La Liberté

Joséphine Baker, espionne de charme

L’icône noire des années folles, reine du music-hall à Paris, fut une ardente patriote de la France libre

Film documentaire disponible au bas de l'article

Joséphine Baker entourée de sa «tribu arc-en-ciel» en 1961, lors de la remise de la Légion d’honneur. © DR
Joséphine Baker entourée de sa «tribu arc-en-ciel» en 1961, lors de la remise de la Légion d’honneur. © DR
L’artiste Joséphine Baker dans son célèbre costume-bananes en 1927… et en espionne de guerre durant la Seconde Guerre mondiale. © Lucien Walery/DR
L’artiste Joséphine Baker dans son célèbre costume-bananes en 1927… et en espionne de guerre durant la Seconde Guerre mondiale. © Lucien Walery/DR
Joséphine Baker, espionne de charme
Joséphine Baker, espionne de charme

Pascal Fleury

Publié le 14.12.2018

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Résistance » On la surnommait la Vénus d’Ebène. L’étoile inoubliable des Folies-Bergère et du théâtre des Champs-Elysées brûlait les planches dans les années 1920 aux rythmes endiablés du charleston, à peine vêtue d’une ceinture de bananes. Reine du music-hall, danseuse et chanteuse succédant à Mistinguett au Casino de Paris, actrice au côté de Jean Gabin dans Zouzou de Marc Allégret, égérie des cubistes, maîtresse de Georges Simenon, «Néfertiti» de Pablo Picasso, Joséphine Baker enflammait les cœurs. L’icône noire aurait pu se contenter des paillettes et de la gloire, puis se retirer dans son château des Milandes, en Dordogne.

C’était sans compter sa générosité naturelle, son courage et sa soif de justice. Lorsque éclate la Seconde Guerre mondiale, la star d’origine afro-américaine et amérindienne, qui avait grandi dans les quartiers pauvres de Saint-Louis (Missouri), décide de s’engager au service de la France. Elle vient d’obtenir la nationalité française en troisième noce avec l’industriel juif Jean Lion, de son vrai nom Levy.

Contre-espionnage

En septembre 1939, l’imprésario Daniel Marouani la met en relation avec Jacques Abtey, officier au Service de renseignement de l’armée, à Paris. Le capitaine du deuxième bureau, qui se souvient des déboires de Mata Hari durant la Grande Guerre, croit d’abord à une plaisanterie.

Mais Joséphine Baker se montre vite convaincante: «C’est la France qui a fait de moi ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. La France est douce, il fait bon y vivre pour nous autres gens de couleur, parce qu’il n’y existe pas de préjugés racistes. Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens? Ils m’ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez!»

Dans les ambassades

Recrutée comme correspondante au contre-espionnage, elle fréquente la haute société parisienne. Sa première mission est d’obtenir des informations sur les intentions du régime de Mussolini. Jouant de ses charmes, elle parvient à séduire l’attaché militaire de l’ambassade d’Italie, qui lui délivre des renseignements confidentiels sur les forces italiennes dans les Balkans.

A l’ambassade du Portugal à Paris, l’ardente patriote obtient d’autres renseignements précieux sur les bassins de radoub recherchés par les Allemands pour leurs sous-marins. Pour masquer son engagement secret, Joséphine, qui est titulaire d’un brevet de pilote de l’air, se mobilise auprès des Infirmières pilotes secouristes de l’air (IPSA), une section spéciale de la Croix-Rouge française.

Lorsque le général de Gaulle lance son appel du 18 juin 1940, Joséphine Baker s’engage encore plus résolument dans les services secrets de la France libre. «Elle avait la tripe française. C’est elle qui nous remontait le moral», se souvient le colonel Paul Paillole.

Partitions musicales

Le capitaine Abtey devant régulièrement livrer des informations hautement sensibles à l’Intelligence Service britannique, Joséphine l’engage comme secrétaire artistique sous la fausse identité de Jacques Hebert. Les renseignements secrets sont transcrits en langage chiffré ou à l’encre sympathique sur les partitions musicales de la chanteuse. Lors des préparatifs d’une mission au château des Milandes, en compagnie d’un noyau de résistants, elle esquive de justesse une fouille nazie, tenant tête à l’officier allemand qui la soupçonne de cacher des armes. Pour donner le change, elle donne quelques représentations de La Créole d’Offenbach à l’opéra de Marseille.

Dès 1941, l’espionne de charme officie depuis l’Afrique du Nord. Installée au Maroc, elle poursuit ses activités de renseignement alors même qu’elle est hospitalisée pour une péritonite. Elle multiplie aussi les galas pour soutenir le moral des troupes alliées dans le Maghreb et en Egypte. En 1944, elle rejoint l’armée de l’air à Alger comme officier de propagande. Elle débarque à Marseille en octobre.

Son patriotisme sera récompensé par la médaille de la Résistance en 1946, avec les remerciements du général de Gaulle. La Croix de guerre et la Légion d’honneur suivront en 1961. A son décès en 1975, la République décrétera des obsèques nationales en son honneur, une première pour une femme noire.

> Charles Onana, Joséphine Baker contre Hitler, Editions Duboiris, 2006.

> Jacques Abtey, La guerre secrète de Joséphine Baker, Ed. La Lauze, 2005.

> Joséphine Baker et Jo Bouillon, Joséphine, Robert Laffont, 1976.


 

Toute une vie de combat pour la cause des Noirs et contre le racisme

«Saint-Louis Est était un endroit horrible, pire encore que le Sud profond. (…) Je n’oublierai jamais les hurlements de mon peuple, le visage d’un ami de mon père déchiré par une balle, cette femme enceinte à qui l’on avait ouvert le ventre.» Joséphine Baker a 11 ans en 1917, lorsque des groupes de blancs armés, proches du Ku Klux Klan, se jettent sur les populations noires de la ville, tuant une centaine de personnes. Fuyant avec sa mère, elle restera marquée toute sa vie par cette violence gratuite. Elle ne cessera de se battre contre toutes formes de racisme et pour la cause des Noirs.

En 1951, après avoir été plusieurs fois humiliée lors de précédentes tournées de galas aux Etats-Unis, elle obtient enfin de pouvoir donner des concerts devant un public mixte, à Miami, Las Vegas et même Harlem. N’hésitant pas à provoquer des scandales face aux lois ségrégationnistes, elle s’engage pour les droits civiques, soutenant le combat de Martin Luther King. En 1963, elle partage son optimisme devant 200 000 personnes, lors de la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté. Fidèle à elle-même, Joséphine Baker a adopté douze enfants de toutes les couleurs, sa «tribu arc-en-ciel»! PFY


 

BIO EXPRESS

1906

Naissance de Freda Josephine McDonald à Saint-Louis (USA).

1921

Tournée aux Etats-Unis. La danseuse épouse Willie Baker.

1925

A Paris, se produit dans la Revue nègre. Mène les revues aux Folies-Bergère. Vedette du Casino de Paris.

1939

Agent du contre-espionnage puis des services secrets de la France libre.

1954

Adopte douze enfants en une décennie.

1963

Soutient le combat de Martin Luther King.

1975

Décède en pleine rétrospective de ses 50 ans de carrière. PFY


 

Joséphine Baker, première icône noire

100 ans avant Beyoncé, il y avait Joséphine Baker. Enfant pauvre de Louisiane devenue danseuse et chanteuse en Europe, elle reste la première superstar noire au monde. Elle fut pionnière, combattante et utopiste. Elle a combattu le racisme et la xénophobie, se servant de son corps comme d’une arme politique.

 

 


Radio: Ve 13 h 30

TV: Joséphine Baker, première icône noire Di 21 h 15 Lu: 24 h


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