La Liberté

Le pilote qui a décapité l’Armée rouge

En 1987, le jeune Mathias Rust réussit à survoler l’URSS jusqu’à Moscou. Furieux, Gorbatchev sévit!

Pascal Fleury

Publié le 20.10.2017

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Guerre froide »   Deux ans avant la chute du Mur de Berlin, un aviateur allemand de 18 ans, Mathias Rust, survole l’URSS aux commandes d’un petit monomoteur Cessna de type 172P de location et, sans être inquiété sur 800 km, se pose à côté de la place Rouge à Moscou. Aussitôt arrêté, il ne se rend pas compte qu’il vient de participer, par son geste effronté, à la chute du communisme.

L’exploit du pilote en herbe aurait pu rester une anecdote insignifiante des dernières années de la guerre froide, dans une Union soviétique marquée par la glasnost (transparence) et la perestroïka (restructuration). Le jeune Allemand de Hambourg avait entrepris un périple de deux semaines, via Reykjavik en Islande, et Bergen en Norvège. Mais le 28 mai 1987 vers 12h30, alors qu'il décolle de Helsinki, il décide de se dérouter vers Moscou, volant à basse altitude.

Atterrissage sur un pont

Le pilote amateur traverse la frontière soviétique près de Leningrad, l’actuel Saint-Pétersbourg. Pour trouver sa route, il survole les voies de chemin de fer. Un temps, deux chasseurs MiG semblent l’accompagner, mais sans l’incommoder. Si bien qu’après 5h30 de vol, il rejoint sans encombre la capitale soviétique.

Equipé d’une carte de la ville, il fonce vers le Kremlin et s’offre le luxe de tourner deux fois autour de la place Rouge. Mais pour se poser, il doit chercher une autre piste d’atterrissage, la place était encombrée de touristes et autres piétons. Il opte alors pour un pont assez peu chargé sur la Moskova, à l’est du Kremlin. «Je me souviens qu’à ma droite roulait une Lada bleue. Lorsque je l’ai dépassée, le chauffeur m’a regardé les yeux ébahis. Je me suis dit: pourvu qu’il ne perde pas le contrôle de son véhicule, sinon c’est la sortie de route pour les deux», racontera-t-il à son retour en Allemagne.

Le monomoteur s’immobilise finalement sur la place Vassili Spusk, au pied de la cathédrale Basile-le-Bienheureux, suscitant aussitôt un petit attroupement de curieux. Il leur explique que le but de son geste est de «promouvoir la paix dans le monde» et signe même quelques autographes avant que la police ne vienne l’arrêter.

«Message de paix»

«Je voulais laisser un message à l’humanité», affirmera-t-il un quart de siècle plus tard au quotidien tabloïd russe Komsomolskaïa Pravda. «Je voulais faire une première brèche dans le rideau de fer pour mettre fin à la guerre froide. J’espérais aussi participer d’une façon active à la perestroïka.» Considéré comme un héros par de nombreux Russes, Mathias Rust reconnaît toutefois qu’il n’aurait plus le courage d’entreprendre pareille aventure aujourd’hui.

C’est que son geste spectaculaire lui a valu 432 jours dans les geôles moscovites. En fait, son action n’a pas du tout été vue comme un signe de paix ni même comme une frasque de jeunesse, par le régime soviétique de l’époque. Elle a été une véritable humiliation pour la défense militaire, qui n’avait même pas réussi à intercepter ce minuscule avion civil sur son territoire pourtant hautement surveillé.

Terrible camouflet

Pour Mikhaïl Gorbatchev, c’est un terrible camouflet: «A vrai dire, j’étais ébranlé: nos systèmes antiaériens garantissaient techniquement à 100% l’inviolabilité de notre espace aérien dans des conditions incomparablement plus complexes. Le problème ne venait pas du matériel, mais de ceux qui étaient chargés de l’utiliser et, donc, de l’organisation – ou plutôt de la désorganisation – des forces armées», écrit-il dans ses Mémoires*.

Pour se dédouaner, certains gradés évoquent une possible mission d’espionnage, ou suspectent des intrigues de palais. Mais pour l’historien Bernard Lecomte**, cet incroyable déficit sécuritaire, qui va faire la «une» de tous les journaux de la planète et susciter l’hilarité à l’ouest, s’explique simplement par un concours de circonstances: «En ce jour de la Fête des gardes-frontière, tous les soldats chargés de la défense du territoire étaient saouls!»

Purges au sommet

Mikhaïl Gorbatchev prend alors des mesures «staliniennes». Soutenu «à l’unanimité» par le Politburo, il fait limoger le ministre de la Défense, le maréchal Sergeï Sokolov, et le responsable de la défense aérienne, Alexander Koldunov. Plusieurs autres commandants militaires de haut rang et des centaines d’officiers passent aussi à la trappe.

En fait, le «scandale» du jeune casse-cou va être le prétexte bienvenu pour une vaste purge, un cadeau tombé du ciel pour le réformiste Gorbatchev. Grâce au jeune pilote Rust, il va pouvoir se débarrasser de hauts gradés opposés à sa politique de détente avec les Etats-Unis.

«Sa réaction particulièrement brutale – comportement inhabituel chez Gorbatchev – était un geste politique calculé, destiné à amoindrir le rôle politique excessif acquis par les militaires dans la hiérarchie soviétique», commente Andreï Gratchev***, qui fut l’un des conseillers et le dernier porte-parole du président de l’URSS. En ce sens, Mathias Rust n’avait pas tort, quand il affirmait: «Je crois avoir un peu accéléré la perestroïka.»

* Mikhaïl Gorbatchev, Mémoires, Editions du Rocher, 1997.
** Bernard Lecomte, Gorbatchev, Editions Perrin, 2014.
*** Andreï Gratchev, Gorbatchev – Le pari perdu?, Editions Armand Colin, 2011.


 

Une guerre des étoiles fatale pour Mikhaïl Gorbatchev

Lorsque Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev se rencontrent pour la première fois à Genève en novembre 1985, la guerre froide connaît une nouvelle course à l’armement. Alors que les deux hommes célèbrent l’apaisement devant les caméras, une partie de poker s’engage en coulisses. Au cœur du conflit, le vaste programme d’«initiative de défense stratégique» (IDS) de l’administration Reagan, une panoplie de guerre des étoiles dont le but est de créer un bouclier capable de détecter et de détruire tout missile ennemi, protégeant de facto les Etats-Unis de toute attaque nucléaire soviétique. L’URSS, dont l’économie et la société se délabrent, ne peut suivre. Pour le Kremlin, il n’y a d’autre issue que la négociation.

Hasard du calendrier, c’est à ce moment-là, en URSS, qu’arrive au pouvoir un jeune dirigeant peu connu, Mikhaïl Gorbatchev, déterminé à rompre avec le repli de ses prédécesseurs. S’il prône le dialogue avec les Etats-Unis, c’est pour sauver la «patrie des travailleurs», asphyxiée par la coûteuse course aux armements, plus que par crainte des ogives américaines.

Au terme de trois ans d’âpres négociations – sur fond de menaces atomiques récurrentes –, les grands ennemis finiront par mettre fin à la guerre froide. Une paix dont Gorbatchev était convaincu qu’elle sauverait l’URSS. C’est elle, pourtant, qui lui sera fatale. PFY

 

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Radio: Ve: 13h30
TV: Gorbatchev-Reagan ­– Duel au sommet
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