La Liberté

Nos démocraties et celles de l’Antiquité

Nos démocraties et celles de l’Antiquité
Nos démocraties et celles de l’Antiquité


Olivier Curty

Publié le 12.11.2019

Temps de lecture estimé : 2 minutes

Opinion

En ce temps de renouvellement du Parlement fédéral, nous nous flattons d’être les seuls au monde à avoir une démocratie directe. Il vaut la peine de voir la démocratie directe là où elle a été inventée, c’est-à-dire dans l’Antiquité. Les citoyens grecs d’autrefois se réunissaient en un lieu donné et y votaient toutes sortes de décisions. Une telle manière d’agir n’est plus possible à cause de la taille de nos Etats modernes qui auraient paru gigantesques pour des Grecs de l’époque.

Ces derniers vivaient en effet dans un Etat qui ne mesurait guère plus de quelques dizaines de kilomètres carrés, c’est-à-dire la grandeur d’un de nos districts, avec une population de quelques milliers, voire de quelques centaines de citoyens. Dans de telles conditions, tout le monde connaissait les qualités et les défauts de chacun. C’est pourquoi avait été instituée la procédure de l’ostracisme. Cette dernière, fort curieuse pour une démocratie d’aujourd’hui, prenait alors tout son sens. Elle consistait à réunir le peuple et à lui demander s’il y avait lieu d’ostraciser quelqu’un cette année. La personne ostracisée était bannie de l’Etat pendant dix ans sans perdre ni ses droits, ni ses biens. Simplement, la personne ainsi exilée était considérée comme trop dangereuse pour l’Etat et on cherchait, par ce moyen, à éviter tout problème politique. En cas de réponse positive, le peuple se réunissait à nouveau deux mois plus tard environ et inscrivait le nom de la personne à ostraciser sur un tesson de poterie (ostracon en grec), d’où le nom de la procédure.

L’homme politique qui obtenait le plus de voix était ainsi ostracisé. L’objectif réel poursuivi était d’éviter l’accumulation de pouvoir, politique ou d’un autre ordre, entre les mains d’une seule personne. Il faut dire que la proximité temporelle avec la tyrannie accroissait chez la population la crainte du retour d’un homme «providentiel». Si nous revenons à notre époque, on constate que les circonstances ont fondamentalement changé. Mais l’homme «providentiel» redevient une solution. Elle semble tellement facile, mais est aussi très dangereuse si l’on en juge ce qui s’est passé en Europe au XXe siècle avec les prétendus hommes «providentiels». Ces individus semblent bien loin des électeurs, qui ne voient pas le danger.

En effet, nombre d’entre eux sont maintenant partisans de tels personnages que l’on pourrait écarter à l’aide d’une procédure équivalant à l’ostracisme antique. Toutefois, bien que représentant une solution idéale à première vue, un tel système, basé sur l’éloignement physique, ne peut plus exister aujourd’hui. Nos démocraties sont devenues plus complexes et il leur faut des remparts adaptés. C’est maintenant plutôt en convainquant les citoyens de la faiblesse des idées de tels individus que s’imposeront l’Etat de droit et ses valeurs. L’exercice est certes moins aisé, mais plus efficace.

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