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Plancton décimé, poissons sonnés: les effets du vacarme sous-marin

Les activités liées à l'extraction pétrolière sont dans le collimateur des ONG à cause des nuisances sonores sous-marines qu'elles génèrent (archives). © KEYSTONE/AP SANTA BARBARA NEWS PRESS/MIKE ELIASON
Les activités liées à l'extraction pétrolière sont dans le collimateur des ONG à cause des nuisances sonores sous-marines qu'elles génèrent (archives). © KEYSTONE/AP SANTA BARBARA NEWS PRESS/MIKE ELIASON


Publié le 22.06.2018


Les nuisances acoustiques sous-marines créées par les activités humaines étaient à l'ordre du jour d'une réunion internationale sous l'égide des Nations unies cette semaine à New York. Une victoire pour les ONG qui militent pour la reconnaissance de ce problème.

La 19e session de l'Informal Consultative Process on Oceans and the Law of the Sea (ICP19) était consacrée de lundi à vendredi au "bruit sous-marin anthropogène". Le bruit d'origine humaine est principalement créé par les navires de transport, les porte-conteneurs et les pétroliers, avec leurs moteurs et leurs hélices.

Les explosions déclenchées pour démonter des plates-formes pétrolières en mer produisent les sons les plus forts, mais sont plus rares. Les ONG se concentrent sur les canons à air utilisés par les compagnies pétrolières pour détecter des réserves sous-marines.

Un bateau remorque un tel canon, et souvent plusieurs dizaines à la fois, qui envoient des ondes vers les fonds marins. En rebondissant plus ou moins profondément selon les sédiments et les roches, les ondes dessinent une carte en 3D d'éventuelles réserves pétrolières.

Ces décharges de canons à air peuvent se succéder à quinze secondes d'intervalle, sur d'immenses zones, pendant des semaines, à un très fort volume.

Le zooplancton très vulnérable

L'ONG OceanCare, basée à à Wädenswil (ZH), a compilé en mai 115 études réalisées depuis plusieurs années, et montrant des effets plus ou moins graves sur 66 espèces de poissons et 36 espèces d'invertébrés.

Le zooplancton apparaît comme très vulnérable aux canons à air. Une étude de 2017 a montré qu'une seule décharge de puissance inférieure aux canons habituellement utilisés par les bateaux de prospection pétrolière pouvait décimer la moitié du plancton dans la zone traversée. Certaines espèces de zooplancton ont été tuées à 95%.

Or ces planctons sont à la base de la chaîne alimentaire, notamment pour les baleines et de nombreux invertébrés comme les huîtres et les crevettes.

Fuite des cabillauds

Les poissons peuvent souffrir de lésions internes et changer de comportement, comme déboussolés par le bruit, conduisant certains à l'immobilisme, d'autres à fuir.

Dans des études de 1996 et 2012, les tirs de canons à air ont provoqué la fuite de bancs de haddocks (aiglefins) et de cabillauds, jusqu'à faire baisser le taux de prise de 20% à 70% selon les zones.

Certains poissons sont descendus plus bas, où ils étaient plus vulnérables; d'autres ont été pêchés le ventre vide, ayant apparemment cessé de s'alimenter.

Quelles solutions?

La solution la plus directe consisterait à limiter le nombre et l'intensité des prospections acoustiques. Mais, du moins aux Etats-Unis, c'est la direction inverse qui est prise: l'administration de Donald Trump a annoncé l'ouverture prochaine du plateau continental de la Côte atlantique à de telles "études sismiques" en vue, in fine, de forages.

L'industrie pétrolière, elle, argue que les preuves scientifiques ne sont pas probantes. "En outre, les études sismiques sont fréquemment utilisées par le service géologique américain, la fondation nationale des sciences et le secteur de l'éolien en mer", dit à l'AFP Michael Tadeo, porte-parole de l'Institut américain du pétrole, une fédération professionnelle.

Le secteur se défend aussi en soulignant que les bateaux prennent des précautions, notamment en lançant des tirs de faible intensité pour faire partir les baleines, ou en cessant leurs opérations si des cétacés sont présents.

De la "cosmétique"

"Ce sont des tentatives cosmétiques qui ne valent probablement rien du tout", critique Lindy Weilgart, de l'Université Dalhousie, consultante à OceanCare. Concernant les navires, un ralentissement de la vitesse réduirait le volume du bruit. Le port de Vancouver mène des expériences dans ce but depuis l'an dernier, dans le cadre d'un projet nommé "ECHO".

Les ONG militent de leur côté pour que la notion de pollution sonore créée par l'homme soit incluse dans une résolution de l'ONU sur les océans, plus tard cette année.

Alors qu'initialement, c'était principalement l'effet sur les dauphins et les baleines qui était mis en avant, l'ONG agite le spectre d'une perturbation générale de la faune sous-marine, avec une réduction possible des stocks de poissons.

"C'est vraiment un problème de chaîne alimentaire", dit Nicolas Entrup, d'OceanCare. Mais il se félicite: "Le problème du bruit dans les océans est en train de monter vite à l'ordre du jour, en tant que menace environnementale".

ats, afp

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