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La Russie confrontée à une déferlante de pêcheurs nord-coréens

Dans une économie très affaiblie, l'export vers la Chine de produits de la mer demeure une source vitale de revenus pour Pyongyang, qui fait vivre des centaines de milliers de personnes, selon un spécialiste du sujet (image symbolique). © KEYSTONE/AP/Vincent Yu
Dans une économie très affaiblie, l'export vers la Chine de produits de la mer demeure une source vitale de revenus pour Pyongyang, qui fait vivre des centaines de milliers de personnes, selon un spécialiste du sujet (image symbolique). © KEYSTONE/AP/Vincent Yu


Publié le 30.09.2019


Poussés par l'envie de survivre, des milliers de pêcheurs nord-coréens s'aventurent à leurs risques et périls dans les eaux territoriales russes du Pacifique. De quoi susciter des risques pour l'environnement et la frustration grandissante de Moscou.

A des centaines de kilomètres de la Corée du Nord, des habitants de l'Extrême-Orient russe ont affirmé à l'AFP avoir désormais l'habitude d'apercevoir à l'horizon des bateaux nord-coréens, venus pêcher illégalement des calamars. Dans le village côtier de Posiet, les autorités ont mis en garde cette semaine contre une "arrivée massive" de ces petits bateaux, et encouragé leur signalement.

Rien qu'en septembre, les garde-côte russes ont appréhendé plus de 400 pêcheurs nord-coréens. L'un d'eux a été tué par balles lors d'un accrochage au cours duquel plusieurs marins russes ont été blessés. Selon des experts, les choses ne devraient pas changer, car la pauvreté pousse les Nord-Coréens à pêcher de plus en plus loin.

Natalia Ivanovna, une habitante d'Olga, localité à 400 kilomètres de la Corée du Nord, dit avoir déjà vu "des navires et des cadavres" échoués le long des côtes.

Pollution et destruction de l'écosystème

L'année dernière, les médias locaux ont rapporté la découverte du corps d'un pêcheur nord-coréen flottant près du village, sans doute victime du naufrage de sa fragile embarcation, dont le prix d'achat tourne autour de 1000 euros. Dans la région, des dizaines d'autres cadavres ont été signalés.

Les Russes se plaignent également de pollutions aux hydrocarbures laissées par ces bateaux, et de l'usage par les pêcheurs nord-coréens de filets dérivants, une pratique controversée qui piège indistinctement les animaux. "Ils ne font pas que pêcher. Ils détruisent aussi toute la vie marine", s'inquiète Natalia Ivanovna.

Vendredi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a appelé à des "mesures énergiques" pour régler le problème. Dans un communiqué, le ministère russe de la Pêche a quant à lui indiqué que Moscou n'établirait plus de quotas de pêche dans ses eaux pour Pyongyang tant que le "braconnage" n'aura pas pris fin.

En cas de tempête seulement

Selon la loi russe, les navires étrangers ont le droit d'entrer dans les eaux territoriales du pays pour s'abriter des tempêtes. Mais pour Viatcheslav Doudina, un océanographe basé à Vladivostok, les Nord-Coréens se servent de cette loi comme couverture. "Même théoriquement, une tempête ne peut pas les pousser jusqu'aux côtes russes", assure-t-il.

Pour évaluer le trafic dans la mer du Japon, Viatcheslav Doudina analyse des images satellites prises de nuit. Depuis 2015, il a remarqué une hausse continue du nombre de bateaux nord-coréens dans les eaux russes. Selon lui, leurs petites embarcations en bois, bloquées par les glaces en hiver, sont facilement identifiables grâce à leurs lumières.

En septembre dernier, il dit en avoir répertoriées au moins 3000 dans la zone économique russe, soit six fois la taille de toute la flotte de pêche russe en Extrême-Orient. Leur nombre pourrait même être supérieur, car certaines éteignent leurs lumières, au risque de provoquer des collisions.

"Un risque à prendre"

Un pêcheur russe, Georgi Martynov, évoque également le cas de navires bloqués en mer après que leurs hélices se furent prises dans des filets nord-coréens. "Les Nord-Coréens vont dans des zones de navigation dense et n'utilisent pas les canaux de communication internationaux", se désole ce responsable d'une association régionale de pêcheurs. "Cette situation met nos bateaux en danger".

Malgré la mobilisation de Moscou, le nombre d'incidents devrait continuer à augmenter, estime Andreï Lankov, un expert de la Corée du Nord. Selon lui, les ressources halieutiques nord-coréennes sont épuisées et l'arrivée de moteurs chinois plus puissants permet aux pêcheurs de remonter davantage vers le nord.

"C'est leur seul moyen de gagner de l'argent et un risque qui mérite d'être pris", juge Andreï Lankov. Pour lui, il est peu probable que les autorités nord-coréennes interviennent, car il serait "dangereux" de laisser sans emploi des hommes valides et entreprenants.

"Ils n'ont pas peur"

Dans une économie très affaiblie, l'export vers la Chine de produits de la mer demeure une source vitale de revenus pour Pyongyang, qui fait vivre des centaines de milliers de personnes, rapporte M. Lankov. "Les pêcheurs n'ont pas peur des confiscations. Ils n'ont pas peur de la violence ou des coups de feu. Et pour eux, les prisons russes seraient même assez confortables".

ats, afp

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