La Liberté

Sous le soleil de l’Italie, le populisme

«Magnifique laboratoire» du populisme à travers l’Histoire, l’Italie en révèle aussi la grande diversité

Fondateur du Mouvement 5 étoiles, le comique professionnel Beppe Grillo surfe sur la vague du populisme.  © RTS/DR
Fondateur du Mouvement 5 étoiles, le comique professionnel Beppe Grillo surfe sur la vague du populisme. © RTS/DR


Frédérique Dupont, Rome

Publié le 29.09.2017

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Politique »   Tout a commencé il y a très longtemps avec les «tribuns de la plèbe», dont l’image est gravée dans le marbre de l’Histoire: Agrippa Menenius Lanatus et Jules César.

Le premier était un patricien des débuts de la République romaine, au Ve siècle avant Jésus-Christ. Il a évité la rupture entre la plèbe et les patriciens en prononçant son fameux «apologue» sur L’estomac et les pieds, un discours démonstratif et allégorique expliquant que la cité sans le peuple ne peut exister, et vice-versa.

César inspire Mussolini

Le second, César, de la haute aristocratie, était le sponsor des «populares», premier véritable mouvement populiste de la Péninsule. Deux millénaires après, Benito Mussolini se souviendra de ses ancêtres romains et s’en inspirera. En revanche, Silvio Berlusconi et son ministre du Trésor, Giulio Tremonti, le «théologien» du populisme berlusconien, prendront l’option contraire, divisant la société en deux.

Au XVe siècle, le populisme, dans son acceptation la plus large, prend de nouvelles couleurs avec le frère dominicain Jérôme Savonarole. Ce moine à l’aspect austère et aux idées populistes finira pendu à Florence un beau matin de mai 1498 pour avoir poussé le peuple à se révolter contre l’autorité de l’Eglise. Il avait organisé des «bûchers de la vanité» pour y brûler des livres et œuvres d’art. Deux siècles plus tard, c’est Naples qui encense le révolutionnaire Tommaso Aniello d’Amalfi. Surnommé Masaniello, il organise la révolte contre l’occupant espagnol.

Magnifique laboratoire

Depuis Benito Mussolini, l’Italie, ou plus exactement les Italiens, semble avoir «une sorte d’appétit incroyable et insatiable pour le populisme sous toutes ses formes», souligne le politologue Marco Tarchi. La Péninsule est devenue un «magnifique laboratoire du populisme». Un pays, explique-t-il, où les habitants en âge de penser, ou pour le moins de s’exprimer, auraient besoin d’un chef, d’un homme capable de comprendre les aspirations de son peuple et de les exalter.

Parmi les pionniers du populisme contemporain italien, on retiendra le journaliste satirique Guglielmo Giannini, fondateur du mouvement «Front de l’homme ordinaire». «En 1944, la création de ce mouvement en opposition au fascisme et au populisme mussolinien a été l’essence du nouveau populisme», explique Antimo Farro, professeur au Département d’études sociales et économiques de l’Université La Sapienza, à Rome.

Le parti «Front de l’homme ordinaire» se voulait l’expression populiste de la nouvelle république démocratique italienne. Son concept était basé sur la création d’un Etat «technique chargé d’organiser la foule et non pas une nation». Une solution qui permettait aussi d’éviter la permanence au pouvoir d’une classe politique rodée, rivée sur l’échiquier. Pour Giannini, ce type d’organisation avait seulement besoin, pour gouverner, «d’un bon comptable recruté le 1er janvier et licencié le 31 décembre».

La voix du peuple

On évoquera aussi Marco Pannella, dirigeant historique du Parti radical italien, fondé en 1955. Il incarnera durant une trentaine d’années une nouvelle forme de populisme en lançant l’idée des initiatives populaires et des référendums.

Le recours à la voix du peuple sera repris un demi-siècle plus tard par Beppe Grillo, trublion à la chevelure hirsute et aux accents de tribun. Son Mouvement 5 étoiles, fondé officiellement en 2009, est en fait un mélange des ingrédients préférés du Parti radical de Marco Pannella, comme la démocratie participative, et de la philosophie du mouvement «Front de l’homme ordinaire» de Guglielmo Giannini. En l’occurrence, il s’agit se débarrasser des hommes politiques professionnels… au profit d’un comique professionnel. Très opportuniste, Beppe Grillo oscille entre les idées de droite et de gauche selon ses besoins.

Durant les trente dernières années, le populisme à l’italienne n’a cessé de se développer, prenant des colorations très variées. «Silvio Berlusconi, par exemple, n’a rien à voir avec le populisme façon Beppe Grillo. Ce sont deux visions, deux courants différents», analyse le professeur Antimo Farro.

Les mouvements se multiplient, chacun avec ses spécificités et ses combats. Dans la galaxie des populistes italiens, on peut encore citer l’ex-magistrat Antonio Di Pietro, fondateur en 1998 du parti «Italie des valeurs», basé sur l’action et la mise en place d’une politique à la mesure des citoyens. Ou Matteo Salvini, le fougueux patron de la Ligue du Nord. Ou encore le couple politique Giorgia Meloni – Ignazio La Russa, à la tête de «Frères d’Italie».

La crise et internet

Leur succès, les partis populistes italiens le doivent à la conjoncture. «Le contexte social dégradé, avec la crise et le chômage, offre un terrain extrêmement fertile pour le populisme», observe le sociologue Antimo Farro. Le développement des réseaux sociaux leur est aussi favorable. Internet est aujourd’hui le principal instrument du populisme.

«C’est extraordinaire! Internet permet de véhiculer toutes les idées, tous les concepts. Mais le net sert aussi à manipuler les foules au prétexte de leur laisser la liberté d’exprimer leurs aspirations face à la nouvelle classe politique», commente le professeur Antimo Farro.

Ainsi décliné en fonction des affinités politiques et des aspirations populaires, ce modèle a encore de beaux jours devant lui. AVEC PFY

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Des courants politiques variés sous un même nom

La dénomination de «populisme» couvre des idéologies, discours et courants politiques très variés à travers l’espace et le temps. Ce mot fourre-tout peut s’appliquer aux mouvements qui opposent les intérêts du peuple à ceux de l’élite, mais aussi, par exemple, aux partis et personnalités qui instrumentalisent l’opinion du peuple en se prétendant en être les porte-parole. Les exemples à travers l’Histoire démontrent une grande diversité de genres, allant du populisme russe du XIXe siècle, visant à instaurer un système d’économie socialiste agraire, au combat des paysans et ouvriers des Etats-Unis contre certaines taxes abusives, ou encore aux mouvements populistes étatistes et néolibéraux d’Amérique latine. Aujourd’hui, le populisme est souvent identifié à l’extrême droite, ce qui a obligé divers partis anciennement «populistes» à préférer l’usage du label «populaire». FD/PFY

Radio: Ve: 13 h 30

TV: Beppe Grillo – cinq étoiles pour le peuple
Di: 21 h 05 
Lu: 23 h 10


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