La Liberté

Tu sais ce qu’elle te dit, la bobo?

Aujourd’hui c’est Ferrier! • Ici, j’avais prévu d’abord d’écrire pour vous une petite chronique rigolote. Mais, comme le cœur n’y est pas, place à ceux de «Charlie»…

ariane ferrier

Publié le 13.01.2015

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Depuis le 7 janvier, comme beaucoup de gens, j’ai la gorge serrée. Pas envie d’écrire des choses légères ou rigolotes. Aussi pardonnez-moi de joindre ma petite plume au concert des navrés, des désolés, des meurtris, mais il m’est impossible de ne pas le faire.

En plus, je viens de me faire traiter de «bobo bien-pensante» sur les réseaux sociaux. Alors je vais répondre à ce petit con. Oui, je suis une bobo. Ethologiquement, cela veut dire bourgeois-bohème. Bourgeoise? Je le suis de naissance: ni honte, ni fierté. Bohème? Je le suis de nature. Et «bien-pensante»? Tu m’as craché ces mots comme un insulte.

La joie de lire «Hara-Kiri»

Eh bien je continuerai à l’être, bien-pensante. Parce que même s’il ne m’échappe pas ce que ça peut avoir d’insultant à l’intelligence, je préférerai toujours être perçue comme telle que ressentir ta haine palpable, ne fut-ce que deux secondes. Pour oublier bien vite ta petite insulte malodorante, je vais plutôt paraphraser Perec, et «me souvenir tendrement»…

Je me souviens que j’ai été élevée à l’«Hara-Kiri» apporté clandestinement dans mon foyer par mon frère aîné. Ce journal n’était pas le genre de la maison. Il m’a permis pourtant de découvrir, à un âge fort impressionnable, l’humour «bête et méchant». Humour que je pratique en privé à chaque fois que je le peux et qui révolte mes propres enfants.

Cavanna, c’était Mick Jagger

Je me souviens être tombée irrémédiablement amoureuse vers mes quinze ans de Cavanna, le fondateur d’«Hara-Kiri». Je me suis éprise de lui en lisant «Les Ritals» et «Les Russkoffs».

Puis je me souviens, dans le cadre d’une interview, d’une balade de quatre heures dans Paris avec ce même Cavanna. Les rires, les sourires! Oh comme j’étais bluffée! Oh comme je trottinais derrière lui, qui foulait le pavé de ses grandes enjambées rageuses.

Je me souviens lui avoir donné rendez-vous dans les locaux d’«Hara-Kiri». De lui avoir acheté un bouquet de fleurs, de l’avoir attendu le cœur battant. Ce n’était pas un rendez-vous amoureux, c’était pire: comme si j’allais rencontrer Mick Jagger. Il a fondu, grommelé quelque chose, puis m’a embrassée et emmenée dans cette balade inoubliable.

Choron et Wolinski

Je me souviens avoir interviewé aussi le Professeur Choron, l’autre père d’«Hara-Kiri», d’où naîtra plus tard «Charlie». Choron était très en forme. J’ai morflé, mais j’ai ri comme jamais.

Je me souviens d’un déjeuner avec Wolinski. J’étais très enceinte, et lui très en forme aussi. J’ai pris trois fois le même plat - entrée, plat et dessert. Il riait et m’a proposé des frites pour le dessert. Nous avons mangé des frites, en nous marrant comme des gamins.

Je me souviens des moments passés avec Desproges, chez lui, en banlieue parisienne. Je me souviens des rigolades chez «Vigousse» avec Coco, dessinatrice. Et nos retours en voiture à Genève. Ma chère Coco: la personne la plus douce, la plus ravissante et la plus délicate du monde, qui dessine les trucs les plus effroyablement vulgaires. Sais-tu que Coco a assisté à la tuerie de «Charlie» en protégeant son enfant sous un coin de bureau?

Nous allons vivre des temps difficiles. Il y aura des changements. Il y aura un «après», et j’ai peur qu’il ne soit vilain. Pour l’instant, petit con, ça me va bien d’être bien-pensante. De m’en fiche que mes amis soient juifs, musulmans, catholiques, lesbiennes ou que sais-je encore. Parce que ce qui m’importe, c’est qu’ils soient mes potes.

Ils se prénomment aussi bien Sarah et Vincent que Mohamed, Michel, Patrick, Thibaud ou Véronique. Et ils t’emmerdent, comme moi.

Ça doit être un truc de bobo.

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