La Liberté

Simone Veil, la force du «sexe faible»

Elle entrera au Panthéon le 1er juillet prochain. En 1975, elle faisait voter la loi autorisant l’avortement

Nouveau: film documentaire désormais disponible au bas de l'article

Eric Favereau

Publié le 01.06.2018

Temps de lecture estimé : 10 minutes

Portrait» Ses yeux, éblouissants, bleus comme le ciel. Ses colères qui explosaient, aussi brutales qu’inattendues. Son émotion à l’Assemblée quand des députés l’injuriaient lors de la loi sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse) en 1974. Son combat pour l’idéal européen. Ou encore cette silhouette si fragile qui lui ressemblait si peu, là, debout, immobile, entraînée par son mari, le regard dévoré par la maladie, qui lui sera fatale en juin 2017.

Simone Veil, ce sont des mots, aussi, qu’elle tenait en 1995 en qualité de ministre des Affaires sociales du Gouvernement Balladur lors d’un voyage officiel à Beyrouth. «Vous savez, malgré un destin difficile, je suis, je reste toujours optimiste. La vie m’a appris qu’avec le temps, le progrès l’emporte toujours. C’est long, c’est lent, mais en définitive, je fais confiance.» Propos apparemment banals, propos qui pourraient paraître naïfs s’ils venaient de quelqu’un d’autre. Simone Veil est ainsi. Par un curieux hasard du calendrier, Simone Veil s’était trouvée quelques jours plus tôt à Auschwitz où elle dirigeait la délégation française aux cérémonies de commémoration de la libération du camp. Un camp où elle-même a été déportée. «Aujourd’hui, je ne suis pas émue. Il n’y a plus la boue, il n’y a plus le froid. Il n’y a plus surtout cette odeur. Le camp, c’était une odeur, tout le temps.»

Enfance et déportation

Sa vie? C’est celle d’une famille du siècle dernier. Une famille, car on ne peut comprendre le saisissant parcours de cette femme hors pair si on laisse de côté sa mère, son enfance heureuse, cette vie forte et belle. Sa mère Yvonne qui ressemblait «à Greta Garbo», «une femme exceptionnelle». Son père, André Jacob, est un brillant architecte. C’est une famille bourgeoise, aisée. Ils vivent tous à Nice.

Chez eux, la religion n’existait pas vraiment, c’était une vieille famille juive installée en France depuis des générations. Et c’est une famille où tout bascule à l’orée de la vie. Simone n’a que 16 ans lorsqu’elle est arrêtée avec sa mère et sa sœur Milou. Le 15 avril 1944, elles arrivent sur la rampe d’accès du camp d’Auschwitz-Birkenau. Sa beauté, dira Simone Veil, l’a protégée. «J’ai été protégée par une femme kapo, qui m’a dit: tu es trop jolie pour mourir ici, et elle m’a envoyée, avec ma mère et ma sœur, dans un camp voisin au régime moins dur.» Sa mère, épuisée, mourra du typhus quelques mois plus tard. Avant que les Anglais ne libèrent le camp de Bergen-Belsen.

Ne pas jouer les Poulidor

A peine de retour, c’est la vie qui reprend, comme un courant d’eau que l’on ne peut arrêter. Quoi qu’il arrive, Simone Veil est debout. Ses parents sont morts, son frère aussi. Elle commence Sciences Po. Antoine Veil? Un camarade de promotion. Ils sont amoureux. Mariage à 19 et 20 ans, enfant l’année suivante; il y en aura trois. Et entre eux, la répartition des tâches est alors classique: à lui les responsabilités professionnelles, à elle les fourneaux. Simone veut pourtant travailler.

Antoine refuse: «J’appartiens à une génération macho où les bourgeoises convenables restaient à la maison.» Simone veut être avocate. «Pas question», lui dit Antoine. A force de prises de bec et de disputes, elle décroche l’autorisation de devenir magistrate. En 1970, elle devient secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature. Mais c’est toujours Antoine qui est la personnalité publique la plus voyante. Par un concours de circonstances, tout va permuter. Simone Veil est repérée puis promue par Valéry Giscard d’Estaing comme ministre de la Santé, sur les conseils de Jacques Chirac. Antoine Veil, alors conseiller de Paris, accepte. Et se replie sur le monde des affaires. «Quand j’ai vu qu’elle allait évoluer en formule 1, je suis retourné au fond de la classe. Je ne voulais pas jouer les Poulidor.»

Une promesse de Giscard

La voilà donc au gouvernement, en 1974. Giscard est président, mais elle n’a pas voté pour lui. Chirac? Elle apprécie l’homme, mais pas le politique, et pourtant elle devient sa ministre de la Santé. Simone, la rebelle, est ravie de ce pied de nez inattendu, mais elle pense que «ça ne durera que quelques semaines», le temps de «balancer une énorme gaffe». En fait de gaffe, elle ne tarde pas à faire ses preuves et «perce», comme dira son mari, sur un thème qui marquera sa vie. C’était, en effet, une promesse du candidat Giscard: dépénaliser l’avortement, et a priori ce devait être au garde des Sceaux de défendre le projet. Mais Jean Lecanuet y est défavorable. Et c’est la ministre de la Santé qui monte à la tribune.

Un combat pénible où elle subira les pires injures d’une droite antisémite, mais un combat aussi magnifique qui marquera les esprits. «Si j’en ressens de la fierté? Non, mais je ressens une grande satisfaction, parce que c’était important pour les femmes, et parce que ce problème me tenait à cœur depuis longtemps», dira-t-elle plus tard. Elle avoue sa surprise: «La constance de la reconnaissance à mon égard pour cette loi m’étonne toujours, et je continue de penser que la loi autorisant la pilule est beaucoup plus importante.»

Bien sûr, dans ce combat législatif, il y a eu cette forte image, revue mille fois, où elle avait le visage perdu dans les mains, et tout le monde ajoutant qu’elle pleurait: «Eh bien non, je n’ai pas le souvenir d’avoir pleuré, il devait être 3 heures du matin, mon geste indique que j’étais fatiguée mais je ne pleurais pas.» Puis: «La dernière nuit du débat, Jacques Chirac a souhaité venir à l’Assemblée pour me soutenir. Je lui ai dit que ce n’était pas la peine. A 3 h 30, le texte était voté par 284 voix contre 189. Je suis rentrée chez moi en traversant la place du Palais Bourbon, où des égreneurs de chapelets m’attendaient pour me couvrir d’insultes, et à la maison j’ai trouvé une énorme gerbe de fleurs.»

Simone Veil avait gagné. «Vous êtes féministe?» lui demandera une journaliste: «Je ne suis pas une militante dans l’âme, mais je me sens féministe, très solidaire des femmes quelles qu’elles soient… Je me sens plus en sécurité avec des femmes, peut-être est-ce dû à la déportation? Au camp, leur aide était désintéressée, généreuse, pas celle des hommes. Et la résistance du sexe dit faible y était aussi plus grande.»

Simone Veil est dans le présent, toujours. Femme exceptionnelle, à l’image si pure. Simone Veil la déportée, Simone Veil la combattante de l’IVG, Simone Veil l’Européenne. Toujours la même. «Je crois, toujours, que cela sert à quelque chose de se battre. Et quoi qu’on dise, l’humanité, aujourd’hui, est plus supportable qu’hier.» © LIBÉRATION


 

Les féministes radicales s’y opposaient

Pour l’historienne Bibia Pavard, Simone Veil n’avait pas conscience, en 1974, de porter l’une des grandes lois féministes du siècle. «Elle est très sensible à la question de la dignité des femmes et au danger qu’on leur fait encourir avec les avortements clandestins. Elle souligne aussi les inégalités sociales face à l’avortement. Il y a dans son engagement un côté humanitaire. Mais elle ne pose pas la question en termes d’égalité des droits.» Bibia Pavard voit davantage Simone Veil comme une «technicienne», une posture qui lui permet de trouver le consensus à l’Assemblée et auprès de l’opinion publique. Elle n’endosse pas le positionnement du MLF (Mouvement de libération des femmes), très radical pour l’époque: l’avortement doit devenir une liberté totale, au nom du droit des femmes à disposer de leur corps. C’est évidemment stratégique: il serait risqué d’effrayer les députés conservateurs de l’Assemblée, notamment dans son propre camp. «Aujourd’hui, il est évident que la loi Veil est une loi féministe, mais ce n’est pas ainsi qu’elle l’a présentée, et ce n’est pas ainsi que les féministes l’ont alors perçue, qui trouvaient qu’elle n’allait pas assez loin.» Sonya Faure, © LIBÉRATION


 

BIO EXPRESS

1927

Naissance à Nice de Simone Jacob.

1944

Déportée à Auschwitz. Libérée en 1945.

1974-1978

Ministre de la Santé.

1975

Promulgation de la loi Veil.

1979-1982

Présidente du Parlement européen.

1993-1995

Ministre d’Etat, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville.

2008

Elue à l’Académie française.

2017

Décédée le 30 juin.

 


 

« Simone Veil, albums de famille »

Simone Veil entrera au Panthéon le 1er juillet prochain à Paris. Symbole de résilience et de liberté, la jeune Simone Jacob, déportée à Auschwitz Birkenau en 1944 parviendra à dépasser les traumatismes de la déportation avant d'ouvrir la voie aux femmes en faisant légaliser l'avortement en 1975. C'est l'histoire d'un destin hors normes raconté grâce à des archives familiales exceptionnelles.

Réalisation : Hugues Nancy (2017)

 

 


 

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TV: Simone Veil, albums de famille 

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