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Ce monde que tu redécouvres n’est plus totalement le tien

Ce monde que tu redécouvres n’est plus totalement le tien
Ce monde que tu redécouvres n’est plus totalement le tien
Publié le 29.05.2020

Temps de lecture estimé : 2 minutes

Lettre à nos aînés

Ma chère maman,

Je t’écris cette dernière Lettre à nos aînés quand bien même, après deux mois de confinement strict, nous avons recommencé à nous voir. La première fois avec des fourmillements dans le ventre – l’impatience, bien sûr, mais aussi la vague impression de transgresser la règle du bon docteur Koch.

Depuis, nous avons pu célébrer la Fête des mères en petit comité, babiller dans ton salon devant un café et partager un repas avec les miens. Alors, la vie d’avant? Pas tout à fait. Car, depuis le Covid-19, ce monde n’est plus totalement le tien. Sagement, pendant des semaines, tu t’en es tenue à l’écart. Il faut dire qu’en plus d’Alain Berset, nous, tes enfants, t’avions fait nos recommandations – ou carrément la morale? De plus, ma sœur Laurence s’est aimablement occupée de faire tes courses.

Toi, reconnaissante, obéissante aussi, tu t’es adaptée sans mot dire à ce régime draconien, avec la discrétion qui te caractérise. Surtout, ne pas déranger. Faire ce qu’on nous dit. Jusqu’à ce coup de fil où tu as laissé parler le cœur. Et où tu m’as expliqué que tu trouvais la solitude pénible à la longue, empêchée que tu étais de dispenser ta tendresse, en particulier à tes petits-enfants…

Aujourd’hui, tu ressors un peu, au magasin, dans le quartier pour une petite promenade quand tu en as la motivation. Mais, sans toi, ce monde a pris de nouvelles habitudes que tu redoutes de ne pas comprendre ou de ne pas savoir appliquer – «faire faux», une autre hantise de ta génération.

Dans cet environnement que tu redécouvres, je te sens légèrement handicapée. Des entraves invisibles te lient les mains, ailes rognées, voiles ramenées alors que se lèvent les alizés de libertés retrouvées. Hélas, nous n’osons pas encore joindre les gestes à la parole, aussi aimante soit-elle, ni à nos yeux qui pétillent. Que veux-tu, le virus est passé par là. Il nous a imposé une «distanciation sociale» qui me pèse à moi aussi. Car je reste dans l’âme ton garçon au cœur de pirate. Et je sais quels trésors de tendresse se cachent entre tes mains. Il me tarde d’y revenir. A bon port.

Serge Gumy Rédacteur en chef, Fribourg

Ce texte met fin à la Lettre à nos aînés,rubrique lancée par La Liberté, Arcinfo,Le Quotidien jurassien, Le Journal du Jura,le Nouvelliste et l’émission de la RTSPorte-Plume. Lire aussi en page 14.

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