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1968, l'année de la contre-révolution conservatrice

Tout le monde ne voulait pas "abattre les murs" en 1968. Des voix se sont élevées pour soutenir le conservatisme et la Nation (archives). © Keystone/STR
Tout le monde ne voulait pas "abattre les murs" en 1968. Des voix se sont élevées pour soutenir le conservatisme et la Nation (archives). © Keystone/STR


Publié le 08.01.2018


1968 n'est pas qu'un instant de révolte face à la société traditionnelle, assimilé à l'essor des forces de gauche. On oublie souvent qu'au même moment, de nouveaux cercles sont apparus à droite. Des experts parlent même d'une contre-révolution conservatrice.

Manifestations contre la guerre du Vietnam, luttes contre l'étroitesse d'esprit de la société d'après-guerre, combats de rue: 1968 a son lot d'événements inscrits dans la mémoire collective, en Suisse aussi. Une exposition au Musée d'histoire de Berne documente cette époque. Mais pas tous voulaient "abattre les murs". Des voix se sont élevées pour soutenir le conservatisme et la Nation.

"C'est à partir de 1968 que des cercles et des groupes de la Nouvelle Droite sont apparus en Suisse et dans les pays voisins", explique à l'ats le professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Fribourg Damir Skenderovic. Il faut comprendre ce mouvement comme une régénération, un nouveau départ, plus que comme une simple réaction aux événements de 1968.

Même stratégie, buts opposés

Car ces cercles droitiers ont réussi à renouveler le conservatisme sur le plan de l'idéologie. Ils y ont introduit des éléments identitaires, notamment une différenciation culturelle entre les "Autres" et la communauté nationale.

La "Nouvelle Droite" a ainsi mené une stratégie de "Kulturkampf" ("combat pour la civilisation", en référence au conflit culturel et religieux entre l'Eglise catholique d'un côté, et l'Etat et les cercles libéraux de l'autre dans la deuxième moitié du XIXe siècle), selon le professeur.

Les "soixante-huitards" ont d'ailleurs servi d'inspiration à ces cercles conservateurs, en ce qui concerne la stratégie, la pensée non-conformiste, la critique du courant "mainstream" et l'usage de moyens de lutte non-conventionnels, estime Damir Skenderovic.

Schwarzenbach et Blocher

En Suisse, avec l'augmentation du nombre de travailleurs venus dans les années 1960, croît la crainte d'une surpopulation étrangère. Et le professeur de rappeler l'initiative populaire "contre l'emprise étrangère", lancée au mois de mai 1968, rejetée en 1970 par 54% des votants.

Son père spirituel, James Schwarzenbach, a servi de modèle pour une nouvelle génération d'intellectuels. Ces "néo-conservateurs" ont leurs journaux, comme l'alémanique Abendland (L'Occident) ou la "Fondation pour la connaissance occidentale", dans laquelle se retrouve une élite culturelle qui rejette les conceptions égalitaristes de 1968.

1968 marque aussi l'entrée en scène d'une personnalité qui pèsera pendant des années sur la politique suisse, surtout à partir des années 1990, Christoph Blocher. Alors étudiant en droit, le futur tribun de l'UDC fonde un cercle conservateur, qui veut faire pièce au mouvement soixante-huitard. D'autres finiront par fonder des partis, comme Michael E. Dreher et son parti des automobilistes.

Tourné vers la France

En Suisse romande, la "Nouvelle Droite" se distingue des cercles conservateurs alémaniques par le fait qu'elle ne s'engage pas directement au niveau politique, note le professeur Skenderovic.

L'influence de l'écrivain et penseur français Charles Maurras, fondateur de l'Action française, s'y fait sentir. Cette droite conservatrice romande place au centre de ses préoccupations une image traditionnelle de la société, et la critique antiparlementaire. Dès le début des années 1970, elle se positionne en réaction à l'esprit de 1968 et se lie en partie à l'extrême droite.

Suivant l'exemple français, la "Nouvelle Droite" suisse lutte pour un modèle de société prédémocratique et antihiérarchique. Elle a en même temps critiqué les traditions judéo-chrétiennes européennes. Elle s'est ainsi trouvée en porte-à-faux avec d'autres mouvements de droite néo-conservatrice, qui ont placé au premier plan la tradition catholique, explique encore M. Skenderovic.

ats

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