La Liberté

L’incontournable diplomatie vaticane

Bien que minuscule, le Saint-Siège se montre particulièrement influent dans la politique internationale

Pascal Fleury

Publié le 15.12.2017

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Politique »   Le récent déplacement du pape François en Birmanie a mis en lumière une fois de plus l’importance du Saint-Siège dans les relations internationales. Davantage politique que religieux, ce 21e voyage du pontife argentin, élu en mars 2013, s’inscrit dans la continuité de l’action diplomatique de promotion de la paix et de dialogue interreligieux menée depuis un demi-siècle par le Vatican à travers la planète.

Une diplomatie vaticane qui a permis, par des services de médiation ou de bons offices souvent très discrets, l’apaisement de nombreuses tensions de par le monde. Et qui, parfois, a contribué à des changements extraordinaires.

Effondrement de l’URSS

Ainsi en est-il de l’effondrement du communisme en Europe de l’Est en 1989. «Le rôle de Jean-Paul II et de la papauté dans ce processus semble aujourd’hui admis comme une évidence, comme on a pu le vérifier dans une presse singulièrement à l’unisson en avril 2005, au moment du décès du pape polonais», note l’historienne Laura Pettinaroli, auteure de La politique russe du Saint-Siège*.

Auparavant, en 1978, c’est le conflit du canal de Beagle qui avait été évité in extremis grâce à l’intervention vaticane. «Jean-Paul II, qui venait d’être élu, a immédiatement dépêché le cardinal Antonio Samoré à Santiago du Chili pour assurer une médiation. L’intervention du cardinal Samoré, qu’on a surnommé à l’occasion le Kissinger du Vatican, s’est révélée à ce point décisive pour éviter la guerre que le Chili et l’Argentine ont donné son nom à la principale passe andine qui relie les deux pays», raconte le cardinal Angelo Sodano, cité dans Le vrai pouvoir du Vatican**.

Médiation à Cuba

Le succès diplomatique le plus extraordinaire de ces dernières années, c’est peut-être le rétablissement en 2015 des relations entre Cuba et les Etats-Unis, qui étaient suspendues depuis 1961. Si les honneurs sont revenus au pape François, applaudi par les présidents Raúl Castro et Barack Obama, c’est le pape Jean-Paul II qui avait ouvert la voie en 1998 déjà, en rencontrant Fidel Castro à La Havane. La médiation avait ensuite été soigneusement préparée par son successeur Benoît XVI, en particulier lors de son voyage à Cuba en 2012, où il avait rencontré les frères Fidel et Raúl Castro. L’archevêque de La Havane, Jaime Ortega, a bien sûr eu son rôle à jouer dans ce délicat rapprochement.

En fait, les papes ont une très longue pratique de la diplomatie. Il y a mille ans déjà, ils envoyaient des légats dans les royaumes de la chrétienté. Ce n’est cependant que depuis les accords du Latran en 1929, qui ont réduit la souveraineté temporelle du pape à la seule Cité du Vatican, que le rôle d’acteur international du Saint-Siège, exerçant une souveraineté spirituelle, est pleinement reconnu.

Le Vatican entretient aujourd’hui des relations diplomatiques avec plus de 180 pays (lire ci-dessous) et bénéficie du statut d’Etat observateur dans la plupart des organes de l’ONU. Il est aussi membre ou observateur de nombreuses organisations intergouvernementales, comme l’OSCE ou l’OMC.

La diplomatie vaticane telle qu’on la connaît aujourd’hui a pris son essor à l’époque du Concile Vatican II (1962-1965). Le 4 octobre 1965, devant l’Assemblée générale de l’ONU à New York, le pape Paul VI s’est exclamé: «Jamais plus la guerre! C’est la paix qui doit guider le destin des peuples et de toute l’humanité!»

Ce cri du cœur a trouvé un écho diplomatique dans l’Ost­politik du Vatican, une volonté de normalisation des relations avec le bloc de l’Est afin d’améliorer le sort des catholiques vivant derrière le Rideau de fer et d’assurer durablement la paix et la sécurité en Europe. Point d’orgue de la Détente, les accords d’Helsinki, en 1975, ont affirmé l’inviolabilité des frontières nées de la Seconde Guerre mondiale et encouragé la coopération entre les pays. Le Saint-Siège, invité à la conférence par les pays de l’Est, a réussi à imposer une «troisième corbeille» sur les droits de l’homme et la liberté de conscience.

«Nouveau souffle»

Aujourd’hui, la promotion de la paix et la défense des droits humains s’inscrivent toujours en tête des objectifs de la diplomatie du Saint-Siège qui sont présentés chaque année devant le corps diplomatique à Rome. L’encouragement au dialogue interreligieux, l’aide aux migrants et le soutien aux déshérités font aussi partie des priorités du pape François. Il apporte «un nouveau souffle» à la diplomatie vaticane, commente la vaticaniste Constance Colonna-Cesari***.

A l’instar de Jean-Paul II, François multiplie effectivement les voyages pour défendre inlassablement les opprimés. En Birmanie, il a encore appelé à «la paix, une paix fondée sur le respect de la dignité des droits de tout membre de la société, de tout groupe ethnique et de son identité». En bon diplomate, il a toutefois évité de prononcer le nom des Rohingya, l’ethnie musulmane persécutée.

Selon Le Monde, ce voyage reste en demi-teinte: «Le pape a été écouté, il n’a sans doute pas été entendu.» Mais les négociations ne font que commencer: le Saint-Siège n’entretient des relations diplomatiques que depuis février avec la Birmanie. Comme le dit l’adage romain: «Sub specie aeternitatis!» «Rien ne presse vu du ciel»!

* Laura Pettinaroli, La politique russe du Saint-Siège (1905-1939), Editions Ecole française de Rome, 2015.
** Jean-Michel Meurice, Le vrai pouvoir du Vatican, Ed. Albin Michel/Arte, 2010.
*** Constance Colonna-Cesari, Dans les secrets de la diplomatie vaticane, Editions du Seuil, 2016.


 

Un formidable réseau d’information planétaire

La diplomatie vaticane bénéficie d’un «formidable appareil» de renseignement. Il est même jalousé par les services secrets des grandes puissances.

Pour se faire entendre dans le concert des nations, le Saint-Siège – dont le territoire se limite aux 44 hectares de la Cité du Vatican et à moins de mille habitants – peut compter sur le rayonnement et la légitimité internationale de son souverain pontife, chef religieux de plus de 1,2 milliard de fidèles. Multipliant les discours et les gestes médiatiques, le pape jouit d’une forte visibilité, en particulier lors de ses nombreux voyages, qui agissent comme des caisses de résonance sur les problématiques locales et mondiales.

Mais la diplomatie vaticane doit aussi sa renommée à la secrétairerie d’Etat, le plus important dicastère de la Curie romaine. Elle compte d’habiles négociateurs rompus au soft power, dont son président depuis 2013, le cardinal Pietro Parolin. Cet organe gouvernemental, connu pour cultiver un certain goût du secret, peut se reposer sur un impressionnant réseau de nonciatures apostoliques, des ambassades réparties dans le monde entier. Le Saint-Siège entretient des relations avec 183 pays sur 195. Actuellement, 88 de ces Etats ont aussi un ambassadeur permanent à Rome.

Le Vatican peut aussi s’appuyer sur un réseau d’information planétaire. Ce sont tous ces évêques, prêtres, religieux, missionnaires qui, des coins les plus reculés du globe, font remonter leurs observations, témoignages et analyses jusqu’à Rome et en particulier au dicastère pour le service du développement humain intégral. Cette officine traite tout ce qui concerne «la justice et la paix, et notamment les problèmes relatifs aux migrations, à la santé, aux œuvres caritatives et au soin de la création», précisent ses statuts.

Pas étonnant, avec pareil réseau, avec ce «formidable appareil» jalousé par les services secrets des grandes puissances, que la diplomatie vaticane soit surveillée de près. Il y aurait même «une obsession américaine pour les informations estampillées Saint-Siège», selon Julian Assange, fondateur de WikiLeaks. En 2010, l’ONG a publié d’innombrables câbles diplomatiques américains qui concernent le Vatican. PFY

 

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