La Liberté

Israël, une naissance dans la douleur

Il y a 70 ans, la 1re guerre israélo-arabe poussait 750 000 Palestiniens à l’exil. Comment en est-on arrivé là?

Israël, une naissance dans la douleur
Israël, une naissance dans la douleur


Pascal Fleury

Publié le 11.05.2018

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Conflit » Il y a 70 ans, le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclamait la création d’Israël dans la liesse populaire. Le lendemain éclatait la première guerre israélo-arabe, faisant plusieurs milliers de victimes et jetant sur les routes de l’exil 750 000 Palestiniens arabes. Depuis lors, la région a connu six autres conflits armés et deux intifadas. Et plus de cinq millions de Palestiniens ont toujours le statut de réfugiés en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, en Jordanie, au Liban et en Syrie.

Comment en est-on arrivé là? Pour y voir un peu plus clair, une plongée dans l’histoire du sionisme s’impose. Cette idéologie politico-religieuse entendait permettre aux Juifs d’avoir leur propre Etat en terre d’Israël. Fondée sur un sentiment national juif, elle est apparue au cours du XIXe siècle. Mais en 1799 déjà, Napoléon avait évoqué la reconstruction du temple de Salomon et la création d’un Etat juif, encourageant les Juifs à souhaiter «la restauration de leurs droits civils et de leur place parmi les peuples du monde», rappelle la chercheuse en sciences politiques Esther Benfredj¹.

Henri Dunant sioniste

En 1866, le Genevois Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge, contribue aussi au projet d’une immigration de Juifs en Palestine. Dans un document intitulé Société internationale universelle pour la rénovation de l’Orient², il décrit son idée: «La Compagnie orientale universelle (…) devra construire un port à Jaffa et un chemin de fer de cette cité à Jérusalem. Sur le parcours de ce chemin de fer, les terrains seraient concédés par la Turquie à cette société, qui les vendrait avec bénéfice, particulièrement aux grands financiers de l’Europe et aux familles juives les plus opulentes. A leur tour, celles-ci créeraient et feraient prospérer des colonies agricoles, avec l’aide et la main-d’œuvre de ceux de leurs coreligionnaires orientaux dont l’amour pour leur antique patrie s’est maintenu aussi ardent que jamais. Des comités spéciaux enverront, à leurs frais, leurs coreligionnaires de Pologne, de Hongrie, de Moldavie, d’Orient, d’Afrique…»

Villages juifs dès 1870

Dès les années 1870, à la suite de l’ouverture d’une première école d’agriculture juive près de Jaffa par le Français Charles-Yitzhak Netter, une vingtaine de villages juifs sont fondés en Palestine. C’est toutefois Theodor Herzl, l’auteur en 1896 du manifeste L’Etat des Juifs, que l’histoire retiendra comme le père du sionisme politique. Pour ce journaliste austro-hongrois inspiré par l’affaire Dreyfus, seul un retour en Palestine pouvait sauver les Juifs de l’antijudaïsme européen. Ses thèses sont débattues le 27 août 1897 à Bâle, lors du premier congrès sioniste.

Le projet, bien que controversé au sein de la communauté juive, trouve un écho favorable du côté de Londres, qui compte obtenir le mandat sur la Palestine. En 1917, le ministre des Affaires étrangères Arthur Balfour déclare que «le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour les Juifs (…) étant entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine».

Résistance arabe

La montée de l’antisémitisme pousse toujours plus de Juifs à s’embarquer pour la «Terre promise». Entre 1914 et la fin du mandat britannique en 1947, le nombre de Juifs en Palestine passe de 94 000 à 630 000. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, les Palestiniens, qui réclament le droit à disposer d’eux-mêmes, multiplient les actions: comité islamo-chrétien, congrès palestinien, grèves, manifestations… «Dussions-nous verser notre sang, nous nous opposerons à ce que les Juifs se rendent maîtres de la Palestine et dominent Jérusalem» 3, dénonce le mufti, en 1918 déjà. La répression est violente. Entre 1936 et 1939, une grande révolte arabe en faveur de l’indépendance et de la fin de l’immigration juive fait plus de 5000 morts.

Le 29 novembre 1947 pourtant, contre l’avis palestinien, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la résolution 181, qui partage la Palestine en un Etat juif, un Etat arabe et une zone – Jérusalem et Bethléem – bénéficiant d’un régime international (voir la carte). Les sionistes, qui détenaient moins de 7% de la Palestine, se retrouvent avec 55% du pays, ce qu’ils qualifient de «minimum irréductible». «Cette partition annonça le cataclysme», commente l’historien palestinien Walid Khalidi4. Les Arabes l’appelleront la Nakba, la «catastrophe». Un mot toujours interdit dans les manuels scolaires israéliens.

Esther Benfredj, Ismaël contre Israël, Editions Desclée de Brouwer, 2017.

2 Consultable sur wikisource.org

Sandrine Mansour-Mérien, L’histoire occultée des Palestiniens, Privat, 2013.

Walid Khalidi, Nakba, 1947-1948, Editions Actes Sud, 2012.

* * *

Pour les migrants juifs, 1948 fut aussi «très dur»

La première décennie qui a suivi l’indépendance d’Israël a été très difficile aussi pour les migrants juifs. Témoignages.

Plus de 320 000 Juifs européens ont rejoint le jeune Etat d’Israël entre 1948 et 1951. Pour ces migrants, qui avaient souvent connu les affres de la Seconde Guerre mondiale, la Terre sainte qu’ils découvraient n’était pas vraiment «le pays où coulent le lait et le miel». En raison de l’afflux des réfugiés et de la guerre israélo-arabe, le Gouvernement israélien avait dû instaurer un strict rationnement, y compris pour les Juifs installés de longue date.

«Les débuts ont été très durs, c’était de la survie. Nous recevions des tickets de rationnement pour nous approvisionner», raconte Elie Mizrachi, né en 1951 à Nachlaot, quartier de Jérusalem réservé aux communautés juives kurdes. Hagit Rothenberg, née à Jérusalem en 1943, garde aussi des images sombres de cette période troublée: les tartines de pain frottées à l’ail qu’on lui préparait ou leur départ précipité en bus «la veille du siège de Jérusalem», pour aller se réfugier dans un kibboutz.

Son mari Avner a grandi à Haïfa. «Après 1945, nous partagions notre petit appartement de deux pièces avec une famille tout juste arrivée», se souvient-il dans La Libre Belgique. Le flux d’arrivants était tel que les Juifs déjà sur place devaient ouvrir leurs maisons pour accueillir ceux qui avaient été fraîchement débarqués. PFY/LLB

Radio: Ve: 13 h 30
 

 

En dates

1896

Publication du manifeste L’Etat des Juifs de Theodor Herzl.

1897

Premier congrès sioniste à Bâle.

1917

Le ministre britannique Balfour évoque l’idée d’un «foyer national pour le peuple juif».

1947

Résolution de l’ONU pour le partage de la Palestine.

1948

Le 14 mai, David Ben Gourion proclame la naissance de l’Etat d’Israël. Première guerre israélo-arabe.


 

Documentaire : « Et Israël fut... »

Romed Wyder (2018) 
Histoire Vivante, dimanche 13 mai à 22h50 sur RTS Deux 
 


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