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Au musée parisien du Quai Branly, des statuettes passées au scanner

Avec cette opération de scannage lancée lundi, ce que le musée parisien du Quai Branly espère découvrir est immense et habité de mystères et de sacré (archives). © KEYSTONE/AP/REMY DE LA MAUVINIERE
Avec cette opération de scannage lancée lundi, ce que le musée parisien du Quai Branly espère découvrir est immense et habité de mystères et de sacré (archives). © KEYSTONE/AP/REMY DE LA MAUVINIERE


Publié le 22.05.2019


Au Musée parisien du Quai Branly-Jacques Chirac, des patients d'un autre âge sont livrés au scanner: les 150 statuettes d'Afrique, d'Océanie et des Amériques livreront-elles, comme l'espèrent les chercheurs, tous leurs secrets?

Une à une, les premières statuettes sont transportées avec d'infinies précautions et allongées sur une table. Le scanner se déplace, projetant sur elle des faisceaux rouges. Tout le personnel est tenu à l'écart pour ne pas être irradié. L'opération pour chaque objet dure environ dix minutes, mais seules quelques secondes, celles du scan lui-même, sont décisives.

Même si des objets anciens sont scannés depuis plusieurs années dans différents musées du monde, c'est la première fois qu'un scanner médical mobile portatif - un appareil d'1,5 tonne - est déplacé dans un musée (dans le cadre d'une collaboration avec Samsung Electronics France).

Percer les mystères

Philippe Charlier, nouveau directeur du département de la recherche et de l'enseignement de ce musée des arts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques, va et vient avec précision, veillant au transport de chaque objet, avec une passion qui se lit dans le regard. Son objectif: appliquer les techniques biomédicales les plus abouties "aux objets des populations du lointain".

Avec cette opération lancée lundi, ce qu'on espère découvrir est immense et habité de mystères et de sacré, tant certaines civilisations ont disparu avec leurs énigmes, quand d'autres se perpétuent, parfois mal connues. Ces objets ont eu des fonctions magiques et rituelles, et leur traitement se doit d'être respectueux et délicat.

Nombreuses questions

Les questions sont multiples: quel crâne se trouve sous ce visage surmodelé ? Quels conduits intérieurs relient la bouche, le nombril et l'anus de cette statue? Quelles matières sacrificielles ont été déposées là? Quelles possibles restaurations anciennes sur celle-ci? Qu'y a-t-il au-dessous de ces croûtes d'huiles, de graisse, parfois de sang animal? Pourquoi ces raclages? Quelle cachette magique contient le ventre de ce fétiche? Comment ont été fixés ces coquillages sur ce crâne?

Ainsi, le plus vieux masque africain connu, en vannerie d'écorce, cornes de boeuf, coquillages et graines, l'un des joyaux du musée parisien des arts premiers, va-t-il être scanné : ses cornes sont-elles vides ou pleines ?

De même ce "boli" noir du Mali, dont la forme massive peut faire penser à un buffle, en sang d'animal coagulé, bois, cire, terre, fibres végétales : de quoi est-il fait ? Quelle charge magique en son sein ? Il reste probablement le type d'objet magique le plus respecté en Afrique sub-saharienne.

"Autopsie virtuelle"

Pendant quatre jours, 60 statuettes et objets rituels d'Océanie, 50 d'Afrique, 36 des Amériques et 4 d'Asie doivent être examinés. Il était nécessaire d'avoir une visibilité interne d'objets peu ou pas déplaçables en raison de leur fragilité.

Dans certaines de ces statues, les chercheurs pensent découvrir des dents, des fossiles, des cristaux, des bijoux, des graines, des fragments de vêtements ou de suaires de personnages importants.

"C'est une autopsie virtuelle. Cette recherche doit apporter une meilleure connaissance anthropologique de la fabrication de l'objet et de son usage, et permettre de retrouver un peu d'un patrimoine immatériel", estime le docteur Charlier.

A 41 ans, ce médecin légiste, anthropologue et paléopathologiste, qui s'est occupé de migrants et de prisonniers, a choisi d'ouvrir une nouvelle page de sa vie en s'occupant de "patients atypiques": squelettes, momies, objets d'art premiers.

Un an d'analyse en vue

Une équipe interdisciplinaire associant anthropologues, ethnologues, archéologues, historiens d'art, botanistes, zoologues étudiera pendant un an les coupes et les reconstitutions en 3D que permettent ces scans. Les résultats seront rendus publics dans des revues de référence.

ats, afp

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