La Liberté

Le rêve impossible du panarabisme

Seule tentative aboutie, la République arabe unie réunissant l’Egypte et la Syrie n’a duré que trois ans

Chantre de l’union panarabe, Gamal Abdel Nasser est acclamé par les foules. Jusqu’à ce que son autoritarisme les fasse déchanter. © RTS
Chantre de l’union panarabe, Gamal Abdel Nasser est acclamé par les foules. Jusqu’à ce que son autoritarisme les fasse déchanter. © RTS
Les présidents syrien al-Kouatli (à g.) et égyptien Nasser célèbrent la création de la République arabe unie le 1er février 1958 au Caire. © DR
Les présidents syrien al-Kouatli (à g.) et égyptien Nasser célèbrent la création de la République arabe unie le 1er février 1958 au Caire. © DR

Pascal Fleury

Publié le 02.06.2017

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Union panarabe »   En février 1958, l’Egypte et la Syrie unissent leurs destins en fusionnant dans un nouvel Etat, la République arabe unie, avec Le Caire pour capitale. Premier pas prometteur d’une union panarabe, cette alliance, qui enthousiasme d’abord les foules, ne survivra cependant que trois ans et sept mois à l’autoritarisme du président Gamal Abdel Nasser.

Comment cette expérience, unique en son genre, a-t-elle pu se concrétiser? Et comment comprendre que l’idéologie panarabe dominante des années 1950 se soit soldée si rapidement par un échec? Quelques éléments de réponse sous forme de mots clés, alors que la RTS diffuse ce dimanche un intéressant portrait de Nasser à l’enseigne d’Histoire vivante.

Déclenchement

Tout commence par une histoire d’eau. Le président Gamal Abdel Nasser, qui veut apporter une solution aux problèmes hydrauliques et électriques de l’Egypte, décide de faire construire le haut barrage d’Assouan. L’idée est de mieux protéger la vallée du Nil contre les crues, de gagner des terres agricoles, de fournir de l’eau aux collectivités, de faciliter la navigation fluviale, d’apporter de nouvelles ressources énergétiques, mais aussi de donner au régime une image de marque «pharaonique» faisant un peu oublier la misère du peuple.

L’Occident refusant de financer le projet, Nasser annonce en juillet 1956 la nationalisation du canal de Suez. La France et le Royaume-Uni s’allient à Israël pour tenter de reprendre le contrôle. Mais leur offensive est bloquée sous la pression américaine, l’Union soviétique ayant brandi la menace nucléaire.

Pour Nasser, qui a rendu sa dignité au peuple égyptien face aux puissants, c’est le triomphe. Il devient l’homme du nationalisme arabe populaire, le chantre de l’union panarabe désireux «d’en rassembler les membres» dans une communauté de langue, d’histoire et d’oppression vécue. Nasser trouve aussitôt un écho favorable du côté de la Syrie en crise. Le parti Baas (Parti de la résurrection arabe et socialiste) pousse à la fusion. Son fondateur et secrétaire général Michel Aflaq a la conviction qu’«il n’y aurait pas d’unité arabe sans l’Egypte». L’armée syrienne se rallie.

Engouement

Le 1er février 1958, les présidents syrien Choukri al-Kouatli et égyptien Gamal Abdel Nasser signent la fusion des deux pays, donnant naissance à la République arabe unie (RAU). L’union est approuvée par les Syriens avec un score «soviétique» de plus de 92%. Elle est alors perçue comme une «formule magique» devant permettre d’affronter les questions essentielles, à savoir le développement économique et la tension avec Israël, selon l’historien ­Henry Laurens. Nasser, plébiscité comme président, se rend plusieurs fois en Syrie, où il est acclamé par des foules en délire. La bourgeoisie industrielle syrienne applaudit aussi l’union, espérant que le marché égyptien lui sera plus largement ouvert.

De nombreux Libanais rêvent de rejoindre le nouvel Etat, mais leurs élans sont stoppés par les chrétiens maronites. Le Royaume mutawakkilite du Yémen (nord) y adhère un temps, espérant en vain obtenir un soutien égyptien face aux Britanniques. L’Irak s’en approche aussi, concluant des accords économiques, scientifiques et culturels. Mais le général Abdul Karim Kassem décide finalement de ne pas abandonner le pouvoir.

Désenchantement

«L’Irak, en se joignant à la RAU, aurait pu contrebalancer l’hégémonie égyptienne», analyse le sociologue Olivier Carré, dans Le nationalisme arabe. Mais, seul au pouvoir, Nasser contrôle la Syrie comme une simple province. Ne réalisant pas que la population syrienne est de classe moyenne et cultivée, il lui impose une pression policière étouffante et une lourde bureaucratie. Il interdit les partis politiques traditionnels, diminue peu à peu la représentation syrienne au gouvernement, supprime les Conseils provinciaux, cantonne l’armée syrienne dans les casernes.

Echec programmé

L’autoritarisme de Nasser, doublé de trois années de sécheresse, attise la colère populaire, alors que la nationalisation de pans entiers de l’économie entraîne la fuite de grandes familles syriennes. Dans l’amertume, un mouvement séparatiste se forme. Le 28 septembre 1961, un coup d’Etat militaire, mené sans coup férir, rend son indépendance à la Syrie.

Parmi les officiers opposés à la domination de Nasser se trouve Hafez el-Assad. Ce baassiste panarabe accédera au pouvoir en 1970, imposant un régime dictatorial jusqu’à sa mort en 2000. Son fils Bachar, embourbé dans la guerre de Syrie, semble avoir définitivement oublié la «formule magique» du panarabisme.

Pour en savoir plus:

Henry Laurens, L’Orient arabe, Editions Armand Colin, 2015. Et Paix et guerre au Moyen-Orient, Ed. Armand Colin, 2005.

Jean Lacouture, Nasser, Seuil, 1971.

Olivier Carré, Le nationalisme arabe, Editions Payot, 2004.


 

Du nationalisme arabe au panislamisme de Daech

Le mythe du nationalisme panarabe n’a pas survécu aux rêves de Nasser et Kadhafi. L’idéologie panislamiste a peu à peu pris le dessus.

Le projet de création d’une unité politique allant du Maroc au golfe Persique n’est pas nouveau. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, il est brandi dans le cadre de mouvements de solidarité et de fraternité entre les musulmans mais aussi dans une volonté de résistance face à l’expansion coloniale occidentale et au pouvoir dominant ottoman.

L’idée d’unification est défendue en particulier par les Hachémites de Transjordanie et d’Irak, mais navigue longtemps entre arabisme et islamisme, dans une certaine confusion ou ambiguïté.

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le nationalisme arabe va se distinguer clairement de l’islamisme. Pour le fondateur de la pensée panarabe, l’intellectuel syrien Sati al-Housri (1880-1967), le nationalisme arabe repose sur une base linguistique, laïque et non confessionnelle: «Est Arabe celui qui parle arabe, qui se veut Arabe et qui se dit Arabe.» En 1950 au Caire, il déclare ainsi que «Syriens, Irakiens, Libanais, Jordaniens, Hedjaziens, Yéménites appartiennent tous à une seule nation, la nation arabe».

Après la nationalisation du canal de Suez par le président Nasser, le panarabisme devient l’idéologie dominante du monde arabe, en prenant des couleurs révolutionnaires et socialisantes. La République arabe unie (1958-1961) est cependant le seul projet à aboutir, alors que 17 tentatives de fusion échouent, dont la Fédération arabe d’Irak et de Jordanie (entre cousins hachémites) ou l’Union des Républiques arabes (Libye, Egypte, Syrie) projetée par le leader libyen Mouammar Kadhafi.

L’échec de la coalition arabe lors de la guerre des Six-Jours contre Israël va sonner le glas du panarabisme, permettant à l’idéologie panislamiste, autrefois défendue par les sultans ottomans, de reprendre le dessus. C’est le rêve fraternaliste des Frères musulmans. C’est l’aspiration d’al-Qaïda à créer une nation musulmane allant du Maroc jusqu’en Indonésie. C’est la proclamation d’un califat en 2014 par le groupe Etat islamique (Daech). Le mythe unitaire a la vie dure... PFY

 

Histoire vivante sur la RTS

Radio: Ve: 13 h 30

TV: Nasser, du rêve au désastre
, dimanche 20h25 et lundi 24h


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