La Liberté

Des Suisses généreux avec les réfugiés

Durant la Grande Guerre, les œuvres privées ont tenu un rôle de premier plan dans l’humanitaire suisse

Film documentaire disponible au bas de l'article

L’aide humanitaire suisse par la carte postale, évacués français en Suisse. © Bibliothèque nationale/DR
L’aide humanitaire suisse par la carte postale, évacués français en Suisse. © Bibliothèque nationale/DR
Salutations de la foule aux internés français en gare de Bulle. © Bibliothèque nationale/DR
Salutations de la foule aux internés français en gare de Bulle. © Bibliothèque nationale/DR
Internés français devant l’hôtel Beau-Séjour au Mont-Soleil, sur les hauteurs de Saint-Imier. © Bibliothèque nationale/DR
Internés français devant l’hôtel Beau-Séjour au Mont-Soleil, sur les hauteurs de Saint-Imier. © Bibliothèque nationale/DR

Pascal Fleury

Publié le 07.12.2018

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Entraide » La Première Guerre mondiale, qui s’est achevée il y a un siècle, a permis à la Suisse d’asseoir son image d’Etat humanitaire. Cette réputation, elle la doit à l’action de la Croix-Rouge, mais aussi à l’extrême générosité d’une population solidaire avec les réfugiés, les prisonniers de guerre et les internés. Les explications de Patrick Bondallaz, historien à la Croix-Rouge suisse à Berne et auteur d’une thèse de doctorat sur le sujet, à paraître l’an prochain.

Durant la Grande Guerre, les initiatives humanitaires privées ont été très nombreuses. Comment expliquez-vous pareil élan de générosité?

Patrick Bondallaz: En fait, il existait déjà en Suisse une certaine philanthropie patriarcale, assez moralisatrice et élitiste. Avec la «guerre de masse» qui éclate, l’humanitaire se massifie et transcende les classes. L’élan populaire est immense. L’aide va d’abord pour les internés civils, ces personnes surprises par le conflit alors qu’elles sont à l’étranger. Alors que la Confédération tarde à réagir, plusieurs œuvres privées activent leurs réseaux. L’Association catholique de protection de la jeune fille, basée à Fribourg, se charge par exemple du rapatriement des jeunes filles et du rétablissement des contacts entre membres de familles dispersées (lire ci-contre).

Les Suisses sont touchés d’emblée par le drame des réfugiés belges…

L’invasion de la Belgique par l’Allemagne a un très grand retentissement en Suisse romande francophile. En quelques semaines, à l’appel de pasteurs et de philanthropes comme la Lausannoise Mary Widmer-Curtat, un Comité de secours aux réfugiés belges est mis sur pied, avec des sections dans les cantons romands et en Suisse centrale catholique. Très vite, plus de 4500 familles offrent l’hospitalité à ces réfugiés. C’est plus qu’il n’en faut, car les Belges s’arrêtent la plupart à Paris ou fuient vers la Hollande voisine. Cela suscite une certaine frustration du côté suisse: chacun voulait son petit orphelin belge!

Il y a aussi ces marraines qui soutiennent les prisonniers de guerre?

La situation des prisonniers de guerre est dramatique en Allemagne. Sur l’ensemble du conflit, ils sont 2,5 millions, entassés dans des camps, parfois placés sous le feu de l’ennemi. Pour leur porter secours, 11 groupes de marraines se constituent en Suisse romande dans le cadre des sections de la Croix-Rouge. Des colis sont envoyés aux prisonniers nécessiteux. A Saint-Imier, par exemple, le curé Paul Greuin obtient des listes de détenus de la Croix-Rouge française. Jusqu’à 700 colis de 5 kg sont expédiés chaque mois depuis cette localité bernoise.

Dans les villes, les comités de gares sont également très actifs…

La gare est le lieu de prédilection où les Suisses entrent en contact direct avec la guerre. Des foules incroyables se réunissent pour accueillir les trains de réfugiés. Partout, des comités de gares veillent au ravitaillement, soignent les blessés, leur offrent des fleurs. Les militaires internés en Suisse sont accueillis comme des héros. Une fois logés, ils sont choyés par les populations locales. Au point que les marraines de guerre se voient reprocher des excès de sympathie.

L’aide va aussi aux Serbes, Polonais, Monténégrins, Roumains ou Russes…

L’aide aux Serbes se fait sous l’impulsion du criminologue Archibald Reiss. Fondateur de l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne, il dénonce dans La Gazette de Lausanne les atrocités qu’il a observées en Serbie. Des enfants serbes sont alors accueillis dans les cantons de Vaud et Neuchâtel. D’autres appels, venus des diasporas, débouchent sur diverses actions caritatives.

L’aide suisse a-t-elle pu se poursuivre malgré les restrictions économiques?

Dès 1916, l’Etat, soucieux de l’approvisionnement du pays, limite les exportations pour les prisonniers. Les comités de secours s’organisent alors en fédération pour s’approvisionner hors contingents à l’étranger. En 1917, il existe encore plus de 400 œuvres d’entraide privées dans le pays. Depuis l’accueil des Bourbaki en 1871, les Suisses savent que la neutralité passe par l’humanitaire. Aujourd’hui, cette composante de la conscience collective semble s’être dissipée. On le voit avec la frilosité à accueillir des réfugiés…


 

Cinq cents enfants belges à fribourg

La population fribourgeoise s’est montrée particulièrement zélée dans le secours aux victimes de la Grande Guerre. Elle s’est ainsi occupée de l’hospitalisation de 500 enfants belges. «Le comité fribourgeois ayant peu d’argent, la philanthrope fribourgeoise Athénaïs Clément, cheville ouvrière du mouvement, a sollicité le délégué de la Croix-Rouge américaine Robinson Smith, rencontré lors d’un souper chez la baronne Suzanne de Montenach. Une subvention de 124 000 dollars a pu être obtenue auprès de la Fondation Rockefeller. Quasiment tous les instituts religieux et de nombreuses familles du canton se sont engagés pour héberger ces enfants malades ou traumatisés», raconte l’historien gruérien Patrick Bondallaz. Ces «petits Belges» ont pu retourner dans leur pays après le conflit.

Autre action, l’Association catholique de protection de la jeune fille, dirigée par la baronne de Montenach, s’est attachée au rapatriement des jeunes filles étrangères au début de la guerre, à la transmission de la correspondance entre les soldats au front et leurs familles, ou encore à l’envoi de colis aux prisonniers. A Fribourg, l’office d’expédition, dirigé par Adèle Thürler, comprenait 160 bénévoles et expédia près de 150 000 colis.

La Mission catholique suisse s’est aussi préoccupée du sort dramatique des prisonniers de guerre français. Lancée par l’abbé André Bovet, futur évêque, elle a envoyé l’aumônier Eugène Devaud dans les camps en Allemagne. Le Fribourgeois a eu accès à des listes de prisonniers, qui ont permis l’envoi de secours avec la collaboration de réseaux catholiques français. L’abbé Devaud a été distingué de la Légion d’honneur. PFY


 

14-18 des enfants belges en Suisse

 

Août 1914. L’Allemagne envahit brutalement la Belgique au mépris de sa neutralité. En Suisse romande, la population est particulièrement affectée par le sort de ce pays. Parmi les nombreux civils qui se mobilisent pour venir au secours de la population belge, la Vaudoise Mary Widmer Curtat, qui parviendra à mettre à l’abri en Suisse 5’000 belges dont une majorité d’enfants.

 

 


 

Radio: Ve: 13 h 30

TV: 14-18: des enfants belges en Suisse Di: 22 h 35


Histoire vivante

La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11