La Liberté

Un puissant parle aux pouilleux

Le Brésil, ta gueule! • A six semaines de la Coupe du monde, Michel Platini vient d’inviter le peuple brésilien à se calmer illico. Mayday, mayday, Rio ne répond plus...

Michel Platini, apparemment content de lui... Keystone
Michel Platini, apparemment content de lui... Keystone

Pascal Bertschy

Publié le 29.04.2014

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Il y a enfin quelque chose de drôle chez Michel Platini, président de l’UEFA et candidat à la présidence de la FIFA. Depuis ce week-end, c’est sa volonté de mettre au pas la grouillante et turbulente population d’un pays comptant près de 200 millions d’habitants.

Au cas où ses déclarations vous auraient échappé, Platini vient de se lâcher devant des journalistes qui l’interrogeaient sur le Mondial 2014. D’abord en disant ceci: «Il faut absolument dire aux Brésiliens qu’ils ont la Coupe du monde et qu’ils sont là pour montrer les beautés de leur pays et leur passion pour le football. Et que s’ils peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, ce serait bien pour le Brésil et pour la planète football.»

Après quoi Michel est reparti de plus belle: «Faites un effort pendant un mois, calmez-vous. Rendez hommage à cette belle Coupe du monde. (...) Les Brésiliens, il faut qu’ils se mettent dans l’idée de recevoir les touristes du monde entier, et que pendant un mois ils fassent la trêve.» 

Ce qu’il y a de commode, avec des propos pareils, c’est qu’il n’est pas nécessaire de les interpréter. Ils parlent d’eux-mêmes, sont fastoches à résumer. Traduction du message de Platini, en langage clair: «D’ici à la fin de la Coupe du monde, les Brésiliens, fermez vos gueules et marchez droit!»

Marcher droit, évidemment, c’est exiger beaucoup d’un peuple aussi doué pour les pas de danse. Mais qui sait? Peut-être les Brésiliens suivront-ils la consigne du dirigeant français et feront la fête au lieu de la ternir bêtement. Histoire de ne pas se montrer ingrats envers la FIFA qui, dans son infinie grandeur, a daigné leur offrir la Coupe du monde. Cadeau offert contre une petite quinzaine de milliards de francs en retour, tout de même...

Des dizaines de millions de Brésiliens qui se conformeraient aux clichés - «festa, futebol, samba» - et s’enchanteraient soudain de leur sort, sous prétexte que leur pays organise le Mondial de foot, c’est néanmoins peu probable. Dans cet immense pays dont les centres urbains sont étranglés par les bidonvilles, la délinquance, les inégalités, les violences, la corruption et une insécurité démente, cela relèverait carrément de la science-fiction.

Le cynisme d’un Platini, en revanche, appartient bel et bien à la réalité d’aujourd’hui. Un autre Français, avant lui, s’était déjà adressé au peuple brésilien. Il s’appelait Nougaro et son message commençait comme ça:

«Brésilien mon frère d’armes
Sur le parcours du cœur battant
Toi qui ris avec tes larmes
O toi qui pleures avec tes dents
Viens visiter l’Occident...»

L’air de Platini, lui, a moins de poésie. Brésiliens, calmos! Bourrez-vous de somnifères s’il le faut, mais arrêtez de la ramener. Pouilleux, oubliez vos misères! Crève-la-faim, rangez votre désespoir, rangez vos revendications! Bref tenez-vous, bande de gueux, et ayez la décence d’attendre que la caravane du sport soit passée pour aboyer...

Platini a beaucoup de chance: il y a eu une époque où le ridicule tuait; maintenant, il fait vivre. Et même très confortablement dans le cas des dirigeants de la FIFA, du CIO ou de l’UEFA, ces nouvelles superpuissances économiques et géopolitiques qui n’obéissent plus qu’à elles-mêmes.

Du coup, quand on siège à la direction d’un tel machin, on voit le monde de très haut. On vit à une telle altitude que, par la force des choses, on n’a plus guère conscience de ce qui se passe en bas. Le boulot de ces gens-là, il est vrai, ne consiste pas à s’occuper de ce qui se passe dans les bas-fonds du globe. Leur cahier des charges impose simplement d’afficher son humanisme, de temps en temps, en lançant de vastes campagnes de communication - pour le développement, contre le racisme, etc.

Ils transpirent l’arrogance

De là ce sentiment de toute-puissance qui grise les hauts dirigeants du sport mondial et leur en font dire des fortes. D’où aussi l’irritation d’un Sepp Blatter et d’un Jérôme Valcke, les maîtres de la FIFA, puis maintenant d’un Michel Platini lorsque des événements ou des individus se permettent de contrarier leurs grandioses projets.

Leurs seigneuries transpirent l’arrogance, dégoulinent de condescendance. Leurs Excellences ont horreur de la contradiction, de l’imprévu, des peuples indociles, et c’est normal. Leur quotidien consiste à courir d’un palace cinq étoiles à un événement sportif planétaire, à trottiner du siège de leur organisation à diverses mondanités.

La dissidence et la divergence ne font pas partie de leur univers. Lorsque celles-ci ont le mauvais goût de se manifester, malgré tout, leurs altesses voient aussitôt rouge. Aussi rouge que le tapis qu’on leur déroule partout!

Ces messieurs qui grondent

Il n’en faut alors pas plus pour que ces messieurs gesticulent sous les caméras, s’agitent devant les micros. Ils s’exaspèrent en écoutant, d’une oreille agacée, les mauvaises nouvelles qu’on ose leur rapporter. S’irritent de constater, de leur hauteur froissée, un désordre susceptible de nuire à leur entreprise. En conséquence de quoi ils déplorent, avertissent, montrent du doigt, admonestent ou sermonnent.

Les rois de la planète n’ont pas de morale, pas besoin! Ils sont la morale. Blatter et les siens ont imposé un modèle de Coupe du monde où il n’y a que des inconvénients, pour le peuple du pays organisateur, et aucun avantage. Mais, disent-ils, c’est pour le bien de l’humanité. Et cette dernière se doit, dans son intérêt, de parler d’une seule voix: celle du ballon rond, ou de l’olympisme dans le cas des Jeux. Telle est leur vision du monde, qu’ils confondent avec leur monde à eux.

Voilà ce qui arrive aux types quand ils ne savent plus où ils habitent...

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