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Suisse

«Une Suisse qui se replie»

Pour la faîtière Economiesuisse et sa directrice Monika Rühl, la débâcle de Credit Suisse et les crises qui s’enchaînent ne sont pas bonnes pour l’image de la Confédération

Monika Rühl dit avoir été surprise par la rapidité du déclin de Credit Suisse.

 Guillaume Chillier

Guillaume Chillier

8 avril 2023 à 04:01

Affaires » La débâcle de Credit Suisse a écrit un chapitre sombre de l’histoire du pays. Son rachat par UBS a certes permis d’éviter «une escalade fatale», elle a aussi donné une mauvaise image de la Suisse et de son économie. C’est du moins l’avis de Monika Rühl. Avec les crises qui s’enchaînent, la directrice d’Economiesuisse assiste à un repli de la Suisse sur elle-même. A la tête de la faîtière qui représente 100 000 entreprises et deux millions d’emplois, elle se dit inquiète.

Sur votre site web, les banques ne figurent pas parmi les facteurs clés du succès de la Suisse. Finalement, le rachat de Credit Suisse par UBS n’est pas un sujet si important pour vous…

Monika Rühl: Evidemment que c’est un sujet très important. Nous sommes encore fâchés, irrités et frustrés par ce qui s’est passé. Il y a un sentiment de tristesse aussi: Credit Suisse a participé à l’industrialisation de la Suisse et illustrait bien les liens entre le milieu bancaire et l’économie. Désormais, nous avons tout intérêt à ce que la situation se stabilise.

Economiesuisse est restée plutôt silencieuse ces dernières semaines. Etes-vous mal à l’aise?

Nous avons surtout été surpris par la rapidité du déclin de Credit Suisse. Cela nous montre à quel point la crédibilité et la confiance sont importantes, et comment elles peuvent se perdre très rapidement. Ces dernières semaines, il y avait beaucoup d’inconnues et de faits à analyser. Nous ne voulions pas nous précipiter dans une communication trop rapide, comme le font les partis politiques.

Et donc aujourd’hui, quelle est votre analyse?

Que les choses sont en train de se mettre en place et que la stabilité doit être au centre de l’attention. Malgré toute l’irritation légitime, il faut éviter de prendre des décisions précipitées. Mercredi, UBS a dit que la fusion sera finalisée d’ici trois à quatre ans et elle est consciente de ses responsabilités économiques et sociales. Il faut encore un peu de temps pour analyser ce qui s’est passé et, avec du recul, identifier ce qu’il faut changer pour éviter que cela se reproduise.

Vous nous dites que lors de la session spéciale du parlement la semaine prochaine, il ne faut surtout pas changer les règles…

Le parlement va se prononcer sur une série de rapports que devra rédiger le Conseil fédéral. A travers eux, nous aurons une première analyse sur laquelle baser des décisions ciblées et pertinentes. Les élus doivent aussi garder à l’esprit l’environnement international: ça ne sert à rien de renforcer la régulation en Suisse sans regarder ce qui se fait ailleurs. UBS est la banque internationale du pays par excellence, il ne faudrait donc pas qu’elle soit régulée différemment ici.

Tous les partis semblent plus ou moins d’accord pour de nouvelles réglementations. Pas vous?

Nous sommes d’avis qu’il faut d’abord analyser ce qui a fonctionné ou non, et que la Suisse ne doit pas faire cavalier seul. Par exemple, exiger en Suisse 20% de fonds propres aux banques n’a pas de sens dans un monde complexe fait d’interactions et d’interdépendances. Quel serait l’effet d’une telle mesure? Aurait-elle permis d’éviter la chute de Credit Suisse? Décider dans la précipitation et de manière isolée aurait des répercussions sur le système que nous ne maîtrisons pas.

Toujours sur votre site, vous parlez du besoin de l’économie d’avoir un environnement de qualité. Est-ce moins le cas aujourd’hui?

Chaque crise nous montre où le système est fragile. Nos sociétés ont été fragiles lors de la crise du Covid, l’Europe est fragile avec la guerre en Ukraine. Il faut tenir compte de nos faiblesses pour s’améliorer. Je ne veux pas minimiser l’importance de la chute de Credit Suisse, mais il ne faut pas oublier ce qui marche bien, comme les quelque 240 autres instituts bancaires helvétiques qui sont solides et les 600 000 entreprises actives en Suisse.

L’affaire Credit Suisse donne-t-elle une mauvaise image de l’économie?

Oui. Il est devenu plus difficile de défendre les intérêts de l’économie. Mais c’est le rôle d’Economiesuisse de présenter l’ensemble du tableau: il ne faut pas voir seulement ce qui dysfonctionne, mais aussi là où l’économie réussit et à quel point elle contribue à la prospérité de tous.

Récemment, l’ambassadeur des Etats-Unis à Berne a dit que la Suisse traverse actuellement sa pire crise depuis la Seconde Guerre mondiale. Inquiétant?

La Suisse est très observée car son économie est très orientée vers l’exportation et elle investit beaucoup d’argent dans plusieurs régions du monde. Ce que nous dit l’ambassadeur, c’est que l’image de la Suisse à l’étranger est en train de changer. C’est très préoccupant, car notre crédibilité est en jeu. La Suisse doit donc montrer qu’elle est capable de trouver des solutions et de se faire comprendre. Elle l’a fait avec Credit Suisse, mais elle doit maintenant le faire avec la neutralité et avec son soutien à l’Ukraine. Elle doit veiller à ce que les autres pays considèrent la place économique suisse comme stable et sûre juridiquement.

Une de mes craintes aujourd’hui, c’est que la Suisse semble se replier sur elle-même alors que nous sommes membres de la communauté internationale. A travers notre économie, nous faisons partie du monde globalisé. Il faut davantage prendre ça en compte.

C’est une critique contre le Conseil fédéral?

Je ne veux pas faire de reproche au Conseil fédéral, mais au monde politique en général. Ce qui est «étranger» est vu comme mauvais ou méchant. Or le monde ne s’arrête pas aux frontières de la Suisse.

Mais la chute de Credit Suisse ne montre-t-elle pas les limites du libéralisme économique et de l’économie de marché?

Nous restons convaincus que les principes libéraux demeurent une très bonne recette pour l’avenir. Sur Credit Suisse, est-ce qu’une nationalisation aurait été une meilleure solution? Qui aurait assuré la stabilité d’une banque nationalisée? Qui a les connaissances et les expériences dans l’Administration fédérale pour le faire? Je prends note que la gauche attaque les principes du libéralisme, mais ses recettes ne me semblent pas prometteuses.

Faut-il forcer UBS à réduire sa taille?

UBS a déjà annoncé vouloir diminuer de façon significative les activités de banque d’investissement de Credit Suisse. Il faut lui laisser un peu de temps pour préparer sa stratégie de rachat. Pour l’heure, nous ne pouvons pas imposer à UBS de reprendre Credit Suisse et de suite lui imposer de réduire sa taille.

Certains vous accuseront de gagner du temps pour qu’on oublie tout ça afin d’éviter de nouvelles régulations, voire d’éviter de perdre des voix lors élections fédérales de l’automne…

Ce n’est pas le cas. Simplement, se précipiter est beaucoup trop risqué. La semaine dernière, une commission du parlement a failli prendre une décision qui interdit les banques d’importance systémique. Les élus avaient en tête UBS, mais n’ont compris qu’après coup que cette décision toucherait aussi la Banque cantonale de Zurich et Raiffeisen. Cela montre bien qu’il ne faut pas aller trop vite.

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