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Pas de retour au "monde d'avant" pour le patron de la BNS

Le président de la BNS Thomas Jordan craint une forme d'acceptation du renchérissement au sein des entreprises et des ménages, ce qui risque de rendre plus difficile selon lui le retour à un taux d'inflation inférieur à 2% (archives). © KEYSTONE/MICHAEL BUHOLZER
Le président de la BNS Thomas Jordan craint une forme d'acceptation du renchérissement au sein des entreprises et des ménages, ce qui risque de rendre plus difficile selon lui le retour à un taux d'inflation inférieur à 2% (archives). © KEYSTONE/MICHAEL BUHOLZER


Publié le 01.06.2023


Le président de la Banque nationale suisse (BNS) Thomas Jordan estime que la politique monétaire ultra-accommodante de cette dernière décennie appartient définitivement au passé. Mais il met en garde contre l'acceptation de l'inflation comme une fatalité.

La pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont chamboulé le contexte dans lequel évoluaient jusqu'alors les banques centrales. "Nous devons composer avec une économie plus fragmentée, dans un environnement marqué par de nombreuses incertitudes", a signalé le banquier central à l'occasion d'un colloque qui s'est tenu mercredi soir à Lugano.

Rappelant que la BNS a appliqué pendant des années des taux négatifs, il considère que le taux directeur actuel - relevé en mars à 1,50% - n'est "pas très élevé", surtout en comparaison internationale. Ce niveau présente une base saine pour la stabilité du système financier, récemment mise à l'épreuve par la crise bancaire qui a précipité la chute de Credit Suisse.

Insistant sur la priorité absolue que représente la lutte contre l'inflation, qui a atteint son apogée à 3,5% sur un an l'été dernier, Thomas Jordan s'est félicité de ce que la BNS avait laissé le franc s'apprécier "relativement tôt", même si cela n'a pas suffi à éviter quatre relèvements de taux au cours des douze derniers mois.

Il craint désormais de voir s'installer une forme d'acceptation du renchérissement au sein des entreprises et des ménages, qui risque de rendre plus difficile le retour à un taux inférieur à 2%, conformément aux objectifs que s'est fixés l'institut d'émission. "Face à l'inflation, nous sommes sur la bonne voie, mais la lutte n'est pas encore terminée", a-t-il ajouté.

Distributions aux cantons: "secondaires"

De son côté, le directeur général (CEO) de la Banque des règlements internationaux (BRI) Agustín Carstens a insisté sur le fait qu'en plus de leur mandat consistant à garantir la stabilité des prix, les banques centrales doivent également veiller à ne pas étouffer la croissance économique. Or pour être durable, celle-ci doit provenir de la consommation privée et pas de mesures fiscales ponctuelles destinées à atténuer l'impact de l'inflation.

L'ancien gouverneur de la Banque du Mexique a souligné que les décisions de politique monétaire mettent généralement des mois à déployer pleinement leurs effets, tout en affirmant que jusqu'ici, leur impact sur l'activité économique mondiale s'est avéré moindre que ce qu'il craignait.

Les deux dirigeants se sont rejoints quant à la nécessité d'indépendance des banques centrales face aux tentatives de les soumettre à des considérations de politique fiscale. A ce propos, Thomas Jordan a expliqué que la qualité d'une politique monétaire ne se mesure pas à la performance financière, et que la perte historique essuyée par la BNS l'année dernière (plus de 132 milliards de francs) était largement attendue au vu de l'évolution des marchés.

Le Bernois a qualifié de "produit secondaire" la distribution de bénéfices aux collectivités publiques, avant de lancer que "la seule manière d'assurer une certaine régularité serait de ramener cette valeur à zéro". Face à la perspective de voir les fonds propres de la BNS glisser en territoire négatif, il s'est voulu rassurant, tout en reconnaissant que cette éventualité pourrait agir comme un frein sur la politique monétaire.

Credit Suisse: les risques du "bank run"

Revenant sur la débâcle de Credit Suisse et son absorption dans l'urgence par UBS, Thomas Jordan a une nouvelle fois souligné les conséquences imprévisibles sur l'économie helvétique et mondiale d'un "bank run" (panique bancaire) rendu d'autant plus probable par les moyens actuels, qui permettent des sorties massives de fonds dans des temps très courts.

Pour Agustín Carsten, les déboires de l'ex-numéro deux bancaire helvétique ont été exacerbés par le resserrement monétaire. "Il n'y a pas de protection contre les défaillances au niveau de la direction ou de la surveillance du conseil d'administration", a affirmé la patron de la BRI.

Selon lui, il serait possible de renforcer encore les tests de solvabilité, mais il ne voit pas d'urgence à un nouveau tour de vis réglementaire, dans la mesure où les dispositions en matière de liquidités - connues sous le nom de Bâle III - introduites dans le sillage de la crise bancaire de 2008 ne sont toujours pas pleinement appliquées.

ats, awp

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