La Liberté

Quand la Suisse rêvait de pétrole

Quelque 40 forages d’hydrocarbures ont été réalisés sur le Plateau en un siècle. Un seul a pu être exploité

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Le puits de Finsterwald (Lucerne) en 1982, le seul à avoir pu être exploité en Suisse, de 1985 à 1994, fournissant 74 millions de m3 de gaz. © Bild+News
Le puits de Finsterwald (Lucerne) en 1982, le seul à avoir pu être exploité en Suisse, de 1985 à 1994, fournissant 74 millions de m3 de gaz. © Bild+News
Quand la Suisse rêvait de pétrole
Quand la Suisse rêvait de pétrole

Pascal Fleury

Publié le 12.10.2018

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Hydrocarbures » La Suisse a des idées… et du pétrole! C’est du moins l’espoir qui a jailli en 1963 à Essertines-sur-Yverdon, lorsque de l’or noir «aussi beau que celui de Libye», a pu être extrait du sous-sol vaudois, après plusieurs décennies de recherches intensives à travers le pays. «Nous avons déjà tiré des milliers de litres!», s’est réjoui l’industriel et colonel divisionnaire Edouard Petitpierre, président de la SA des Hydrocarbures à Lausanne, lors de l’annonce officielle de la découverte.

«Nous sommes certains qu’il y a du pétrole et que sa qualité est excellente, mais il est impossible d’en préciser la quantité», a-t-il ajouté dans les colonnes de L’Impartial1. Le pétrole a été trouvé entre 2300 et 2936 m de profondeur, dans des roches âgées de plus de 180 millions d’années. De fait, l’installation a rencontré de grandes difficultés techniques. Jusqu’en 1966, elle n’a pu pomper que 100 tonnes de brut, selon le Bulletin de l’Association suisse des géologues et ingénieurs du pétrole2. Le gisement s’est finalement révélé non rentable, mais ce demi-succès a encouragé la poursuite de la prospection.

Indices historiques

Ce premier puits de pétrole helvétique venait en effet confirmer les nombreux indices d’hydrocarbures déjà observés dans le pays. A commencer par l’important gisement d’asphalte du Val-de-Travers (NE), découvert en 1711 par le savant et médecin grec Eyrini d’Eyrinis. Jusqu’en 1986, les mines du site de la Presta – près de 100 km de galeries! – ont fourni plus de deux millions de tonnes de ce mélange de bitume et de calcaire.

Utilisé autrefois pour le carénage des vaisseaux de la compagnie des Indes ou l’imperméabilisation des bassins de Versailles, cet asphalte neuchâtelois a servi plus tard à couvrir les routes du New Jersey ou de Rio de Janeiro et à revêtir des ponts à Neuchâtel, Fribourg ou au Tessin.

Sourciers en renfort

Au XIXe siècle, alors qu’une industrie du pétrole se développe outre-Atlantique, d’autres suintements pétrolifères et émanations gazeuses attisent peu à peu la curiosité des prospecteurs et des scientifiques. Comme à Dardagny (GE), où une exploitation artisanale de gisements bitumineux est mise en place. Le pétrole se vend alors au litre en droguerie.

Au début du XXe siècle, le professeur de l’EPFZ Arnold Heim est le premier à mener des recherches systématiques de géologie pétrolière en Suisse. Il promet du pétrole dans le sous-sol suisse, qu’il documente de Genève jusqu’en Argovie3. Les deux premiers forages ont lieu en 1912 à Chavornay dans le Nord vaudois, à une profondeur de 200 m. Mais le choix des sites de prospection, fait sur recommandation de sourciers, reste aléatoire.

Ce n’est que dans les années 1950, avec le développement de la géophysique et des analyses sismiques, que l’exploration prend un caractère véritablement scientifique. Le boom de l’automobile, avec un triplement du nombre de véhicules à moteur entre 1950 et 1960, et la crise du canal de Suez en 1956, qui entrave l’approvisionnement du pays, encouragent la prospection indigène.

Le sous-sol profond relevant de la souveraineté cantonale, plusieurs cantons investissent dans des sociétés d’exploration. Une holding est aussi créée en 1959 sous le nom de Swisspetrol. Elle acquiert des parts importantes dans les sociétés régionales dans l’idée d’unir les forces, mais aussi d’éviter que le sous-sol ne finisse en mains étrangères. Des sociétés comme Shell ou Esso sont partenaires, apportant leur savoir-faire et leur matériel.

C’est ainsi qu’en huit ans, pas moins de 17 forages sont entrepris dans sept cantons, dont Vaud et Fribourg. La plupart n’apportent aucun résultat. En 1960 à Sorens, en Gruyère, des indices de présence de gaz et pétrole sont attestés, sans plus. Des gisements de gaz naturel sont en revanche découverts à Pfaffnau (LU) en 1963 et à Linden (BE) dix ans plus tard. Mais leur exploitation commerciale ne s’avère pas rentable. Le gaz doit être torché.

Les nouveaux forages menés dans le contexte des deux chocs pétroliers de 1971 et 1978 n’apportent rien de plus. «Romanens ne sera pas le Koweït fribourgeois», titre en 1977 La Liberté, après l’échec d’un forage à 4022 m de profondeur dans le village gruérien. L’année suivante, à Treycovagnes (VD), où Swisspetrol et Shell investissent 9 millions de francs pour un forage à 3221 m, on parle en vain de «Texas de la Suisse». Suite à de nombreux échecs, la holding Swisspetrol est liquidée en 1996.

Un seul gisement exploité

Finalement, sur 39 forages réalisés en un siècle, et des investissements pour plus de 300 millions de francs, un seul forage a débouché sur une exploitation, à Finsterwald dans l’Entlebuch lucernois. 74 millions de m3 de gaz ont été extraits entre 1985 et 1994 pour être injectés dans le gazoduc Hollande-Italie, situé à proximité. Le dernier sondage en date, en 2009-2010 à Noville (VD), au bout du Léman, a décelé du gaz naturel conventionnel et du gaz piégé dans des grès serrés. Mais son extraction par fracturation hydraulique suscite de vives oppositions. La balle est désormais dans le camp politique.

1 L’Impartial, 22 août 1963.

2 Patrick Lahusen et Roland Wyss, Bulletin der Vereinigung Schweiz. Petroleum-Geologen und -Ingenieuren, Vol. 62, N° 141, décembre 1995.

3 Monika Gisler, Erdöl in der Schweiz – Eine kleine Kulturgeschichte, Verein für wirtschaftshistorische Studien, 2011.

 


 

Des réserves de gaz pour 30 ans

Dans le sous-sol suisse, les hydrocarbures se trouvent non pas dans des poches, mais dans les interstices des roches. «Plus il y a de porosité, plus il peut y avoir de gaz ou de pétrole», explique Jon Mosar, professeur de géologie à l’Université de Fribourg. «S’agissant du pétrole, les chercheurs n’ont pas trouvé de grandes réserves. Pour le gaz, on a probablement en Suisse des réserves d’environ 120 milliards de m3 dans les schistes du Lias, daté de 175 à 200 millions d’années.» Soit des stocks pour une trentaine d’années.

Le regain d’intérêt pour ce gaz s’explique par les progrès de l’extraction par fracturation hydraulique. «Cette technique est éprouvée, mais le risque zéro n’existe avec aucune technologie», affirme le chercheur, auteur du rapport sur la structure géologique du canton de Fribourg. «Moyennant des études détaillées du sous-sol, avec campagnes sismiques en 3D, le risque de tomber par exemple sur une faille sismique, comme à Saint-Gall dans le cadre de la géothermie profonde, peut être réduit considérablement.» PFY


 

Coup de poker sur le brut

 

Grâce à leur pétrole de schiste, les Etats-Unis deviennent le premier producteur d'or noir de la planète. Ils bouleversent ainsi l'ordre pétrolier mondial au grand dam de leurs alliés saoudiens. Cette incroyable partie de poker entre pays producteurs dessine un nouveau monde, prémices de l'après pétrole.

 

 


 

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