La Liberté

Le TMT, ce télescope qui fait gronder le volcan sacré Maunakea

Le TMT aura à terme une résolution d'image douze fois plus fine que celle du célèbre télescope spatial Hubble, avec un spectre d'observation allant de l'ultra-violet jusqu'aux infra-rouges moyens. Pour l'heure en chantier, le projet a été mis en scène, ici, par un artiste (archives). © KEYSTONE/AP TMT Observatory Corporation/ANONYMOUS
Le TMT aura à terme une résolution d'image douze fois plus fine que celle du célèbre télescope spatial Hubble, avec un spectre d'observation allant de l'ultra-violet jusqu'aux infra-rouges moyens. Pour l'heure en chantier, le projet a été mis en scène, ici, par un artiste (archives). © KEYSTONE/AP TMT Observatory Corporation/ANONYMOUS


Publié le 30.09.2019


Le TMT sera le plus grand télescope optique de l'hémisphère nord et doit notamment permettre aux astronomes de découvrir des exoplanètes et de remonter aux premières heures de l'univers. Mais le chantier à Hawaï est bloqué depuis plus de deux mois par des opposants.

TMT, c'est l'abréviation de "Thirty Meter Telescope", en référence au diamètre de son miroir (30 mètres), trois fois supérieur à celui des plus grands télescopes optiques actuellement en service. Une surface telle qu'elle ne peut être constituée d'un seul tenant: elle sera composée d'une mosaïque de 492 "segments" soigneusement ajustés, d'une surface totale de 655 m2.

Le TMT aura à terme une résolution d'image douze fois plus fine que celle du célèbre télescope spatial Hubble, avec un spectre d'observation allant de l'ultra-violet jusqu'aux infra-rouges moyens. "Le TMT sera capable pour la première fois d'obtenir des images d'exoplanètes similaires à la Terre et orbitant autour d'autres étoiles, d'étudier la composition de leur atmosphère", explique à l'AFP l'astronome français Christophe Dumas, responsable du projet.

Le télescope servira aussi à "étudier l'univers alors qu'il n'avait que quelques centaines de millions d'années et commençait à peine à laisser circuler la lumière librement", poursuit M. Dumas. Selon la théorie communément admise, l'univers tel qu'on le connaît aujourd'hui s'est créé il y a 13,8 milliards d'années au moment du Big Bang.

"Nous l'avons assez partagée"

Mais ce projet n'est pas du goût de tout le monde et la colère gronde sur les flancs du Maunakea, volcan éteint et sacré qui domine l'île d'Hawaï et qui doit accueillir le TMT. Depuis la mi-juillet, plusieurs centaines de manifestants, principalement des autochtones polynésiens, y bloquent le chantier.

Le télescope géant pourrait bien sûr être construit ailleurs qu'à Hawaï. Après une première série de recours devant les tribunaux de l'archipel en 2015, une solution de repli avait d'ailleurs été officiellement identifiée à La Palma, aux Canaries. Seulement voilà, le Maunakea "est le meilleur site dans l'hémisphère nord. Cela tient à son altitude élevée (4207 m)" et à des conditions atmosphériques très stables qui donnent un pourcentage de nuits claires "de l'ordre de 70%", souligne M. Dumas.

Des qualités qui expliquent que treize télescopes parsèment déjà les pentes du volcan, permettant chaque année de nouvelles découvertes et la publication d'une kyrielle d'études scientifiques. Un télescope de plus, même géant, ferait-il donc une si grande différence que cela pour les opposants au TMT?

"J'ai discuté avec les leaders de l'opposition. Et ils ont bien insisté sur le fait que non seulement il est trop grand, mais que c'est aussi un de trop", explique Greg Chun, responsable du Maunakea pour le compte de l'université d'Hawaï, qui co-gère ce territoire avec l'Etat. Les opposants, qui se sont baptisés "protecteurs" du Maunakea, disent: "Nous avons partagé la montagne suffisamment longtemps, maintenant ça suffit", poursuit M. Chun.

Coexistence possible

En 1960, un tsunami meurtrier avait dévasté les communautés établies au pied du volcan et les autorités locales avaient souhaité développer les observatoires pour relancer l'économie, faisant souvent fi des réticences de la population. Avec le TMT aujourd'hui, "la communauté a l'impression qu'elle n'est jamais écoutée, jamais prise en compte", estime Greg Chun.

De l'avis de nombreux observateurs, le projet cristallise en effet des ressentiments remontant au renversement de la monarchie hawaïenne, avec le soutien des Etats-Unis, à la fin du XIXe siècle. Jonathan Osorio, spécialiste de la religion et de la culture hawaïenne et lui-même opposant au télescope, maintient l'importance du site pour les autochtones.

"La culture et la science peuvent continuer à coexister de façon pacifique" sur le Maunakea, affirme le responsable du projet, assurant que tout a été fait pour satisfaire des opposants qui "représentent une partie fortement minoritaire de la population d'Hawaï". "Le site n'est pas au sommet de la montagne et ne sera visible que depuis 14% de l'île", il ne contient "aucun artefact archéologique ou qui puisse être relié à des pratiques religieuses" et tous les liquides et eaux usées seront récupérés et recyclés hors du site, plaide-t-il.

Les autorités locales ont engagé des médiations mais "le projet ne peut pas attendre beaucoup plus" et "les prochaines semaines seront critiques" pour savoir si le télescope sera finalement construit à Hawaï ou aux Canaries, avertit Christophe Dumas.

L'Europe au Chili

Le TMT est un partenariat international entre des universités californiennes, le Canada, le Japon, l'Inde et la Chine. Le gouvernement fédéral américain est aussi sur les rangs pour participer au financement via sa Fondation nationale pour les sciences. Comme c'est l'usage, "les partenaires auront accès à un pourcentage du temps d'observation proportionnel à leur contribution au budget de construction du TMT", explique Christophe Dumas. D'un coût estimé à 1,4 milliard de dollars, le TMT doit être opérationnel en 2027.

Dans l'hémisphère sud, un regroupement européen est actuellement en train de construire dans le désert du Chili un télescope de 39 m de diamètre, l'ELT ("extremely large telescope" ou "télescope géant européen"), qui doit être achevé en 2025.

ats, afp

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11