle rit)! Je suis aussi allée en Inde rejoindre un groupe de volontaires de Mère Teresa ainsi qu’au Kazakhstan. Et j’ai vécu une expérience dans le quartier du Bronx à New-York. J’aime bien l’aventure! J’étais un peu la seule blonde aux yeux bleus du coin. J’y suis allée plusieurs fois et j’y ai passé quelques mois au total. Je travaillais dans un centre d’accueil pour des anciens SDF qui avait été mis en place par des frères franciscains. La première fois, j’y ai fait un stage dans une clinique sachant que je voulais devenir médecin. Je travaillais à la cuisine et ils m’offraient, en échange, des cours de piano jazz. A New York, j’ai aussi rencontré la pianiste suisse Sylvie Courvoisier qui m’a encouragée dans mon chemin musical. Sa force m’inspire beaucoup.
Vous n’êtes pas une musicienne solitaire?
J’aime les autres, le contact. Ça me touche et j’en ai besoin. La musique doit avoir un sens de partage et de transmission.
Vous allez aussi au Liban Prochainement. Racontez-nous…
Je vais partir deux semaines à Pâques avec le groupe Dida Guigan. Nous sommes soutenus par diverses institutions, dont Pro Helvetia. Nous allons passer quatre jours dans une résidence artistique puis quatre concerts auront lieu dans le pays. Des ateliers avec des enfants sont également prévus. Des musiciens libanais viendront en Suisse en mai, en principe. Je me réjouis énormément!
Infos sur www.maryfreiburghaus.com
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