La Liberté

Ces trafics qui financent le terrorisme

L’exploitation illicite des ressources naturelles est la principale source de financement des rebelles

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Check-point de Daech. La taxe de transit lui a rapporté des millions. © Interpol/DR
Check-point de Daech. La taxe de transit lui a rapporté des millions. © Interpol/DR
Ces trafics qui financent le terrorisme
Ces trafics qui financent le terrorisme

Pascal Fleury

Publié le 05.10.2018

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Crime organisé » Drogues, pétrole, or, diamants, minerais, pillages, enlèvements, transport de migrants, taxes illégales… les sources de financement du terrorisme sont multiples. Un rapport très complet, cosigné par l’Organisation internationale de police criminelle Interpol et deux ONG, révèle désormais que la part la plus importante de ces revenus, estimés annuellement à plus d’un milliard de dollars en zone de guerre, est l’exploitation illicite de ressources naturelles.

«Le crime organisé sape de plus en plus la paix, la sécurité et le développement. C’est devenu un phénomène mondial, avec une convergence des conflits», déplore Mark Shaw, directeur de l’Initiative globale contre le crime organisé transnational, une ONG basée à Genève, cosignataire de l’Atlas mondial des flux illicites1.

Satellites et drones

L’étude identifie plus de mille routes empruntées pour la contrebande et d’autres trafics. Elle se base principalement sur des sources publiques, le renseignement criminel et des informations de terrain. «Dans certains cas, des images de satellites et de drones ont aussi été utilisées, par exemple pour observer des transports de pétrole, minerais, bois d’œuvre ou charbon de bois», nous explique Christian Nellemann, responsable du Centre norvégien pour analyses globales RHIPTO, l’autre ONG qui a participé à l’étude.

L’atlas prend en compte les sept principaux groupes rebelles et les insurgés de la République démocratique du Congo, totalisant 96 900 combattants à plein temps. La vente illicite et la taxation de ressources naturelles constituent aujourd’hui leur principal apport financier (38%), la drogue restant une importante source de revenu (28%).

Ressources naturelles

Ces ressources naturelles spoliées sont d’abord le pétrole et le gaz (20%), principale source de financement de Daech en 2014 et 2015. Mais aussi divers produits de l’exploitation minière illégale, or, diamants ou minerais. En Somalie, les islamistes radicaux shebab affiliés à al-Qaïda tirent dix millions de dollars par an de taxes illégales sur le charbon de bois. La déforestation, la pêche illégale et le commerce d’espèces sauvages sont aussi sources de profits. Cette criminalité environnementale est aggravée par son impact sur la nature et son coût pour les générations futures.

D’autres revenus confortables proviennent d’extorsions, d’enlèvements contre rançon, de pillages de banques ou de l’instauration de taxes illégales. A Mossoul, dès la proclamation du califat en 2014, «le racket s’est institutionnalisé», observe la journaliste Hélène Sallon2. Jusqu’à la reprise de la ville, l’an dernier, «pas un commerce ni un habitant n’échappaient aux percepteurs de l’Etat islamique.» Tout était taxé, même les produits agricoles et l’eau des puits.

A noter que les groupes armés terroristes n’engrangent qu’une petite fraction – probablement autour de 4% – de tous les flux financiers illicites du crime organisé transnational en zones de conflits ou à leur proximité. Le volume global de ce vaste trafic oscille entre 24 et 39 milliards de dollars, selon Interpol, avec une moyenne de 31,5 milliards de dollars pour les années 2015 à 2018.

Dans ce contexte global de criminalité organisée, les enjeux sont énormes en zones de conflits: 5 milliards de dollars par an pour le trafic de migrants en provenance de Syrie et d’Irak; 8,4 milliards pour les exportations de cocaïne de la Colombie vers les Etats-Unis; 1,4 milliard pour les exportations d’opium afghan vers l’Europe via la Russie; 165 millions pour les ventes d’ivoire depuis l’Afrique vers l’Asie. Malgré leur notoriété, les groupes rebelles ne sont pas les principaux acteurs financiers de ces flux, même s’ils s’en nourrissent.

En fait, ce vaste marché illégal est tenu par de puissants groupes criminels connectés avec des élites politiques. «Ces criminels, note le rapport, gagnent à entretenir les conflits et à financer des groupes armés non étatiques portant atteinte à la légalité et à la bonne gouvernance. Ils bénéficient alors en retour d’une instabilité facilitant le développement de nouveaux flux illicites.»

C’est pourquoi, souligne Christian Nellemann du Centre RHIPTO, «la lutte contre le crime organisé doit être un facteur important dans la prévention et la résolution des conflits». Et le rapport d’insister: «Il est essentiel de renforcer les informations et les analyses pour pouvoir prévenir, contrecarrer et défaire les groupes insurgés et les acteurs du crime organisé qui créent un environnement d’impunité et d’instabilité.»

1 World Atlas of illicit flows, 2018. Sur internet: www.interpol.net

2 Hélène Sallon, L’Etat islamique de Mossoul, Editions La Découverte, 2018.


 

Deux tiers des djihadistes ont un passé de violence

Les frontières sont très poreuses, entre djihadisme et criminalité. La plupart des meneurs sont passés par la case prison.

«Ces criminels souillent l’image de l’islam et des musulmans dans le monde de manière alarmante», dénonçait en 2014 le cheikh Ahmed al-Tayyeb, imam de la mosquée Al-Azhar au Caire, incriminant le groupe Etat islamique. De fait, selon un rapport du Centre international pour l’étude de la radicalisation et de la violence politique, la ligne est très fine entre djihadisme et criminalité, et deux tiers des djihadistes ont un passé de violence. Dans un ouvrage publié cette année sur le djihad1, la politologue Myriam Benraad le souligne: «On retrouve dans les rangs de l’Etat islamique voyous et braqueurs, trafiquants et anciens détenus.» C’est d’ailleurs dans la tristement célèbre prison de Camp Bucca, au sud de l’Irak, que l’organisation s’est en partie constituée.

La biographie de quelques terroristes notoires, cités par la spécialiste du monde arabe, le confirme. A commencer par celle de l’ancien responsable d’al-Qaïda en Irak et père fondateur du groupe Etat islamique, Abou Mousab al-Zarqawi. Bien connu des autorités jordaniennes, il a fait l’apprentissage de la délinquance de rue et des larcins à Zarqa, dans la banlieue d’Amman. Colérique et bagarreur, il consommait alcool et drogues avant sa radicalisation. Il a été emprisonné plusieurs années pour agressions sexuelles, détention d’armes ou encore falsification de passeports. Une partie des djihadistes passés à l’acte en Europe présentent la même trajectoire criminelle.

«L’Etat islamique n’a pas hésité à abolir les barrières entre religion et entrelacs criminels pour assurer sa rentabilité», note Myriam Benraad. Transformé en super-gang, il a naturellement séduit les musulmans ayant un passé délinquant. Il est vrai que pour certains djihadistes, rejoindre le califat, «le camp du bien contre le mal», était «une rédemption», une «expiation de leurs péchés». PFY

1 Myriam Benraad, Jihad: des origines religieuses à l’idéologie, Editions Le Cavalier Bleu, 2018.


 

L’argent de la terreur

La guerre financière a été lancée par les Etats pour tenter d'enrayer le financement du terrorisme après les attentats du 11 septembre. 15 ans plus tard, les attentats de Paris, Bruxelles, Orlando et Nice laissent craindre un constat d'échec. Trahisons, double jeu, alliances chancelantes, mensonges par omission... Dans ce combat, tous les coups sont permis. Durée: 54'

 

 

 


 

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