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Enquête contre les garde-côtes italiens après un naufrage

Arrivés dans la nuit, le Cordula Jacob et le Sea-Watch ont seulement retrouvé l'un des canots pneumatiques, vide. 120 personnes étaient entassées sur l'embarcation. Trois ont survécu (image symbolique). © KEYSTONE/AP/OLMO CALVO
Arrivés dans la nuit, le Cordula Jacob et le Sea-Watch ont seulement retrouvé l'un des canots pneumatiques, vide. 120 personnes étaient entassées sur l'embarcation. Trois ont survécu (image symbolique). © KEYSTONE/AP/OLMO CALVO


Publié le 03.02.2019


La justice italienne a ouvert une enquête sur la mort de 117 migrants au large de la Libye, dans laquelle le centre de coordination des garde-côtes à Rome est soupçonné de non assistance à personnes en danger, a expliqué un procureur sicilien vendredi à l'AFP.

Le 18 janvier, un avion militaire italien a signalé au Centre de coordination des secours en mer - ou MRCC, son acronyme en anglais - géré par les garde-côtes à Rome, un canot en grande difficulté à 50 milles nautiques au nord de Tripoli. Selon les éléments de l'enquête, il y avait encore une cinquantaine de personnes à bord, et beaucoup dans l'eau, auxquelles l'avion a largué deux radeaux gonflables.

Au même moment, un petit avion de reconnaissance de l'ONG allemande Sea-Watch, le Moonbird, en patrouille dans la zone, a entendu l'échange radio avec Rome et repéré qu'un pétrolier faisant route vers l'Egypte, le Cordula Jacob, se trouvait non loin du canot.

Ces dernières années, le MRCC de Rome a coordonné le sauvetage de centaines de milliers de personnes au large de la Libye, mobilisant selon les besoins les navires militaires, humanitaires ou commerciaux présents. Mais face à l'absence de solidarité européenne sur le dossier et avec l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir en Italie, les navires d'ONG ont été progressivement bloqués et les navires militaires se sont éloignés.

Trois heures d'attente

Et depuis juin, le MRCC de Rome renvoie systématiquement vers Tripoli les appels de détresse dans la vaste zone où la Libye est officiellement chargée de coordonner les secours, jusqu'à 100 milles de ses côtes.

Or, "il s'est écoulé trois heures entre la première signalisation du canot" et la première réponse libyenne, a expliqué à l'AFP Salvatore Vella, procureur adjoint à Agrigente (Sicile), le parquet dont dépend l'île italienne de Lampedusa et une grande partie des eaux alentour.

A 15h02, le MRCC de Rome a finalement signalé le naufrage en demandant à tous les navires des environs de se rendre sur place. Et à 16h40, les garde-côtes libyens ont annoncé qu'ils prenaient le relais, à peu près au moment où un hélicoptère de l'armée italienne arrivait sur les lieux et ne trouvait que trois survivants.

"10 minutes plus tôt"

"Il y avait beaucoup de femmes à bord, l'une tenait dans ses bras un bébé qui n'avait pas plus de deux mois. Arriver ne serait-ce que 10 minutes plus tôt pouvait sauver une vie", a assuré M. Vella. Arrivés dans la nuit, le Cordula Jacob et le Sea-Watch ont seulement retrouvé l'un des canots pneumatiques, vide.

Les trois survivants, conduits à Lampedusa, ont raconté aux enquêteurs italiens le départ de Libye, en pleine nuit, entassés à 120 à bord, sous la menace d'une arme pour ceux que la fragilité et la surcharge du canot rendaient hésitants.

"On leur avait donné un téléphone satellitaire pour appeler les secours mais dans la panique quand le canot a commencé à prendre l'eau, le 'capitaine' l'a lâché dans la mer", a expliqué le procureur. "Le canot a mis plusieurs heures à sombrer. Les gens ont commencé à se noyer, ils coulaient comme des pierres", a-t-il ajouté.

L'un des survivants, un Soudanais de 25 ans, lui a raconté: "Je me tenais fort, et je fermais les yeux pour ne pas voir les gens qui mouraient tout autour de moi".

Pas une première

Le parquet d'Agrigente va garder la main sur l'enquête contre X pour trafic d'êtres humains et aide à l'immigration clandestine, mais a transmis le dossier pour non assistance à personnes en danger cette semaine au parquet de Rome. Celui-ci , qui devra déterminer s'il y a suffisamment d'éléments pour un procès.

Une procédure similaire avait déjà été enclenchée contre des officiers italiens après un naufrage qui avait fait près de 300 morts, dont une soixantaine de jeunes enfants, le 11 octobre 2013 entre Lampedusa et Malte.

Ce jour-là, le MRCC de Rome et La Valette s'étaient renvoyé la balle pendant des heures, alors qu'un navire militaire italien se trouvait à moins d'une heure de navigation. Après divers aléas, l'affaire en est encore aux audiences préliminaires.

Sea-Watch blanchi

Le parquet de Catane, le port sicilien dans lequel le navire humanitaire Sea-Watch 3 est bloqué, a en outre estimé samedi que l'ONG n'avait commis aucun délit. Celle-ci a sauvé 47 migrants au large des côtes libyennes et les a débarqués en Italie.

Le magistrat en charge, s'appuyant sur une enquête menée par la police et les garde-côtes italien, a analysé le comportement de l'équipage du navire depuis le sauvetage des 47 migrants le 19 janvier jusqu'au débarquement jeudi à Catane. Il qualifie de "justifiées" chacune de ses décisions.

ats, afp

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