La Liberté

L’abruti qui vous a scandalisés

Ah, ces journalistes! • Permettez? Notre chroniqueur revient sur sa chronique consacrée à Thierry Meury, l’autre jour, et plus précisément sur vos réactions indignées.

Un journaliste se doit d’aller à la pêche aux infos, d’accord, mais il lui est permis de se passionner encore plus pour la pêche tout court ou la littérature. © DR
Un journaliste se doit d’aller à la pêche aux infos, d’accord, mais il lui est permis de se passionner encore plus pour la pêche tout court ou la littérature. © DR

Pascal Bertschy

Publié le 27.01.2015

Temps de lecture estimé : 5 minutes

La chronique dans laquelle j’ai éreinté Thierry Meury, mardi dernier, c’était le genre de texte qui divise les lecteurs et pour lequel son auteur reçoit en général plein de messages. Ça n’a pas manqué: vous avez été trente ou quarante à m’écrire, le plus souvent pour m’engueuler. Si j’y reviens, c’est pour parler de ce qui a eu le don de vous heurter.

Mon fiel envers Meury, si j’ai bien lu vos messages, passerait encore. Mais un journaliste disant ne pas connaître tel humoriste qu’il vient de découvrir, là non, c’est inadmissible! Or ce n’est pas rien, une vingtaine de lecteurs qui vous disent: mais quel genre d’abruti de journaliste êtes-vous pour ne pas connaître Thierry Meury? Et l’eau tiède, vous pensez la découvrir quand?

Toujours pas contents

Comme il est difficile de vous contenter! Quand j’entends vos commentaires sur la presse, d’habitude, ils se résument à ces reproches: ah ces ignorants de journalistes, ils parlent de ce qu’ils connaissent pas! Mais voilà qu’un idiot du village médiatique avoue son ignorance sur tel sujet, et pan! Ça vous met en rogne. Je relève mon insuffisance, vais un peu dans votre sens, mais peine perdue, c’est pareil. Vous n’êtes toujours pas contents.

Néanmoins, grâce à vous, j’aurai appris cette vérité: il est grave, pour un journaliste, de ne pas connaître Thierry Meury. Ou n’importe quelle autre personnalité. Nabilla, si vous préférez, ou Darius Rochebin, ou X ou Y ou Z.

Le grave, en 2015, c’est ça: ne pas savoir qui est qui. Vivre en dehors du «who’s who». Le monde a tourné pendant des siècles autour de questions d’art, de science, de philosophie, d’histoire, de politique, mais on n’en est plus là. Le monde et l’actualité s’arrêtent désormais à une galerie de têtes connues, de bobines, de personnalités.

Eh bien je m’en doutais déjà, et c’est même pour cette raison que l’actualité ne figure plus parmi mes matières préférées. Quoi, comment, un journaliste qui n’a pas la passion de l’actualité? Non, s’il vous plaît, attendez avant de crier de nouveau au scandale. Tout comme vous, j’ai toujours un œil sur ce qui se passe ici et dans le monde.

Ce que je veux dire, c’est que je ne me sens pas esclave de l’actualité. Depuis le temps, que voulez-vous, j’ai appris à la connaître: cette sotte est éphémère, se répète, rabâche ou parfois radote. Exemple au hasard: le conflit israélo-palestinien, dont le scénario ne varie guère depuis plus de soixante ans.

Je n’ignore pas l’actualité, pas plus que je ne la méprise. Simplement, je n’en fais pas une déesse absolue. D’ailleurs, si je ne la suis pas comme un toutou suivrait son maître, c’est un peu votre faute. Ah si, pardon: aujourd’hui, il faut voir comme vous êtes informés! Maintenant que tout le monde a partout et en permanence sous le nez un tas d’informations, vous êtes même surinformés! Vous savez tout et plus que tout sur tout.

Ne pas s’étonner, après, si les journalistes de presse écrite ne peuvent plus miser uniquement sur l’actu pour essayer de vous intéresser ou vous surprendre un peu. Même moi, oui, j’ai compris ça: la partie ne se joue plus sur le même terrain, il faut vous proposer à côté des informations autre chose.

Alors un journaliste qui passe parfois à côté de ceux qui font l’actualité, comme on dit, et ne connaît pas tel humoriste, tel mannequin ou tel animateur de télévision, ce serait si grave que ça? Pour vous, oui. Et pour moi, non.

Le fâcheux, selon moi, serait qu’un journaliste ne possède pas des notions élémentaires d’histoire et de géographie. Ce serait plutôt qu’il ne connaisse pas deux ou trois petites choses sur la nature humaine. Le triste, pour qui fait profession d’écrire serait de n’avoir jamais lu une page de Proust ou d’un quelconque autre grand écrivain. Et de ne pas savoir à quoi peut ressembler une chanson de Brel ou Ferré.

Pour un journaliste comme pour n’importe qui d’autre, l’affreux serait de manquer d’enthousiasme, de curiosité, de souplesse d’esprit, de rigueur, d’entrain, de recul, d’empathie, voire d’humour ou d’autres choses encore.

Notre matière première

Ne pas savoir qui est Lui ou Elle ne me paraît pas bien grave, et je n’écris pas cela parce que ça m’arrange. Je le dis aussi parce que le désolant, à mes yeux, serait qu’un journaliste ne côtoie pas des ouvriers, des artisans, des autochtones, des étrangers, des vieux, des jeunes, des paysans, des profs, des originaux, des conformes ou que sais-je.

Oui oui, je sais: tout journaliste se doit d’être informé et de donner des informations, je ne dis pas le contraire. Je dis juste que c’est très bien, l’actualité, et les réseaux sociaux aussi, mais qu’il est permis d’aimer plus encore la compagnie des gens, les voyages, la philosophie, la littérature, le cinéma, la nature, le sport et mille autres domaines. Bref tous ceux qui permettent de se documenter à fond la caisse sur la vie, qui est notre matière première à tous.

Et c’est un abruti qui doit le dire!

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