La Liberté

A l’ombre de la dictature coréenne

Alors qu’approche le 2e sommet Trump-Kim, des milliers de Coréens croupissent toujours dans des camps

Le camp N° 12, dans la province de Hamgyong du Nord. © DR
Le camp N° 12, dans la province de Hamgyong du Nord. © DR

Pascal Fleury

Publié le 15.02.2019

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Droits de l’homme » «Sous le commandement de Kim Jong-un, la Corée du Nord va devenir une grande puissance économique», s’est enthousiasmé le week-end dernier le président Donald Trump, dans un tweet. Annonçant un deuxième sommet avec son homologue nord-coréen les 27 et 28 février à Hanoï, au Vietnam, il a précisé avoir hâte «de faire avancer la cause de la paix». Les discussions préparatoires ont porté sur «une dénucléarisation complète, la transformation des relations entre les deux Etats et une paix durable dans la péninsule», a précisé le Département d’Etat américain.

Pas un mot, en revanche, sur les milliers de prisonniers détenus dans les camps de concentration du pays, ni sur les restrictions sévères aux libertés fondamentales de pensée, de conscience, d’opinion ou encore de mouvement. «Malgré tous les développements positifs auxquels le monde a assisté l’an dernier, la réalité des droits de l’homme sur le terrain n’a pas changé et continue d’être extrêmement grave», regrette Tomas Ojea Quintana, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée.

S’exprimant en janvier à l’issue d’une visite dans la capitale sud-coréenne de Séoul, le rapporteur a déploré que le sujet des droits de l’homme ait été jusqu’à présent absent des déclarations conjointes des deux Corées et des Etats-Unis, alors que les arrestations arbitraires et l’internement dans les camps sont toujours d’actualité. Un regret partagé par Arnold Fang, chargé de recherches sur l’Asie de l’Est à Amnesty International: «Il est absolument indispensable que les droits humains ne soient pas écartés des pourparlers.»

Graves violations

Jusqu’à 120 000 personnes sont toujours détenues dans les quatre camps de prisonniers politiques connus, les kwanliso, affirme Amnesty International. «Elles subissent des violations graves, systématiques et généralisées de leurs droits fondamentaux, notamment des actes de torture et d’autres mauvais traitements, et sont soumises aux travaux forcés», précise l’ONG dans son rapport 2017-2018. Et de souligner que certaines de ces violations constituent «des crimes contre l’humanité».

Ces camps cernés de miradors et de barbelés – dont les autorités nient formellement l’existence – sont cachés en zones montagneuses. Gérés par le Ministère de la sécurité d’Etat et sa police secrète Bowibu, ils sont destinés aux éléments politiques qui dérangent la direction du régime. Ils sont écartés dès qu’ils sont «susceptibles de mettre en cause sa domination dictatoriale, son idéologie «monolithique», ses choix politiques ou ses pratiques révolutionnaires extrémistes», explique David Hawk, dans une étude(1) publiée en octobre dernier. Le défenseur des droits de l’homme, qui enseigne les relations internationales à l’Université de Floride du Sud, mène des recherches depuis des années sur le monde concentrationnaire nord-coréen, accumulant les témoignages de transfuges et croisant leurs renseignements avec des images de terrain obtenues par satellites (lire ci-dessous).

La plupart des prisonniers politiques sont déportés à vie, sans jugement, et isolés du monde. Les membres de leur famille subissent le même sort, selon la règle de la «culpabilité par association» qui peut se prolonger jusqu’à la troisième génération. Les détenus sont obligés de travailler durement comme mineurs, bûcherons ou ouvriers agricoles. Certains sont embrigadés dans des ateliers de produits manufacturés. Le jeune Shin Dong-hyuk(2), rescapé du camp N° 14, raconte que pour avoir laissé tomber une machine à coudre dans des escaliers, il s’est fait couper une phalange de la main droite sur ordre du contremaître. «Si tu meurs, ça ne ramènera pas la machine. C’est ta main le problème! Coupez-lui un doigt!» avait-il hurlé. Sa mère et son frère, eux, ont été exécutés sous ses yeux pour avoir tenté de s’évader.

Climat de peur

A ces colonies pénitentiaires isolées d’inspiration chinoise s’ajoutent plus de vingt kyohwaso. Dans ces camps de «rééducation par le travail» croupissent plus de 70 000 autres prisonniers politiques ou de droit commun, selon la Commission d’enquête de l’ONU sur la Corée du Nord. Si ces détenus ne sont pas à l’isolement, que leurs familles peuvent parfois leur apporter de la nourriture et qu’ils peuvent retrouver la liberté après avoir purgé leur peine, leurs conditions de détention sont souvent aussi brutales et inhumaines que dans les kwanliso: travaux forcés, malnutrition délibérée, hygiène et soins médicaux déplorables, mauvais traitements, viols, torture et forte mortalité due à la maladie, à l’épuisement ou aux suicides.

Ce système carcéral, qui met en évidence «le pire système totalitaire de la planète», selon l’historien Pierre Rigoulot, auteur de plusieurs livres sur la Corée(3), fait peser une menace constante sur la population. «La peur d’être envoyé dans ces camps est très réelle et profondément ancrée dans la conscience du peuple nord-coréen», note le rapporteur Quintana. Donald Trump rêve de voir «Rocket Man» se transformer en «fusée économique». Cela suffira-t-il à libérer le peuple coréen?

1) David Hawk, «Le Goulag parallèle», in Histoire & Liberté, N° 66, Institut d’histoire sociale, octobre 2018.
2) Blaine Harden, Rescapé du camp 14, Editions Belfond, 2012.
3) Pierre Rigoulot, Pour en finir avec la Corée du Nord, Buchet Chastel, 2018.

 

Repères

Deux systèmes de détention

Kwanliso:

Camps de travail pour détenus politiques (et leur famille). Ces camps de concentration sont administrés par le Ministère de la sécurité d’Etat, une «police secrète» très redoutée appelée Bowibu par les Coréens. Les prisonniers y sont déportés souvent à vie, sans procédure judiciaire ni possibilité de recours légal.

Kyohwaso:

Camps de rééducation par le travail pour les délits politiques ou de droit commun. Ces pénitenciers ou autres lieux de travail forcé sont administrés par le Ministère de la sécurité du peuple, appelé aussi Anjeonbu. Les prisonniers sont soumis à une procédure judiciaire. La durée de détention est habituellement fixée. PFY

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Des photos satellitaires appuient les témoignages

La réalité des camps, restée longtemps opaque, est désormais mieux connue grâce aux satellites.

Si l’ensemble de l’arsenal répressif nord-coréen est classé «secret d’Etat», les renseignements venant d’anciens prisonniers, de gardiens ou de fonctionnaires de police ayant fui en Corée du Sud (parmi 30 000 transfuges) permettent aux ONG actives dans la défense des droits humains de se faire une idée assez précise du monde concentrationnaire nord-coréen. Pour suivre l’évolution des camps, et renforcer les témoignages des anciens détenus, les enquêteurs exploitent aussi depuis quinze ans des images satellitaires, toujours plus précises. C’est ainsi qu’ils ont pu observer par exemple l’agrandissement significatif du camp de travail pour détenus politiques N° 15 (Yodok) ou l’ajout d’une nouvelle section pour femmes au camp N° 12 (Jongo-ri). Les autorités refusant toujours à l’ONU et au CICR l’accès aux lieux de détention, ces images satellitaires sont d’une extrême importance. Elles ont même permis d’identifier de nouveaux sites de travaux forcés. PFY

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Radio: Ve: 13 h 30
TV: Pyongyang s’amuse, réalisation: Pierre-Olivier François (France, 2019) Di: 21 h 05 Lu: 23 h 45

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