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Suisse

Du plasma pour sauver des vies

Les hôpitaux suisses se préparent à transfuser du plasma de convalescents du Covid-19. Efficacité à prouver

Le plasma de personnes guéries doit encore passer le stade d'essais cliniques satisfaisants.

 Thierry Jacolet

Thierry Jacolet

14 avril 2020 à 04:01

Dans la catégorie des expédients pour lutter contre le coronavirus, il en est un qui ne connaîtra pas la pénurie: les convalescents. Rien qu’en Suisse, ils seraient 10 600, selon les statistiques en ligne de l’Université américaine Johns-Hopkins. Ils ont un rôle prépondérant à jouer, en favorisant l’immunisation de la population.

Après avoir résisté à l’envahisseur, leur système immunitaire pourrait encore être mis à contribution. Pour sauver d’autres vies cette fois. Dans son combat face au Covid-19, le plasma sanguin, la composante liquide du sang, a développé des anticorps en quantité. D’où l’idée de transfuser ce liquide jaune à des malades pour renforcer leur défense immunitaire face aux agents pathogènes.

C’est le traitement auquel ont déjà droit cinq malades depuis le 31 mars à l’Hôpital universitaire de Bâle (USB), pionnier du genre en Suisse. «Nous observons attentivement ces patients et surveillons de très près la réaction possible», assure Andreas Buser, médecin-chef du centre du don du sang, un des investigateurs principaux du projet. «Leur évolution est stable mais il est trop tôt pour parler d’efficacité.»

D’autres hôpitaux se préparent à recourir à cette «immunisation passive» que ce soit au Tessin ou à Zurich qui vient de lancer une étude. L’Hôpital de Fribourg (HFR) est aussi sur le qui-vive. «Nous commençons à constituer un petit stock de plasma de convalescents en cas de besoin ici et dans les autres hôpitaux du pays», confirme Emmanuel Levrat, médecin-chef en hématologie et directeur du service de don du sang. «Nous avons déjà contacté les malades soignés à l’hôpital et leur avons demandé s’ils étaient d’accord de donner leur sang.»

Le critère des donneurs? Etre un homme en bonne santé et guéri depuis au moins un mois. «En raison des grossesses et des fausses couches antérieures, les femmes peuvent avoir des anticorps particuliers générant des réactions transfusionnelles», précise l’hématologue.

Le Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe) tient déjà une liste des personnes guéries susceptibles d’être mises à contribution. «Nous allons prélever du plasma de ces gens guéris», explique l’infectiologue Olivier Clerc. «La transfusion de plasma est une procédure connue de longue date. Cela permet par exemple dans certaines situations de corriger la coagulation chez des patients sous anticoagulant.»

La médecine expérimente aussi le transfert de plasma dans le cadre d’épidémies, encore récemment face à l’Ebola en Afrique de l’Ouest. «Des protocoles basés sur du plasma de personnes guéries ont obtenu une certaine efficacité», rappelle Olivier Clerc. Une étude chinoise réalisée sur cinq patients sévèrement atteints par le Covid-19 va aussi dans ce sens. Les résultats encourageants ont paru fin mars dans la revue médicale américaine JAMA: trois transfusés ont pu rentrer chez eux, tandis que les deux autres sont restés à l’hôpital dans un état stable.

Essais cliniques en cours

«Ce qui est important, c’est d’étudier la fonctionnalité des anticorps produits contre le virus et d’identifier avec quelle partie du virus les anticorps interagissent pour bloquer son pouvoir pathogène», insiste Thierry Calandra, chef du Service des maladies infectieuses au CHUV, qui explore aussi cette voie thérapeutique. «Cette approche est basée sur la notion que les personnes guéries ont développé des anticorps protecteurs contre le virus. Toutefois nous n’en avons pas encore la preuve formelle pour le Covid-19.»

Aucun essai clinique satisfaisant n’a été réalisé jusqu’ici pour ce coronavirus. Plusieurs sont toutefois en cours, notamment aux Etats-Unis et en France. La Suisse pourrait s’y mettre aussi, à entendre Andreas Buser: «Nous espérons pouvoir mener une étude randomisée en Suisse, en collaboration avec d’autres hôpitaux. En attendant, nous allons continuer de traiter les patients dans le cadre d’un protocole d’étude et après consultation du comité d’éthique.»

Pour les cas désespérés

La prudence est de mise du côté de Fribourg qui ne veut pas lancer d’étude clinique. «Nous restons à disposition pour l’instant», tempère Emmanuel Levrat. «Si les études sont concluantes, il y aura beaucoup de demandes.» Dans cette course contre la montre, des médecins pourraient brûler les étapes afin de sauver les cas désespérés. «Avec des malades sévèrement atteints, il pourrait s’agir d’un traitement de dernier recours qui nécessiterait dans ce cas le consentement éclairé du patient ou de son représentant thérapeutique», convient Olivier Clerc.

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