La Liberté

Couvrez ce sein qu’on ne saurait voir!

La révolution sexuelle des sixties a libéré les corps dans l’espace public. Retour sur un long combat

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Jeune couple en voyage de noces au bord de la mer en 1923 à Deauville, devant une cabine de bain amovible. Le maillot «collant», longtemps décrié, est alors à la mode. © PFY
Jeune couple en voyage de noces au bord de la mer en 1923 à Deauville, devant une cabine de bain amovible. Le maillot «collant», longtemps décrié, est alors à la mode. © PFY


Pascal Fleury

Publié le 18.05.2018

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Mœurs »   Des seins nus devant le Palais fédéral! En janvier 1978, dix ans après Mai 68, la Cour suprême bernoise invitait la police à renoncer à poursuivre d’office les femmes se bronzant «oben ohne» (sans le haut) sur les pelouses des bains publics du Marzili, quasiment sous les fenêtres du Parlement helvétique. Gommant de fait une directive de 1964 qui considérait cette nudité partielle comme un acte obscène, cette décision suscita les gros titres de la presse de boulevard, au point que la piscine des bords de l’Aar devint bientôt et pour un temps la «Mecque du topless».

Signe extérieur d’une révolution sexuelle assumée par une génération de femmes réclamant l’égalité, l’indépendance et la liberté de disposer de leur corps, cette pratique du monokini marqua l’aboutissement de décennies de combat pour la libération des corps dans l’espace public.

L’histoire des corps dénudés sur les plages d’Europe remonte au tournant du XXe siècle, lorsque des hygiénistes comme le Dr Emile Galtier-Boissière, auteur du Larousse médical illustré de guerre, se mettent à recommander aux «employés de bureaux comme à la petite dame des téléphones de prendre l’air en été et d’exposer leur corps autant que possible à la nature», relate l’historien Christophe Granger1.

Maillots «trop collants»

Les vacances à la mer sont encouragées, mais encore faut-il pouvoir se baigner sans contrevenir aux normes de la pudeur. Depuis le XIXe siècle, le costume de bain standard de madame consiste en une chemise et un pantalon recouvert d’un petit jupon pour dissimuler ses formes. L’arrivée du «gilet caleçon de bain» en tricot de laine, au départ très couvrant, va libérer le mouvement. Du moins pour monsieur, car pour les femmes, il s’avère «trop collant». La mode ne s’étendra à la gent féminine que dans les années 1920, non sans avoir été l’objet de violentes attaques.

Parallèlement, dès le début du siècle, le naturisme, jusque-là peu répandu mis à part dans les pays scandinaves, commence à se structurer. Le phénomène s’observe surtout en Allemagne, autour d’une esthétique du corps masculin qui prend ses racines en Grèce, et en France, à l’initiative de Marcel Kienné de Mongeot. Ce professeur d’éducation physique, qui défend «l’idéal d’une nudité chaste et vertueuse», fonde en 1926 la revue Vivre intégralement, autour de laquelle s’organisent les premiers clubs nudistes.

En France, cependant, les idées étaient encore tout entières à la pudeur: «Le principe du naturisme apparut comme totalement incompréhensible et immoral. Les ligues se mobilisèrent violemment contre les premières expériences. Les pionniers furent contraints de se réunir dans de véritables camps retranchés», raconte le sociologue Jean-Claude Kaufmann2.

Sur les plages, les corps se dénudent néanmoins progressivement durant l’entre-deux-guerres, tant pour des motifs pratiques qu’esthétiques. Le goût du sport et du retour à la nature imposent en effet des tenues adaptées, tandis que se développent de nouveaux canons de la mode et de la beauté. Cette évolution, qui s’accompagne d’une «nouvelle morale des vacances», selon Christophe Granger, suscite toutefois émotion et animosité.

Batailles de plage

Ainsi par exemple, en 1932, La Nation, journal de la droite catholique, consacre un long article à ces «abominations». L’auteur, anonyme, de retour sur une plage qu’il fréquente depuis sa jeunesse, s’épouvante des «ravages provoqués par la crise actuelle de la conscience morale et du bon sens»: «Familles françaises? Ces ramassis de nudités vautrées sans plus de pudeur dans l’attitude que dans la vêture, si l’on peut dire? Où le père est plus ridicule que le fils par sa bedonnance; où, de la mère mafflue, on cherche, en vain, s’il faut incriminer davantage le crime contre l’esthétique que contre la décence? (...) Ils méritent la bastonnade!»

Dans un village du Quercy, en 1934, c’est un groupe de jeunes vacanciers qui, se baignant en simple maillot dans l’étang communal, met en émoi la petite communauté. Le curé menace de leur interdire la communion du 15 août. Pour ramener la paix, le maire finit par interdire «le nu dans sa choquante matérialité». Les arrêtés municipaux se multiplient. Une véritable campagne de «lutte contre l’immoralité des plages» est mise en place. La croisade a des accents natalistes, familialistes et plus largement antiréformistes.

Mais cette opposition d’arrière-garde ne peut rien face à l’évolution des mœurs. D’autant que dès 1945, une nouvelle mode pousse à la nudité balnéaire: le bronzage. Ce nouveau plaisir, qui se pratique volontiers en bikini, apparaît «comme un snobisme», souligne Jean-Claude Kaufmann, alors qu’auparavant le code bourgeois imposait «l’idéal de la blancheur contre la vulgarité populaire des peaux tannées».

Seins nus à Saint-Tropez

La mode des seins nus, qui apparaît à Saint-Tropez en 1964, en est la suite logique. Malgré des arrêtés d’interdiction, les soutiens-gorges tombent à la chaîne. En une décennie, la pratique s’impose quasiment partout en Europe, se prolongeant jusque dans les années 1980. Depuis lors, l’engouement pour le topless est largement retombé. L’an dernier, selon un sondage représentatif, seules 22% des Françaises ont encore exposé leur poitrine (contre 43% en 1984). Les championnes du monokini restent les Espagnoles (49%), devant les Allemandes (41%) et les Hollandaises (35%).

Selon Jean-Claude Kaufmann, on assiste aujourd’hui au retour de valeurs plus sécuritaires et plus familiales. Mais la raison principale de ce recul est peut-être simplement une question de mode: «La pratique s’est banalisée, et du coup, elle est moins tendance.»

1 Christophe Granger, La saison des apparences - Naissance des corps d’été, Editions Anamosa, 2017.

2 Jean-Claude Kaufmann, Corps de femmes, regards d’hommes – Sociologie des seins nus sur la plage, Nathan, 2010.


 

Expéditions punitives à la plage

Si la chasse aux nudistes menée avec opiniâtreté par Louis de Funès et Michel Galabru dans Le Gendarme à Saint-Tropez a fait beaucoup rire dans les chaumières, la réalité fut parfois beaucoup moins drôle pour les pionniers du naturisme. Dénoncés lors de croisades morales, interdits par des règlements municipaux, poursuivis et amendés, ils ont même parfois été victimes d’expéditions punitives, comme le raconte l’historien Christophe Granger.

Ainsi en 1927, dans un village de la côte bretonne, l’arrivée de «baigneuses trop coquettes», vêtues de maillots laissant voir leurs cuisses, dos nus et décolletés, cause «un émoi considérable». Des femmes du pays organisent alors une «petite conspiration». Estimant, selon la presse, que leurs maris s’intéressent trop aux «étrangères», elles se munissent de branches de ronces et d’orties, guettent les vacancières, se jettent sur elles et les fouettent énergiquement. En 1933, c’est à Malo-les-Bains (Nord), et à Batz-sur-Mer (Loire-Atlantique) que les habitants, excédés par une telle «indécence», conspuent les baigneurs et finissent par les chasser. De telles corrections publiques ne vont pourtant pas durer, la justice estimant que la dénudation des corps sur les plages, pour des raisons de sport, d’hygiène ou d’esthétique, n’outrageait en rien la pudeur normale. PFY


 

Documentaires

 

Portée par les féministes et les gays, la révolution sexuelle engendre une redéfinition radicale du rapport hommes/femmes.

Libération des mœurs, de la parole, des apparences, conquête du droit au plaisir, bouleversement des consciences et des comportements, elle incarne un virage hédoniste qui conduit à un nouvel idéal de société.

 

Révolutions sexuelles (1/2) - Le droit au plaisir

 

 

 

Révolutions sexuelles (2/2) - Réinventer l'amour

 


 

Histoire vivante

Radio: Ve: 13 h 30

TV: Révolutions sexuelles Di: 22 h 40 (Episode 1) Lu: 20 h 30 (Epis. 2)


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