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Les yeux se tournent vers Istanbul

L’Eglise orthodoxe ukrainienne autoproclamée réclame une reconnaissance du monde orthodoxe

Publié le 01.09.2018

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Ukraine » Les orthodoxes à Moscou et Kiev se préparent à une décision historique: l’Ukraine pourrait bientôt voir son Eglise autoproclamée reconnue par le patriarcat de Constantinople et s’affranchir ainsi de la tutelle religieuse russe. Cette éventualité est toutefois perçue chez son voisin comme une «catastrophe».

Le patriarche de Constantinople Bartholomée Ier et celui de Moscou Kirill se sont rencontrés hier à Istanbul pour parler de cette question épineuse. D’emblée, le patriarche de Moscou et de toute la Russie a souligné, devant les médias, que si dans un contexte politique, chacun protège les intérêts de son Etat, «à l’intérieur de l’Eglise le dialogue est différent: il est spirituel». «Bien que nous représentions nos Eglises, a-t-il insisté, nous avons pour mission divine de préserver l’unité de l’Eglise.»

Demande officielle

Les orthodoxes en Ukraine sont divisés: une grande partie appartient à l’Eglise rattachée au patriarcat de Moscou et une autre partie est fidèle au patriarcat de Kiev, autoproclamé après l’indépendance du pays en 1992. Ce dernier n’est reconnu aujourd’hui par aucune Eglise orthodoxe dans le monde.

C’est au patriarche Bartholomée de Constantinople, basé à Istanbul en Turquie et «premier parmi ses égaux» par rapport aux autres patriarches des Eglises orthodoxes, de statuer sur l’avenir religieux de l’Ukraine. Il doit répondre à une demande officielle du patriarcat de Kiev, soutenue par les députés ukrainiens, d’être reconnu comme une Eglise à part entière dans le monde orthodoxe.

Question politique

«La question principale a été la situation en Ukraine», a indiqué à l’AFP le métropolite orthodoxe grec de France, Monseigneur Emmanuel, présent lors de la rencontre – première entre les deux responsables religieux depuis 2016 – qui s’est déroulée au siège du patriarcat œcuménique de Constantinople et a duré plus de deux heures.

Cette question s’inscrit dans un contexte diplomatique très tendu entre la Russie et l’Ukraine depuis l’arrivée au pouvoir à l’hiver 2014 de pro-Occidentaux à Kiev, suivie de l’annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée par la Russie et un conflit avec des séparatistes prorusses dans l’est du pays qui a fait plus de 10 000 morts.

Ces événements ont exacerbé les tensions entre les deux branches de l’orthodoxie en Ukraine et poussé de nombreux Ukrainiens à se détourner du patriarcat de Moscou.

Si Bartholomée approuve la requête d’indépendance de Kiev, «personne ne sait comment cela va se passer dans la pratique», et notamment combien d’églises et de monastères le patriarcat de Moscou pourrait perdre en Ukraine, estime l’expert indépendant russe Andreï Denitski.

«Les tentatives de séparer l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou peuvent mener à une catastrophe» dans le monde orthodoxe avait estimé avant la rencontre le patriarche russe Kirill. Pour le patriarcat de Moscou, la perte de son influence en Ukraine porterait un coup sérieux à son statut dans le monde orthodoxe. Récemment, pourtant, une source au sein du Gouvernement ukrainien affirmait que Kiev serait «à deux doigts» de la création d’une Eglise indépendante.

Relations «tendues»

Selon l’expert en religion russe Roman Lounkine, les relations entre Kirill et Bartholomée sont «tendues», avec comme point d’orgue l’absence du patriarche russe au concile panorthodoxe organisé en Crète en 2016, pour la première fois depuis plus de 1000 ans.

Le patriarcat de Moscou n’a jamais pardonné à Constantinople d’avoir pris sous son autorité une partie de l’Eglise orthodoxe estonienne après la dissolution de l’Union soviétique. Il reproche aussi à Constantinople ses liens avec les paroisses de la diaspora ukrainienne au Canada et aux Etats-Unis, qui ont juré fidélité au patriarcat de Kiev autoproclamé.

ATS/AFP/PFY


 

Porochenko veut établir une église nationale

Le président ukrainien Petro Porochenko a déclaré à plusieurs reprises qu’il était nécessaire de mettre fin à l’existence dans le pays de l’Eglise orthodoxe canonique, qu’il accuse de «bénir» la «guerre hybride» menée par la Russie contre l’Ukraine. «Que Constantinople, Moscou et le Vatican nous entendent, nous sommes fermement engagés à couper le dernier nœud par lequel l’empire essaie désespérément de nous lier à lui-même. Nous sommes déterminés à mettre fin à la dépendance contre nature et non canonique de la majorité de notre communauté orthodoxe vis-à-vis de l’Eglise russe», a-t-il déclaré le 24 août dernier à Kiev lors du 27e anniversaire de l’indépendance de l’Ukraine.

«La christianisation nous est venue de l’Eglise mère de Constantinople, et c’est de Kiev qu’elle s’est répandue dans les grands espaces de l’Europe de l’Est. Le christianisme ukrainien a plus de mille ans d’histoire, ses propres traditions théologiques, liturgiques et ecclésiastiques», a-t-il martelé.

La question d’un tomos (décret solennel et irrévocable) accordant l’autocéphalie à l’Eglise orthodoxe ukrainienne n’est pas seulement une question de religion, a affirmé Porochenko. «Elle s’inscrit dans le même ensemble de questions que le renforcement de l’armée, la protection de la langue, la lutte pour l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN. Il s’agit d’un autre jalon stratégique sur notre chemin historique, un élément important de notre indépendance». Cath.ch

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