La Liberté

La Finlande, un siècle sur la brèche

Né au lendemain de la Révolution russe, le pays joue un rôle tampon entre l’Est et l’Ouest

Défilé d’étudiants à Helsinki. Chaque année, le 6 décembre, jour de la fête nationale, la Finlande commémore son indépendance. © DR
Défilé d’étudiants à Helsinki. Chaque année, le 6 décembre, jour de la fête nationale, la Finlande commémore son indépendance. © DR
La Finlande, un siècle sur la brèche
La Finlande, un siècle sur la brèche

Anne-Françoise Hivert, Helsinki

Publié le 01.12.2017

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Centenaire »   Fondée il y a tout juste 100 ans, la Finlande a connu un siècle mouvementé, marqué par quatre conflits. Etat neutre depuis l’après-guerre, elle est devenue une plaque tournante des relations est-ouest, entretenant des liens particuliers avec la Russie voisine. Entretien avec l’historien Kimmo Rentola, professeur à l’Université d’Helsinki et spécialiste des relations finno-russes.

L’indépendance de la Finlande a connu un précédent. En 1809, alors qu’elle était jusque-là sous domination suédoise, elle est devenue un grand-duché de l’Empire russe. Quels étaient ses privilèges?

Kimmo Rentola: Elle était déjà alors un Etat autonome, avec sa propre administration, son sénat, sa langue – le russe n’a jamais été langue officielle. Le grand-duché avait même des frontières avec la Russie et des douanes. Et si les Finlandais n’avaient pas de diplomatie ni d’armée, ils étaient assez satisfaits de la situation, jusqu’à ce que la Russie mène une politique d’homogénéisation, à la fin du XIXe siècle. L’idée de l’indépendance s’est alors renforcée, mais en marge de la scène politique: les cercles dits «responsables» et les acteurs de la vie économique ne pensaient pas que c’était réaliste, qu’on puisse se débarrasser de la Russie, qui était tellement puissante.

L’Histoire leur a alors donné un coup de pouce…

Pour que l’indépendance soit possible, il fallait que plusieurs événements se produisent et dans un certain ordre. D’abord, l’effondrement de l’Empire russe et l’arrivée au pouvoir des bolcheviks, les seuls prêts à signer l’indépendance. Puis, la signature du traité de Brest-Litovsk, qui a fait passer la Finlande dans la sphère d’influence allemande, créant les conditions de la victoire des «blancs» (les monarchistes, ndlr) à l’issue de la guerre civile en Finlande. Si les «rouges» avaient gagné, il est difficile d’imaginer que la Finlande serait restée indépendante, avec les bolcheviks au pouvoir en Russie. La défaite de l’Allemagne était aussi importante: les «blancs» avaient déjà accepté que la Finlande devienne un protectorat allemand. Les pays occidentaux ont aussi joué un rôle important en demandant l’organisation d’élections, permettant la démocratie.

Cette aspiration démocratique reposait aussi sur le passé…

Elle était notamment due à un attachement très important à la règle de droit, qui remonte à l’intégration de la Finlande à l’Empire russe. Un des principes était que les lois anciennes de la Suède restent en place. En Russie, par exemple, les paysans étaient des serfs; dans les pays nordiques, ils étaient libres. 1937 a aussi été une année charnière avec la formation d’un gouvernement, composé des sociaux-démocrates, des libéraux et du parti agraire, rassemblant les adversaires de la guerre civile.

La guerre d’Hiver éclate le 30 novembre 1939 et dure jusqu’au 13 mars 1940. Pourquoi est-elle si fondamentale pour l’identité finlandaise?

Parce que les Finlandais y ont survécu! L’URSS était déterminée à reprendre la Finlande, mais n’y est pas parvenue. L’idée générale est que les Finlandais se sont battus seuls, ce qui était vrai sur le front, mais on a découvert depuis que si Staline a accepté l’armistice, c’est parce qu’il craignait que les Français et les Anglais ne bombardent Bakou, d’où provenait 90% du pétrole et du gaz de l’URSS. Je pense que sans la guerre d’Hiver, la Finlande aurait hésité à participer aux campagnes d’Hitler. Mais les leaders finlandais voulaient reprendre les régions perdues. Les gens voulaient retrouver leurs maisons. Si l’Allemagne était très appréciée, les Finlandais n’étaient cependant pas pro nazis.

A la fin de la guerre, la Finlande se retrouve face à l’URSS. Elle doit lui concéder un certain nombre de territoires et une très lourde dette, qu’elle paiera dans sa totalité.

Il fallait sortir de la guerre au bon moment. Et c’est ce que la Finlande a fait, même si le pays est clairement repassé dans la sphère d’influence soviétique. Aucune aide n’est venue des pays occidentaux. Mais les Britanniques ont rendu un grand service à la Finlande, en exigeant de pouvoir continuer à en importer du papier et du bois contre des devises étrangères.

Quels étaient les sentiments des Finlandais à l’égard de l’URSS?

Les Finlandais ont souffert très peu de pertes civiles, pendant la Seconde Guerre mondiale: 90 000 soldats sont morts, mais seulement 2000 civils ont été tués. Les gens n’en étaient pas forcément conscients. Mais cela signifie que l’amertume n’était pas aussi forte qu’ailleurs. C’était plus facile d’accepter une politique jugée alors nécessaire et définie par notre président Paasikivi (1946-1956), qui soulignait l’importance d’entretenir de bonnes relations avec l’URSS.

C’est ce qui transparaît dans l’accord d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle signée avec l’URSS, en 1948?

Oui. Mais la Finlande est parvenue à négocier des conditions particulières. D’abord, le traité ne s’appliquait qu’en cas d’attaques contre le territoire finlandais. La Finlande n’était pas obligée de coordonner sa diplomatie avec Moscou. Et surtout l’introduction du traité mentionnait la neutralité de la Finlande.

La Finlande était-elle vraiment neutre?

C’était une neutralité prosoviétique. Tout le monde savait. Les pays occidentaux l’acceptaient parce que c’était la meilleure option possible. Au début en tout cas. Après, il y a eu des critiques. Mais ce dont on ne s’est pas rendu compte à l’époque, c’est que M. Kekkonen, le président le plus prosoviétique, au pouvoir de 1956 à 1982, a aussi œuvré à renforcer la position de la Finlande. Il a développé par exemple une route maritime vers l’Estonie et a encouragé l’organisation d’une conférence européenne de la sécurité, qui était une idée soviétique, mais dont il pensait qu’elle permettrait aux Etats européens de renforcer leur position.

Qu’est-ce que les Finlandais ont retenu de ces années?

L’Histoire a montré que dans n’importe quelle situation, il est nécessaire de garder le contact avec les Russes, car ils seront toujours là. Il importe de traiter avec eux. Les Finlandais estiment être capables de faire face aux Russes. Ils s’en sont plutôt bien tirés, au regard des options qu’ils avaient. L’expérience de la Seconde Guerre mondiale a aussi été fondamentale, en forçant le respect des Russes et en dotant les Finlandais d’une confiance en eux. On le voit encore aujourd’hui: les Finlandais n’ont pas peur de la Russie. Ils ne sont pas hystériques, comme certains de leurs voisins. Ils restent calmes..


 

Trois questions au Président finlandais, Sauli Ninistö

Président de la République de Finlande depuis 2012.

Que signifie, selon vous, la célébration du centenaire de l’indépendance?

C’est une fierté humble pour ce que nous avons accompli et une gratitude à l’égard des générations qui ont construit la Finlande. Nous regardons aussi vers l’avenir en gardant en mémoire cet héritage précieux qui nous permet d’avancer. Nous avons réalisé beaucoup de choses et nous en réaliserons davantage encore.

Quel est l’enseignement tiré de ce premier siècle d’existence?

Notre indépendance a débuté par une guerre civile. Mais nous avons ensuite construit une démocratie. C’est une des choses les plus importantes que nous devons garder en mémoire. L’égalité, le respect des droits de l’homme et la démocratie sont les valeurs sur lesquelles nous avons bâti la Finlande. Les Finlandais ont réalisé qu’ils avaient chacun un rôle à jouer dans la construction de la société et de la nation.

Quel avenir pour la Finlande?

Nous sommes le pays le plus stable du monde, selon Fund for Peace. C’est une bonne base pour continuer. Nous voulons une Finlande qui collabore, assure à ses citoyens la paix et une vie heureuse. Pour cela, nous devons toujours être préparés, être capables de réagir rapidement et de nous adapter, en suivant les changements qui se produisent. PROPOS RECUEILLIS PAR AFH

 

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