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L'imbrication chez les élites en Suisse fait partie du passé

L'imbrication des sphères du pouvoir en Suisse a nettement diminué au 21e siècle en Suisse, cédant la place à davantage de conflits et d'imprévisibilité. © KEYSTONE/PETER SCHNEIDER
L'imbrication des sphères du pouvoir en Suisse a nettement diminué au 21e siècle en Suisse, cédant la place à davantage de conflits et d'imprévisibilité. © KEYSTONE/PETER SCHNEIDER


Publié le 14.07.2015


Le "Filz", l'imbrication des élites souvent accompagnée de copinage qui a longtemps fait la force de la Suisse, n'a pas passé le cap du siècle, selon une étude de chercheurs lausannois. Motif: la financiarisation de l’économie.

Au cours du 20e siècle, une étroite imbrication des sphères économique, politique et administrative s'est mise en place en Suisse, notent ces chercheurs de l'Université de Lausanne (UNIL) dans leur préambule. Le principe de milice, en politique et à l'armée, notamment, en est une des raisons.

L’étroitesse du pays a favorisé l’émergence d’une élite au sein de laquelle chacun se connaissait grâce à d’innombrables réseaux masculins principalement, sociétés d'étudiants, armée et clubs services, notamment. Jusqu’aux années 1970-80, l’accès des femmes aux positions de pouvoir était très strictement limité, soulignent les chercheurs.

Cela a longtemps permis d’élaborer des compromis entre les principaux groupes d’intérêt, les partis politiques et l’administration et a souvent été considéré comme un modèle de coordination efficace et consensuel.

Le "Filz" de plus en plus mal vu

Mais depuis quelques années, ce système est de plus en plus mal vu, souligne l'équipe de Felix Bühlmann, de la Faculté des sciences sociales et politiques de l'UNIL. Au sein même des élites, le copinage politico-économique, est critiqué.

"Nous sommes dans une phase de transition", a indiqué M. Bühlmann à l'ats. Il y a toujours des tops managers officiers à l'armée, mais de moins en moins. Idem pour les dirigeants économiques élus au Parlement. Le "Filz" a beaucoup diminué, note le spécialiste. Désormais, ce sont les lobbys qui font la coordination.

Les transformations en cours, entamées à la fin des années 1980, proviennent de la financiarisation de l’économie: l’internationalisation des dirigeants des plus grandes entreprises et la fin du recours aux crédits pour financer l’industrie conduisent à une dissolution de la coordination des élites telle qu’elle prévalait au 20e siècle.

Marchés financiers

Stimulées par l’approche anglo-saxonne favorisant la création de valeur actionnariale et les opportunités d’un marché financier libéralisé, les entreprises engagent des modifications radicales de leur mode de fonctionnement, se tournant de plus en plus vers les marchés financiers.

Quant aux grandes banques, elles renforcent leurs activités liées à l’essor des marchés boursiers et réduisent leurs activités traditionnelles de crédit. Dès lors, les liens entre banques et industries, qui avaient jusqu’alors constitué la clé de voûte du réseau interfirmes, diminuent fortement à partir des années 1990.

Les liens entre les firmes industrielles deviennent également moins nombreux et, en 2010, il est devenu beaucoup plus rare pour un dirigeant d’entreprise de siéger simultanément dans plusieurs conseils d’administration.

Désormais, les élites économiques, orientées vers l’international, se distinguent largement des élites administratives et politiques, ancrées au niveau national. C’est notamment lié au fait que l’agenda politique commence à être influencé par la politique nationaliste de l’UDC, devenu le plus grand parti politique de Suisse.

L'UDC remplace le PLR

Dans la sphère politique, le Parlement a gagné en importance et les débats sont devenus beaucoup plus conflictuels. Certains membres de l’UDC ont su s’imposer et ont contribué au déclin du PLR, parti emblématique de l’ancien "Filz", écrivent les scientifiques.

Les nouvelles élites politiques et économiques semblent évoluer dans des univers distincts. On trouve d’un côté les nationalistes de l’UDC, aussi bien anti-étrangers qu’anti-universitaires, et de l’autre les top managers hyper-globalisés et cosmopolites.

Toutefois, comme le souligne Felix Bühlmann, une fraction que l’on pourrait qualifier d’académique apparaît depuis peu au sein de l’UDC, tenant des positions originales qui ne ressemblent en rien aux positionnements traditionnels de ce parti. Certains de ses ténors, y compris Christoph Blocher, combattent l’intégration européenne, mais pas l’internationalisation en soi.

Vers une nouvelle coordination?

D'autre part, on ne peut exclure que les hauts dirigeants économiques, dans un futur proche, retrouvent une assise nationale et cherchent de nouvelles manières de se coordonner avec les sphères politique et administrative helvétiques, concluent les chercheurs.

Pour leurs recherches, les scientifiques ont utilisé une base de données sur les élites suisses au 20e siècle qui comprend plus de 20’000 individus des sphères économique, politique et administrative. Ils ont sélectionné l’élite de ces trois sphères, selon leur fonction, à six dates différentes: 1910, 1937, 1957, 1980, 2000 et 2010.

Ces travaux ont été menés dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES – Surmonter la vulnérabilité: perspective du parcours de vie (PRN LIVES), lancé en 2011 et porté conjointement par les Universités de Lausanne et de Genève.

ats

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