La Liberté

Détruire une trop belle pierre

Nos jeunes avaient trouvé, ce jour-là, une pierre blanche aux nombreux cristaux... © Jan Kopřiva/Unsplash
Nos jeunes avaient trouvé, ce jour-là, une pierre blanche aux nombreux cristaux... © Jan Kopřiva/Unsplash

Michaël Perruchoud

Publié le 08.08.2022

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Le mot de la fin

Nadine, ce n’était pas à proprement parler ma cousine, et moins encore ma grande sœur, mais elle a un peu joué ces rôles-là sans l’avoir voulu.

Ses parents divorçaient et elle passait ses jeudis et quelques week-ends chez nous, loin du tumulte qui secouait sa vie. Elle était adolescente, je devais avoir six ou sept ans et n’étais pas à proprement parler ravi qu’une grande fasse la grasse matinée dans ma chambre.

Mes courses de petites voitures passèrent dès lors obstinément par le lit de camp où elle espérait traînasser un bon moment encore. Elle finissait par quitter les lieux, s’inclinant devant mes piteuses manières de sale gamin.

Mais quand elle ne me volait pas, malgré elle, mon espace vital, je l’aimais bien, Nadine. Et je crois que c’était assez réciproque. Au chalet, où elle passa quelques vacances à nos côtés, nous allions parfois marcher ensemble, sans dire grand-chose. Mais à l’aise.

Ce jour-là, elle m’avait proposé de ramasser des cailloux. Elle avait vu que j’en déposais de jolis vers les arbres du haut, là où papa n’avait pas à s’occuper de son gazon, et où mes obsessions minérales ne pouvaient abîmer la lame de sa tondeuse. Durant la balade, je me suis bien rendu compte que j’étais le seul à prendre la question au sérieux.

Nadine marchait en rêvassant. Les petits copains potentiels qui pointaient le bout de leur nez n’étaient sans doute pas absents de ses pensées. Pas grave, je courais de part et d’autre du sentier, en l’interpellant à tout bout de champ. «T’as vu cette pierre, elle ressemble au Cervin! Et celle-ci, on dirait une tête d’ours!»

Et puis, nous sommes tombés sur la perle rare. Une pierre blanche, immaculée, incurvée, posée là comme une offrande. Une pierre de rêve que papa serait forcé de placer devant le chalet, à la vue de tous.

«On va réussir à porter ça?» me demanda-t-elle. «Ben ouais, je suis vachement costaud», ai-je répondu avec des accents à la Titeuf. Je n’en menais pourtant pas large avant de soulever la pierre et je fus agréablement surpris par son poids. Mon magot entre mes bras, nous avons entamé le chemin du retour. Et c’est là que, horreur, ma pierre m’a échappé. Elle s’est mise à rouler dans la pente et je me suis demandé si elle n’allait pas détruire un arbre ou, pire, la paroi d’un chalet.

Avec Nadine nous observions, tétanisés, la course du minéral lorsque celui-ci à force de rebondir sur le sol se cassa en deux, puis en huit, puis en mille morceaux. Une véritable explosion! Nous sommes descendus à travers champs à la recherche d’un fragment que je n’ai pas tardé à trouver. «Regarde, dis-je à Nadine, il y a mille cristaux brillants!» Saisie d’un doute, Nadine posa un doigt sur la pierre, le porta à ses lèvres. «En plus, elle est salée…»

Il m’a fallu deux secondes encore pour comprendre que nous avions emporté le sel des vaches. Ne restait plus qu’à aller avouer cela au paysan du coin.

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