La Liberté

La demi-Amérique non démocratique

La demi-Amérique non démocratique
La demi-Amérique non démocratique


Paul Grossrieder

Publié le 26.11.2020

Temps de lecture estimé : 2 minutes

Opinion

La victoire de Joe Biden et de Kamala Harris aux élections américaines est une bonne nouvelle pour l’Amérique et le monde. Le président élu va se consacrer corps et âme à redorer le blason de la démocratie américaine. Néanmoins, lorsque l’on regarde une infographie des résultats, la grande tache rouge pose question.

Durant quatre ans, Donald Trump n’a eu de cesse d’incarner une présidence autocrate et autoritaire en contradiction avec la tradition d’outre-Atlantique. Il a réjoui les non-démocrates de ce monde tels Bolsonaro, Erdogan, Orban ou Modi. Il a totalement discrédité les médias, contre-pouvoir essentiel à la démocratie. Il a refusé tout débat avec ses opposants. Il a eu des propos racistes à l’occasion de la mort de George Floyd et a encouragé les mouvements blancs extrémistes tels les Proud Boys. A la tête de la justice il a nommé son laquais, M. Barr, grand contempteur de l’Etat de droit. Durant l’élection, il a voulu stopper le processus démocratique (Stop the count). En bref, il a laissé à l’Amérique une démocratie dégradée.

Joe Biden s’attachera à contrer cette dégradation, mais la tâche s’annonce rude, car le président sortant a su rallier à ses visions et à ses pratiques un nombre impressionnant d’Américains. Celles et ceux qui ont voté pour le modèle trumpien représentent en effet la moitié des citoyens. Cette population, très ancrée dans ses convictions, ne disparaîtra pas par enchantement parce qu’elle a un nouveau président attaché à un tout autre modèle, conforme à la Constitution.

En ce sens, cette élection n’a pas pour résultat une simple alternance – comme cela a toujours été le cas – entre le Parti républicain et le Parti démocrate. Elle a été une lutte entre deux Amérique irréconciliables, l’une fidèle à la grande tradition US et l’autre en rupture avec elle. Quand une moitié des électeurs rejette de facto la démocratie, il y a de quoi s’inquiéter. En effet, même s’il est impossible que chaque électeur de Trump soit antidémocratique, il est certain qu’en votant pour lui ses électeurs voulaient confier de nouveau la Maison-Blanche à un président qui allait continuer d’écorner la démocratie. C’est pourquoi l’on peut parler sans exagérer d’une demi-Amérique non démocratique.

Plus encore, lorsqu’on essaie de comprendre les raisons profondes de cet antidémocratisme, on reste sans réponse. On est en tout cas aux antipodes des prévisions du politologue Francis Fukuyama qui, après la chute de l’URSS, avait prédit l’avènement universel de la démocratie libérale. Avec Trump, la preuve du contraire a été donnée. Demeure la force des institutions, ultime garantie de la séparation des pouvoirs et des contre-pouvoirs inscrits dans la Constitution. C’est sur ces bases que s’est bâtie la première démocratie mondiale, et continuer de s’y attaquer reviendrait à saper l’Etat lui-même.

Biden pourra-t-il rallier au respect des institutions cette moitié du pays qui, implicitement au moins, suit Trump dans ses délires? Il aura bien besoin de ses solides convictions démocratiques et de sa force de persuasion pour y parvenir.

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