La Liberté

Ces nazis qui rêvaient d’être Führer

Alors qu’Hitler allait se suicider, plusieurs éminences brunes ont joué des coudes pour lui succéder

C’est Karl Dönitz qui a été choisi par Hitler pour lui succéder. Le grand-amiral a présidé le Reich durant 23 jours.
C’est Karl Dönitz qui a été choisi par Hitler pour lui succéder. Le grand-amiral a présidé le Reich durant 23 jours.
Albert Speer aspirait au pouvoir dans l'Allemagne nazie. © Bundesarchiv/DR
Albert Speer aspirait au pouvoir dans l'Allemagne nazie. © Bundesarchiv/DR
Martin Bormann aspirait au pouvoir dans l'Allemagne nazie.
Martin Bormann aspirait au pouvoir dans l'Allemagne nazie.
Si Hermann Göring était, depuis 1941, le successeur désigné du Führer, d’autres ténors aspiraient au pouvoir suprême.
Si Hermann Göring était, depuis 1941, le successeur désigné du Führer, d’autres ténors aspiraient au pouvoir suprême.
Joseph Goebbels aspirait au pouvoir dans l'Allemagne nazie.
Joseph Goebbels aspirait au pouvoir dans l'Allemagne nazie.

Pascal Fleury

Publié le 16.02.2018

Temps de lecture estimé : 9 minutes

IIIe Reich »   Le 20 avril 1945, alors que les chars soviétiques entrent déjà dans les faubourgs de Berlin, le bunker du Führer accueille quelques invités pour le 56e anniversaire d’Adolf Hitler. A la radio, le ministre de la Propagande Joseph Goebbels s’enthousiasme: «Je puis vous confirmer que le Führer est au printemps de sa santé. Il est, comme toujours, à la tête de ses troupes et leur apporte ses encouragements et ses inspirations.» En réalité, c’est une atmosphère de «crépuscule des dieux» qui règne dans le quartier général enfoui à 8 m sous le jardin de la Nouvelle Chancellerie.

L’ambiance est telle qu’on ose à peine féliciter Hitler. Car l’homme est brisé. Ayant refusé de se replier dans sa résidence du Berghof, dans les Alpes bavaroises, il est piégé dans la souricière berlinoise qu’il a lui-même bâtie. Usé par le manque d’air frais, les insomnies, les spasmes intestinaux et l’addiction aux drogues, il est en plus déprimé par l’incapacité de ses troupes à résister.

Il donne tout de même le change un instant devant les caméras, sortant à l’air libre pour décorer quelques vaillants garçons des Jeunesses hitlériennes. «Il leur tapote les joues et leur dit quelques mots à voix basse, mais avec le sentiment de ne plus pouvoir convaincre personne», écrira plus tard le ministre de l’Armement Albert Speer. Sur les images, son manteau au col relevé cache son bras gauche paralysé, qui tremble derrière son dos. La cérémonie terminée, Hitler se retire derrière les murs de béton qui «l’enferment dans sa folie», précise l’architecte du Reich.

«Panier de crabes»

Constatant l’état de santé désastreux d’Hitler, et ne se faisant plus aucune illusion sur l’issue de la guerre, les ministres de l’Intérieur Heinrich Himmler et de l’Aviation Hermann Göring tentent en vain de le raisonner. Ils lui suggèrent d’arrêter le combat, pensant que seule une paix séparée permettrait de refouler l’Armée rouge et de sauver ce qui restait de l’Allemagne.

Göring, qui parle anglais contrairement au Führer, s’imagine déjà en grand chef allemand rencontrant sur l’Elbe le général américain Dwight Eisenhower. Mais dans ce «panier de crabes» où les luttes pour le pouvoir se jouent à tous les niveaux entre dignitaires et fonctionnaires, il se méfie du secrétaire personnel d’Hitler, Martin Bormann, devenu de facto le numéro 2 du Reich. «Il est alors le seul, dans l’entourage d’Hitler, à avoir les pieds sur terre. Sans lui, le IIIe Reich aurait déjà disparu», observe le journaliste Jean-Paul Picaper, auteur de plusieurs essais sur la Seconde Guerre mondiale.

Bormann a gagné l’estime d’Hitler en œuvrant dans les années 1930 à la construction du refuge-forteresse panoramique du Berghof. Chef de la Chancellerie du parti nazi, il est l’une des seules personnes en qui Hitler a confiance. Il est aussi son financier et son exécuteur testamentaire. Il gère ses droits d’auteur pour Mein Kampf. Très efficace, au courant de tout, il contrôle chaque visite, chaque dossier. Dans le bunker, il est le seul à disposer d’une ligne de radio sécurisée pour communiquer avec le monde extérieur. Les autres dignitaires nazis détestent évidemment cet incontournable apparatchik, sauf peut-être Heinrich Himmler, qui le prend comme confident pour obtenir des faveurs du Führer.

Faux espoirs de Speer

L’un des plus grands rivaux du besogneux Bormann, qui le méprise et le surnomme même «le Méphistophélès du Führer», c’est le ministre de l’Armement Albert Speer. Cultivé, l’ancien architecte du Reich est le dignitaire préféré d’Hitler. Bormann voit en lui au contraire «un opportuniste et un menteur, un vaniteux agissant toujours dans le sens de son intérêt», note l’essayiste Picaper.

Speer rêve aussi de pouvoir. Le 23 avril, raconte l’historien anglo-canadien Martin Kitchen, il prend de gros risques pour retourner au bunker, soi-disant pour dire adieu à Hitler, alors qu’il l’a déjà fait trois jours auparavant, lors de son sinistre anniversaire. «Il espérait convaincre Hitler de le désigner comme successeur. Il se considérait comme un candidat tout à fait plausible», explique l’historien, s’appuyant sur les écrits de Speer. Mais l’architecte est congédié sans même une poignée de main. Après le suicide d’Hitler, il sera nommé ministre de l’Economie et de la production au sein du nouveau gouvernement, un titre ne couvrant aucune réalité.

Dans la course à la succession du Führer, Bormann craint surtout Hermann Göring. C’est que le commandant en chef de la Luftwaffe a été désigné successeur par décret en 1941 déjà, dans l’éventualité de la mort du Führer. Le 23 avril 1945 au soir, alors que Berlin semble perdu, Göring prend les devants: il envoie un télégramme à Hitler, lui proposant d’assumer désormais la direction du Reich. Il ajoute un ultimatum dans son message: si aucune réponse ne lui parvient dans les deux heures, il appliquera le décret.

Bormann exploite alors tendancieusement le télégramme, le présentant à Hitler comme une tentative déloyale d’usurpation. Hitler démet aussitôt Göring de toutes ses fonctions. Mais Bormann, pour qui cela ne suffit pas, donne l’ordre de son arrestation à Berchtesgaden, pour «haute trahison». Göring n’échappe finalement à l’exécution que grâce au bombardement du site par les Américains.

Le 28 avril, Hitler apprend qu’à son tour, Himmler vient de le trahir, en offrant aux Britanniques une capitulation sans condition. C’en est trop! Dans son testament, la veille de son suicide, il désigne alors à sa succession le très fidèle Karl Dönitz. Depuis la mi-avril, le grand-amiral assumait déjà la responsabilité de la défense allemande dans le nord du Reich, pour le cas où ce dernier venait à être coupé en deux.

Joseph Goebbels est nommé chef de cabinet, mais se suicide un jour après Hitler (lire ci-dessous). Dönitz consacre l’essentiel de son mandat à ramener les troupes allemandes sur le front occidental pour qu’elles se rendent aux Alliés et échappent ainsi à l’Armée rouge. Son gouvernement se prolongera finalement durant 23 jours. Sa dissolution marque un point final au IIIe Reich.

Jean-Paul Picaper, Ces nazis qui ont échappé à la corde, Ed. L’Archipel, 2017.
Albert Speer, Au cœur du IIIe Reich, Editions Fayard, 1971.
Martin Kitchen, Speer - L’architecte d’Hitler, Editions Perrin, 2017.


 

Le sort des hauts dignitaires du premier cercle d’Adolf Hitler

Pour Hitler, le suicide était sa dernière chance de sortir de l’Histoire par la bonne porte, en échappant à l’humiliation d’une arrestation soviétique. Dans le bunker, il distribue du cyanure à son entourage. Il s’en sert lui-même le 30 avril 1945 pour mettre fin à ses jours avec Eva Braun, doublant son geste mortel au revolver. Le lendemain, Joseph Goebbels et son épouse Magda se donnent la mort par balle, après avoir fait empoisonner leurs six enfants pour qu’ils ne soient pas «élevés en communistes». Hermann Göring se rend aux Américains en Bavière. Condamné à mort au procès de Nuremberg, il échappe à la pendaison en absorbant du poison dans sa cellule. Heinrich Himmler, arrêté par les Britanniques le 22 mai en Basse-Saxe, se suicide en croquant une capsule qu’il cache dans sa bouche. Albert Speer, fait prisonnier avec le gouvernement Dönitz, dupe ses juges en insistant sur sa méconnaissance des crimes du régime. Il s’en sort avec vingt ans de détention, écrit ses mémoires et décède en 1981. Quant à Karl Dönitz, successeur d’Hitler, il est condamné à dix ans de prison. Il meurt en 1980, sans avoir pu réintégrer la marine.

Pour sa part, le secrétaire du Führer, Martin Bormann, a quitté le bunker dans la nuit du 1er au 2 mai. Des compagnons de fuite ont cru le voir touché par l’explosion d’un char sur un pont de la Spree, d’autres ont suspecté qu’aux abois, il s’était suicidé. Des rumeurs persistantes prétendaient qu’il avait fui au Paraguay ou en Egypte. Sa mystérieuse disparition a suscité une interminable chasse à l’homme et alimenté une foule d’articles et de livres. Ce n’est qu’en 1998 que l’analyse ADN d’ossements déterrés en 1973 dans un terrain vague de Berlin a permis de confirmer sa mort, vraisemblablement le jour de sa fuite. Entre ses dents se trouvaient des éclats de verre d’une capsule d’acide prussique… PFY

 

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