La Liberté

Le réalisme cru de Larry Clark

Photographie • En marge du FIFF, Fri Art expose la célèbre série de Larry Clark, «Tulsa». Balthazar Lovay, curateur de l’exposition, souligne son caractère poétique et cinématographique.

Pour Balthazar Lovay, Larry Clark pose un regard empathique et respectueux sur ses sujets. © Vincent Murith
Pour Balthazar Lovay, Larry Clark pose un regard empathique et respectueux sur ses sujets. © Vincent Murith

Déborah Loye

Publié le 23.03.2015

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Le centre d’art contemporain fribourgeois Fri Art expose une série de photos de Larry Clark, réalisateur et photographe américain dont le dernier film, «The Smell Of Us» sera projeté dans le cadre du FIFF (lire ci-contre). La série photographique «Tulsa», réalisée entre 1963 et 1971, tient son nom de la ville d’Oklahoma où Larry Clark a grandi. A l’issue de ses études d’art, il y retourne avec l’ambition de tourner un film sur l’univers de sa jeunesse marquée par la drogue. Faute de moyens, il publiera un livre photographique dont la forte dimension narrative influencera nombre de photographes ainsi que de cinéastes.

Larry Clark capture, non sans poésie, les seringues passant de veines en veines pour provoquer extase puis déchéance. Des images explicites au réalisme cru qui ont marqué leur époque et interpellent encore aujourd’hui. Balthazar Lovay, curateur de l’exposition, a choisi de disposer les 50 photos, dont le tirage date de 1980, dans une seule pièce, s’inspirant librement du livre pour les agencer. L’exposition se termine sur une touche cinématographique, avec cinq vidéos de Larry Clark révélant des ados humiliés sur des plateaux de télévision.

- Dans quelle mesure avez-vous conservé la chronologie du livre pour l’accrochage des photos de «Tulsa»?

Balthazar Lovay: Comme nous sommes dans le contexte d’un festival de cinéma, je voulais jouer avec cet aspect narratif. A quelques exceptions près, j’ai respecté la chronologie du livre. La façon dont les images sont disposées dans les pages du livre participe aussi de la séquence narrative. J’ai donc joué sur l’architecture de la pièce pour recréer cet univers. Cela dit, les images sont tellement suggestives que, même si l’on ne respecte pas leur chronologie, elles racontent une histoire. Certaines photos sont à elles seules de vraies scènes de film. Larry Clark a d’ailleurs précisé que l’on pouvait les agencer comme on le souhaitait. J’ai vu des expositions dans lesquelles elles sont disposées en damier, toutes sur le même mur.

- Les photos racontent l’histoire d’une jeunesse désœuvrée, qui tente d’échapper à son quotidien à coups de shoots de drogue. Ces situations sont-elles mises en scène?

Larry Clark photographie les événements de l’intérieur, en y participant. Ce sont ses amis qui sont photographiés, il partage leurs seringues, leur baraque. Il aborde ainsi une double posture de témoin et de participant. C’est largement autobiographique, mais il y a une part de fiction. Larry Clark dit: «Je photographiais ma propre vie et les gens autour de moi, mais déjà dans les années 60 je voulais en faire des fictions.» Cette part de fiction transparaît dans le fait que la position des images est interchangeable: il est possible de fabriquer n’importe quel type de narration en transformant la chronologie. Et puis il y a une dimension poétique. Certaines photos sont en dehors des questions morales, au-delà du jugement. On se trouve alors dans un propos fictionnel.

- Que représente Larry Clark dans l’histoire de la photographie?

Il marque une rupture. Le livre du suisse Robert Frank «The Americans» est sorti dix ans avant «Tulsa». Il s’agit d’un grand reportage sur l’Amérique. Robert Frank photographie les gens. Il n’y a jamais de nom de ville, jamais de contexte. C’est une série assez sombre, un portrait de l’Amérique profonde et pauvre, loin de la féerie hollywoodienne. Clark arrive en 1971 avec la génération suivante. Il représente un niveau supérieur de violence et de misère. Ce qui change radicalement, c’est que le photographe n’est plus un reporter ni un ethnographe. Il est un protagoniste qui porte un regard horizontal sur le sujet qu’il photographie. C’est une rupture fondamentale!

- Quel impact cette façon de procéder aura-t-elle sur le cinéma?

Une influence énorme! Gus Van Sant affirme que sans «Tulsa» il n’aurait jamais fait de film! Cela est cocasse car c’est lui, par la suite, qui a encouragé Larry Clark à prendre la caméra. Et puis il y a Scorsese, le scénariste Paul Schrader, Wim Wenders…

- Qu’est-ce qui inspire ces réalisateurs?

Je crois que c’est vraiment ce regard horizontal, empathique, respectueux. Ce n’est plus une institution, comme Hollywood le fait pour le cinéma, qui décide de «faire un reportage sur». L’histoire n’est plus écrite par les classes supérieures mais par les gens qui vivent le sujet. Cela fascine les cinéastes et les photographes, et je crois que c’est également ce qui touche le public. I

> Exposition, jusqu’au 3 mai, Fri Art, Fribourg.

> L’actu du FIFF également dans le dossier fiff.laliberte.ch

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Artiste génial ou vieil obsédé?

Septième long-métrage de Larry Clark pour le cinéma, «The Smell Of Us» ne détonne pas dans une filmographie qui, depuis «Kids» (1995), ne fait que ressasser les mêmes thèmes avec plus ou moins d’inspiration. Soit la description assez complaisante des expériences sexuelles de jeunes désœuvrés adeptes de skate et de drogues en tous genres. Tourné à Paris avec des acteurs français sélectionnés sur casting, ce montage psychédélique n’a pas la froideur documentaire des premiers films de Clark et apparaît plutôt comme une succession de scènes trash plus ou moins provocatrices. Alors, poème voyeuriste pixelisé sous influence rimbaldienne ou laborieux pensum d’un vieil obsédé sexuel qui profite de son statut d’artiste pour filmer des ados dénudés? Chacun jugera selon sa sensibilité esthétique et son degré de tolérance au sordide. Mais s’il ne fallait voir qu’un seul film cette année au FIFF, ce ne serait certainement pas celui-là!
Eric Steiner

> Je 12h Rex 3; sa 12 h 05 Cap’Ciné 7.

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