La Liberté

L’arme secrète de Winston Churchill

Pour frapper au cœur le IIIe Reich, Londres a engagé des as du sabotage dignes des films de James Bond

Winston Churchill participait avec enthousiasme aux démonstrations de son officine de recherche militaire. © Editions Noir sur Blanc
Winston Churchill participait avec enthousiasme aux démonstrations de son officine de recherche militaire. © Editions Noir sur Blanc
Le navire bélier ­Campbeltown à Saint-Nazaire. © National Archives UK
Le navire bélier ­Campbeltown à Saint-Nazaire. © National Archives UK
Un prototype de mine sous-marine du major Clarke. © Bundesarchiv
Un prototype de mine sous-marine du major Clarke. © Bundesarchiv
La Mercedes du dignitaire nazi Heydrich après l’assaut. © DR
La Mercedes du dignitaire nazi Heydrich après l’assaut. © DR
«Faire dérailler les trains puis abattre tous les rescapés!» Colin Gubbins
«Faire dérailler les trains puis abattre tous les rescapés!» Colin Gubbins

Pascal Fleury

Publié le 15.06.2018

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Guerre de l’ombre »   Détonateurs, systèmes d’allumage par pression ou vibration, mines camouflet et mines Limpet, charges explosives diverses, certaines de la taille d’une boîte d’allumettes, «castrateurs» (à cacher sous les WC!), cordes de piano, éventuels agents biologiques… La boîte à outils du parfait saboteur, mise au point au printemps 1939 par Millis Jefferis, un brillant officier britannique du War Office (Ministère de la guerre), n’aurait pas dépareillé dans la panoplie des films de James Bond. Facilement transportable, la caisse est livrée en grandes quantités aux résistants des Balkans puis, rapidement, à de nombreux autres mouvements clandestins antinazis.

C’est qu’il y a urgence. Depuis l’abandon de la Tchécoslovaquie à l’Allemagne, lors des accords de Munich de septembre 1938, les bruits de bottes sont inquiétants. «Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre», prophétise Winston Churchill.

Machine de guerre

Féroce opposant de la politique d’apaisement du premier ministre Neville Chamberlain envers le Reich, Churchill s’alarme davantage encore lorsque Hitler dévoile son plan d’expansion de la marine de guerre allemande. «Ce plan très ambitieux envisageait la construction de 8 porte-avions, 26 cuirassés et plus de 40 croiseurs, ainsi que de 250 sous-marins. La Grande-­Bretagne n’avait pas les moyens de faire face à une telle course aux armements, et devait trouver d’autres méthodes pour se défendre», explique l’historien anglais Giles Milton. Dans son dernier ouvrage1, il raconte la «guerre secrète» menée par Churchill contre Hitler.

Au début 1939 déjà, au War Office et à l’Amirauté, le constat est clair: pour rétablir l’équilibre des forces, il serait beaucoup plus économique et astucieux, plutôt que de construire des navires de combat, de couler la flotte allemande!

Guerre sans dentelles

L’idée d’une «guerre sournoise» suscite d’abord l’indignation d’officiers «gentlemen», mais face à la machine de guerre nazie, ils doivent revoir leur code de conduite chevaleresque. Une officine de spécialistes, l’unité MI (R) – pour Military Intelligence (Research) –, doublée d’une section technique, est rapidement mise sur pied. Menée par Colin Gubbins, un officier de carrière distingué de la croix militaire lors de la Grande Guerre, elle commence par éditer deux guides pratiques, L’art de la guérilla et Le manuel des chefs de partisans.

S’inspirant des méthodes des militants irlandais du Sinn Féin et des gangsters de Chicago, ces manuels imprimés sur du papier comestible expliquent aux agents comment infliger à l’ennemi «le maximum de dommages le plus vite possible, et puis de se sauver». «Il ne suffit pas de tirer sur les trains. Il faut d’abord les faire dérailler et ensuite abattre tous les rescapés», souligne Gubbins, lors de la formation des agents de terrain.

Dès le début du conflit, Churchill sollicite son équipe de saboteurs. Promu premier Lord de l’Amirauté (avant de devenir premier ministre en 1940), il veut se venger de la destruction de 30 bâtiments sur le littoral anglais. Il fait alors réaliser par Jefferis des mines submersibles, pas plus grosses qu’un ballon de foot. Le ressort des allumeurs est maintenu par des comprimés d’Alka-Seltzer. Et ça fonctionne! Les 1700 W-Bomb larguées dans le Rhin vont causer un chaos total entre Karlsruhe et Mainz, faisant couler des bateaux et sauter des ponts.

Autre coup d’éclat: l’opération Chariot, menée le 28 mars 1942 à Saint-Nazaire. Lors de ce raid «magnifique et héroïque», selon Churchill, le destroyer HMS Campbeltown, camouflé en bâtiment allemand, est précipité comme navire bélier sur les installations portuaires nazies. Les experts y ont caché 4,5 tonnes d’explosifs, avec mécanisme retardateur. Le bateau n’explose que plusieurs heures après l’impact, tuant près de 400 soldats et civils, et rendant inutilisable la cale sèche pour le reste de la guerre.

Même succès le 27 mai 1942, lors du guet-apens contre le gouverneur de la Bohême-Moravie, Reinhard Heydrich. Le dignitaire nazi meurt des suites de l’attaque de sa Mercedes, commise grâce au soutien logistique de Colin Gubbins, devenu entre-temps chef des opérations et de l’entraînement à la Direction des opérations spéciales (SOE). De telles actions de sabotage se poursuivront durant tout le conflit. Elles contribueront au succès des Alliés.

1 Giles Milton, Les saboteurs de l’ombre, Editions Noir sur Blanc, 2018.


 

Comment fabriquer une mine avec un saladier

Ingénieux, les «bricoleurs» du War Office développaient des armes de sabotage avec les moyens du bord.

Les techniciens du «magasin de jouets de Churchill», comme était qualifiée l’unité secrète du Ministère de la guerre chargée de la conception d’armes de sabotage, ne manquaient pas de génie. L’invention de la mine sous-marine Limpet, par Cecil Clarke et Stuart Macrae, en est un exemple marquant. Artificier durant la Grande Guerre, Clarke s’était distingué dans le civil comme concepteur de caravanes à châssis surbaissé avec bar, douche et toilettes. Au printemps 1939, il relève le défi que lui lance Macrae, lui-même auteur d’un mécanisme de largage de bombes pour l’aviation. Il s’agit de mettre au point une mine magnétique fonctionnant sous l’eau pour couler les navires.

Enthousiaste, Clarke se procure aussitôt des saladiers en fer-blanc au supermarché, achète des aimants ultrapuissants à la quincaillerie, commande des anneaux métalliques rainurés dans lesquels il insère les aimants. Un couvercle bien vissé et du bitume assurent l’étanchéité. La mine devant rester légère pour coller à la coque des bateaux, de nombreux essais sont effectués… avec du porridge à la place de la dynamite gélatineuse. «Après avoir inondé plusieurs fois la salle de bains, nous avons obtenu le résultat voulu», raconte Macrae1.

Reste à poser le détonateur. Mais comment faire pour que la bombe n’explose pas trop tôt, alors qu’elle est ­encore fixée sur le ventre de l’homme-­grenouille? Les deux inventeurs pensent d’abord maintenir le percuteur avec une pastille soluble, mais elle se dissout trop vite. Clarke confisque alors à ses enfants des boules à l’anis, qui se révèlent fondre en 35 minutes. Quant à l’allumeur, il est protégé par un… préservatif! L’engin, qui revient à 6 livres sterling, passe tous les tests. Il va permettre de couler plusieurs navires ennemis, dont le SS Donau en janvier 1945 dans le fjord d’Oslo. PFY

1 Stuart Macrae, Winston Churchill’s Toyshop, Editions Roundwood Press, 1971.


 

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