La Liberté

Lady Diana, l’apothéose d’une légende

Il y a vingt ans, la mort accidentelle de la princesse de Galles provoquait un raz-de-marée émotionnel

Propos recueillis par 
Pascal Fleury

Publié le 25.08.2017

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Tragédie »   Le 31 août 1997, Lady Diana décède des suites d’un accident de voiture dans le tunnel du pont de l’Alma, à Paris, alors qu’elle est accompagnée de son compagnon Dodi Al-Fayed, de leur chauffeur Henri Paul et du garde du corps Trevor Rees-Jones. Aussitôt, sa mort provoque un raz-de-marée émotionnel en Grande-Bretagne et sur toute la planète. L’historien et angliciste français Bernard Cottret, professeur émérite de civilisation britannique à l’Université de Versailles, décrypte cet événement tragique qui a fait trembler la Couronne.

Comment expliquez-vous cette extrême émotion du public à la mort de Lady Diana?

Bernard Cottret: La mort de Lady Di, prise de façon superficielle, aurait pu relever de l’anecdote. Une jeune Anglaise de 36 ans entre dans une voiture à Paris. Le chauffeur fait un excès de vitesse. La passagère est tuée: on est typiquement dans le fait divers. Ce qui a donné une consistance au drame, c’est la légende de Lady Di. Une légende née dès ses fiançailles et son mariage avec le prince Charles en 1981. Et qui n’a cessé de s’amplifier pendant seize ans, avec une extrême charge émotionnelle. La mort de Lady Di intervient alors en apothéose. Elle est le couronnement tragique d’une existence malheureuse.

Cette légende est largement l’œuvre de la presse people…

Les médias ont joué assurément un rôle d’accélérateur. Par leur complaisance, ils sont en partie responsables de l’ampleur qu’a prise la crise du couple princier. Lady Di a fait le beurre des paparazzis. Cela dit, les médias répondaient aussi aux attentes d’un public avide de détails sur la famille royale. Et Lady Diana elle-même a alimenté sciemment ce roman-photo, peut-être par esprit de vengeance. On l’a vue au chevet des malheureux, des malades, des sidéens… Une belle générosité! Toute la légende de Lady Di a consisté à en faire une victime de la Couronne, mais elle s’est fait prendre au piège qu’elle avait tendu.

Pourtant, au départ, le mariage princier de Lady Di s’annonçait aussi beau qu’un conte de fées?

C’est l’image de la bergère qui a épousé le prince charmant! En réalité, Lady Di était issue de la noblesse. Son père était le vicomte Edward Spencer, un nom d’origine anglo-normande remontant au Moyen Age. Sa famille a été souvent active sur la scène politique anglaise. Winston Churchill lui-même était un Spencer. La princesse de Galles s’affichait volontiers comme une «rebelle» face à l’establishment, mais elle y faisait corps par tous les pores de sa peau. Elle répondait en fait à tous les critères pour devenir un jour reine d’Angleterre. Y compris de par son appartenance religieuse. En tant que futur chef de l’Eglise anglicane, Charles n’aurait pu épouser une «papiste». Le couple semblait donc parfait. Une véritable légende dorée! Mais l’histoire nous a montré qu’en matière de couples, il convient de se méfier. On l’a vu en France avec les précédents couples présidentiels…

Pour Lady Di, cela s’est vite gâté…

Le malaise s’est révélé par l’image, lorsqu’elle est devenue boulimique. Avec l’échec de sa vie conjugale, tout son corps s’est soudain transformé. Diana était malheureuse et cela se voyait. La pauvre fille découvrait que son mariage d’amour était du «toc» dès le départ, du cinéma avec un rôle à assumer. Or à ce niveau de responsabilité, une princesse n’a pas le droit d’avoir des états d’âme.

La reine n’a pas du tout apprécié…

La reine Elizabeth est la femme d’une fonction. Elle ne dit jamais un mot plus haut que l’autre, elle assume son rôle jusqu’au bout, avec une éthique exemplaire. Dans sa logique, une princesse n’a pas à laisser paraître ses sentiments. Et encore moins à affecter de la sorte l’image de la famille royale. Elle y a vu un danger pour la monarchie, qui fonctionne sur l’honneur et l’affect, l’amour du peuple pour son roi et sa reine.

En 1996, le couple princier finit par divorcer. La reine peut tourner la page. Et voilà que Diana meurt dans un accident!

La reine n’a pas mesuré tout de suite la gravité de la situation. A la fin de l’été, elle est au château de Balmoral en Ecosse avec ses petits-enfants William et Harry, comme le veut la tradition depuis l’époque victorienne. Elle tarde à s’exprimer publiquement, ce qui est une erreur de communication. Elle va se rattraper ensuite, en intervenant en direct à la télévision. Cela a été une crise grave pour la Couronne. Mais pas une révolution.

Sous la pression populaire et les recommandations de Tony Blair, la reine va finalement accepter des funérailles «royales»…

Lady Diana n’était plus altesse royale depuis son divorce. Mais pour la reine, elle restait la mère de ses petits-enfants William et Harry. Tony Blair a effectivement eu le beau rôle dans cette crise, comme le raconte le film The Queen, de Stephen Frears. C’est quand même incroyable que ce soit un premier ministre travailliste qui sauve la monarchie! Tout cela est joliment embelli!

La monarchie s’est-elle remise de cette crise?

Avec le recul, on peut dire que l’image de la reine est sortie renforcée de ce drame. Aujourd’hui, certains médias soufflent sur les braises dans l’espoir d’en tirer profit. Des enregistrements ont été exhibés. C’est du réchauffé de mauvais goût. Le vrai problème, pour moi, c’est l’avenir de la monarchie. Que va-t-il se passer après la disparition de la reine Elizabeth? Et surtout, qu’adviendra-t-il du Royaume-Uni après le Brexit? Son unité est centrée sur la monarchie. Si le royaume éclate, l’Ecosse deviendra sûrement une république. Le risque, c’est que personne n’en sorte gagnant.

Bernard Cottret, Ces reines qui ont fait l’Angleterre, Ed. Tallandier, 2016 (sortie en poche dans la collection Texto en septembre 2017). Et Histoire de l’Angleterre, Ed. Tallandier, 2011.

Doc TV: Diana: les sept jours 
qui ébranlèrent 
le Royaume-Uni
Di: 20h40 Lu: 23h


 

Un épiphénomène dans l’histoire de la monarchie

La monarchie britannique a connu bien d’autres crises graves par le passé, mais elle s’est toujours relevée.

Si la mort de Lady Diana a fait trembler un temps la Couronne, ce drame reste un «épiphénomène» en regard de l’histoire de la monarchie en Grande-Bretagne, relativise l’historien Bernard Cottret. «La monarchie a été bien plus affectée dans le passé. Croire qu’autrefois on aimait les rois et que la monarchie n’est en crise que depuis quelques décennies est une erreur. La cote de la Couronne a toujours été en dents de scie!»

Le XVIIIe siècle, en particulier, a été catastrophique pour les souverains de la Maison de Hanovre, à qui l’on reprochait d’être des Allemands. Les rois George Ier et George II en ont beaucoup souffert. «La situation s’est à peine améliorée sous George III, le monarque étant malade et ayant perdu l’Amérique, ce qui n’a rien arrangé!», observe le spécialiste de l’Angleterre. La crise la plus grave intervient sous George IV, roi entre 1820 et 1830. Ses relations avec son épouse Caroline de Brunswick sont si détestables qu’il lui interdit d’assister à son couronnement. Il tente même de faire passer une loi devant la Chambre des Lords pour pouvoir annuler le mariage et retirer son titre à la reine. «Mais une grande partie de l’opinion a pris position en faveur de la reine, estimant qu’elle était bafouée par son mari», raconte le professeur, y voyant déjà un acte de féminisme naissant. Le poète romantique Shelley avait participé au mouvement de contestation.

La Couronne retrouve son lustre avec la reine Victoria, en 1838. Puis avec le roi George VI, après l’abdication en 1936 de son frère germanophile Edouard VIII, amoureux de l’Américaine Wallis Simpson. Durant la Seconde Guerre mondiale, George VI décide de rester à Londres auprès de ses sujets, malgré les bombes. «La famille royale devient alors une icône patriotique», souligne l’historien, estimant que c’est dans ce climat de rigueur que la reine Elizabeth a forgé son caractère. Et de commenter: «Pas étonnant qu’elle ne puisse comprendre l’univers de stars de cinéma qu’est devenue la monarchie!» PFY


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