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André Sugnaux au Musée gruérien

L’institution expose 80 œuvres du Glânois, dont une frise commémorative jamais réalisée

La Folie devait figurer à l’entrée du mémorial d’Alzhir. Le Musée gruérien la présente à l’échelle 1:1. © Musée gruérien
La Folie devait figurer à l’entrée du mémorial d’Alzhir. Le Musée gruérien la présente à l’échelle 1:1. © Musée gruérien
André Sugnaux au Musée gruérien
André Sugnaux au Musée gruérien

Stéphane Sanchez

Publié le 10.06.2021

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Bulle » Musée d’Alzhir, à 38 km de la capitale de l’ancienne république soviétique du Kazakhstan. Inauguré en 2007, ce musée commémore le camp où étaient emprisonnées les «épouses des traîtres à la patrie», sous l’ère stalinienne. Sur place en 2011, le peintre glânois André Sugnaux est prêt à faire œuvre de mémoire. Il doit réaliser une fresque dans le bâtiment conique du musée. Son œuvre, circulaire, est monumentale: 43 mètres de périmètre, pour 107 m2.

«J’avais l’agrément des Beaux-Arts nationaux, de la censure, du gouvernement et du musée (le commanditaire, ndlr). On m’avait installé dans une baraque. J’avais prévu le temps nécessaire, les échafaudages, la peinture», explique l’artiste. «Mais l’ambassade a finalement refusé d’assurer ma sécurité» pour des raisons politiques et diplomatiques. Aujourd’hui encore, l’espace que devait occuper la fresque est vide. Mais André Sugnaux a conservé les cartons de son œuvre, dans sa ferme à Prez-vers-Siviriez. Une frise désormais visible jusqu’au 3 octobre au Musée gruérien, dans une version réduite aux couleurs réajustées.

De l’autre côté des barbelés

L’œuvre fait écho à l’art du vitrail: des bandes de couleurs horizontales unissent les 17 tableaux qui la composent, tout en évoquant les tenues rayées des prisonnières. «De l’autre côté» des barbelés, l’indicible se déroule au fil des jours et des saisons. Au commencement figure le jugement dernier: «Ici, on voit une sorte de fronton de cathédrale, avec Staline en pantocrator, ses ministres, et trois moujiks soûls qui jugent les «traîtresses» (ndlr), effacent leur dignité et changent leur nom en matricule. On les voit ensuite quitter le soleil et la liberté. Certaines se sont révoltées…» L’artiste symbolise leur sort par un trabtsè, la table qui servait à faire boucherie.

Rasées, les épouses finissent au camp d’Alzhir, dans des baraques «infestées de rats», avec leurs jeunes enfants ou nourrissons. «Ici on voit les projecteurs des miradors. Les gardiens faisaient «des cartons» sur les enfants qui couraient dans les ronds de lumière au sol», décrit André Sugnaux. Il représente aussi le viol de ces femmes, enchaînées à des murs, sous la garde de molosses. Partout, le graphisme contemporain souligne les corps et les esprits brisés.

«Ici, on voit le tourment des mères, dans la nuit: elles savent que les moujiks vont leur prendre leur enfant, une fois sevré. Epouvantés, ils partiront pour un autre camp.» Certains meurent avant: «En été, les mères les enterraient elles-mêmes. Mais l’hiver, il faisait trop froid pour creuser. Les corps étaient jetés dans ces tonneaux, là. La fonte des neiges les emportait.» C’était alors le Dernier baiser de ces femmes, condamnées à la folie. «Et il y a beaucoup de scènes que je n’ai pas osé mettre, comme le viol des enfants…»

«C’est mon devoir de conserver cette histoire. Je suis imprégné de tout cela», poursuit André Sugnaux, qui donne voix aux victimes des goulags depuis 2003, date de son admission dans l’Union des artistes russes et de son accréditation au secteur culturel de la Douma. Pour Alzhir, le Glânois a ainsi rencontré une cinquantaine de survivants. «J’ai fait de nombreux dessins que je leur ai soumis.»

Mais l’exposition Passions russes dépasse ce cadre commémoratif. Agé de 76 ans, le Glânois a en effet travaillé en Algérie, dans les bidonvilles du Caire, à Saint-Pétersbourg ou en Sibérie. Au travers de 80 œuvres, les commissaires Christophe Mauron, Philippe Clerc et Monique Durussel ont retracé ce parcours tissé de spiritualité, de rencontres «ethnologiques» et d’humanité. Un périple qui teinte jusqu’aux paysages fribourgeois revisités par l’artiste. Cette troisième exposition personnelle du Glânois au Musée gruérien (après 1987 et 2004) inspire deux nouveautés à l’institution: un magazine dédié à André Sugnaux; et une résidence qui permettra à Marc Aymon et Jérémie Kisling de présenter cet automne leurs compositions en situation.

> Jusqu’au 3 octobre au Musée gruérien, Bulle.

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