La Liberté

De Luther à la Suisse internationale

La Suisse fut l’un des premiers pays à accueillir la Réforme protestante. Retour sur une conversion

Ulrich Zwingli a joué un rôle important dans la ­Réforme 
en Suisse. 
 © Musée national suisse/DR
Ulrich Zwingli a joué un rôle important dans la ­Réforme 
en Suisse. 
 © Musée national suisse/DR

Propos recueillis par 
Louis Rossier

Publié le 03.11.2017

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Réforme »   Il y a 500 ans, le 31 octobre 1517, Martin Luther placardait ses fameuses 95 thèses sur les portes de l’église de Wittenberg, dans le nord de l’Allemagne. Cet acte allait signer le lancement de la Réforme protestante en Europe. Elle gagne la Suisse avec une rapidité fulgurante: Zurich se convertit officiellement en 1523, suivi peu après par Bâle, Saint-Gall et Berne, sous l’impulsion de laquelle commencera la conversion d’une partie de la Suisse romande. Pierre-Olivier Léchot, professeur d’histoire à la Faculté de théologie protestante de Paris, revient sur les premiers pas de la Réforme en Suisse et explique en quoi la Suisse contemporaine est redevable à cette période agitée.

Comment expliquez-vous la fulgurance de l’arrivée de la Réforme en Suisse?

Pierre-Olivier Léchot: Certains his­toriens n’aiment pas expliquer un ­événement par l’importance d’une personnalité, mais il ne faut pas ­sous-estimer celle d’Ulrich Zwingli (1484-1531). D’un caractère énergique et décidé, il s’est fait une obsession, après sa conversion individuelle, de réformer l’Eglise sur des bases évangéliques. En abordant le sujet du mercenariat, très sensible à l’époque suite à la défaite de Marignan, il s’est également assuré l’attention d’une large audience. Enfin, il faut souligner l’authentique réceptivité de la population au message que les réformateurs diffusaient.

Comment se fait-il que les thèses de Luther aient été imprimées à Bâle pour la première fois, en 1517 déjà?

L’épanouissement économique et intellectuel de la ville de Bâle découlait en bonne partie de ses imprimeries et de la présence des humanistes. Ceux-ci se tenaient au courant des idées qui circulaient et ils n’ont pu manquer d’entendre parler de l’initiative de Luther; certains décidèrent donc probablement de s’en faire l’écho en les imprimant. L’impact ne se limitera pas à la Suisse puisque l’impression de ses thèses, et des œuvres qui les suivront, contribuera largement à une diffusion des idées de Luther dans toute l’Europe, avec une ampleur que leur auteur lui-même n’avait pas prévue, et qui l’effraya. Le succès de ce premier tirage et de ceux qui lui succédèrent est également le signe d’un vif intérêt au sein de la population.

Mais la Réforme n’a-t-elle pas aussi été promue par certaines autorités à des fins politiques?

Vous savez, au XVIe siècle, distinguer le politique du religieux n’était pas aussi aisé qu’aujourd’hui. D’ailleurs, encore aujourd’hui, lorsqu’une personne s’engage en politique, elle le fait sur la base de ses convictions, au sein desquelles peuvent intervenir des éléments religieux. Au XVIe siècle, politique et religion allaient généralement de pair. Si Berne diffuse les idées de la Réforme dans le pays de Vaud, c’est peut-être en partie pour saper l’influence du duché de Savoie, son grand rival d’alors, mais on ferait un mauvais procès aux autorités de l’époque en affirmant qu’elles n’avaient qu’un agenda politique froid et calculateur.

Pourtant les autorités bernoises se sont approprié certaines possessions de l’Eglise…

Oui, mais elles n’ont pas attendu la Réforme pour, par exemple, transférer le patronage du couvent des nonnes d’Interlaken au chapitre de la collégiale Saint-Vincent à Berne, or cette mainmise ne saurait être dissociée des convictions religieuses des autorités. Il est important de comprendre que le succès partiel de la Réforme en Suisse y est intrinsèquement lié, de même que son échec partiel. Si Lucerne, Uri ou Schwyz ne laissent que peu d’emprise aux réformateurs, ce n’est pas tant à cause d’une rivalité politique avec les Zurichois, mais plutôt parce que la Suisse centrale avait déjà réformé ses liens avec l’Eglise au cours des siècles précédents, en adoptant une approche plus communale.

En quoi la Suisse d’aujourd’hui est-elle tributaire de ces années de troubles?

La propagation partielle de la Réforme en Suisse a imposé l’idée qu’on y était obligé de développer un modus vivendi pour coexister entre individus de confessions différentes. Il faut prendre la mesure de cette coexistence: il ne s’agissait pas simplement de différences entre deux cantons! Si le comté de Neuchâtel était par exemple protestant, on y trouvait deux villages, Le Landeron et Cressier, qui faisaient office d’irréductibles Gaulois catholiques, grâce à un fort soutien du canton de Soleure puis de l’évêque de Lausanne installé à Fribourg. Or, au sein même de la châtellenie du Landeron se trouvait un village, Lignières, qui était resté protestant. On a observé des situations similaires dans l’ancien évêché de Bâle, en Thurgovie, dans le Pays de Vaud, etc. Comment gérer cette cohabitation? Une logique conflictuelle a finalement laissé place à une culture du compromis.

La Réforme a également contribué 
à donner à la Suisse le caractère ­international dont elle jouit encore aujourd’hui…

Oui, dans la mesure où les villes qui l’ont adoptée, comme Zurich, Genève, Berne et Lausanne, se dotent d’académies pour former leurs pasteurs et leurs élites locales. Avant, la seule ville en Suisse qui bénéficiait d’une université, c’était Bâle. Or, ces académies protestantes accueillaient des étudiants et des enseignants d’Italie, de France, d’Allemagne ou même d’Ecosse. Une socialisation s’y noue donc, sur la base de correspondances et d’échanges d’idées, qui contribue à faire de la Suisse un centre du monde réformé. Ces villes trouvent alors une dimension internationale à travers leur rayonnement intellectuel et religieux. On peut en dire autant, dans une certaine mesure, des collèges jésuites établis par Rome dans d’autres régions de Suisse, à Fribourg notamment, en réaction à la Réforme.

Pierre-Olivier Léchot, Une histoire de la Réforme protestante en Suisse (1520-1565), Editions Alphil, 2017.

Radio: Ve 13h30
TV: Dieu, le travail 
et l’argent
Di: 21h05
Lu: 23h40

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Marignan, mère du protestantisme suisse?

Aumônier auprès des mercenaires engagés aux côtés du duc de Milan, Ulrich Zwingli va être profondément marqué par la lourde défaite que subissent ses compatriotes à Marignan: entre 6000 et 10 000 Suisses gisent sans vie autour de lui. L’événement va faire de lui un opposant farouche au système du mercenariat. «Pour Zwingli, chrétienté et mercenariat sont incompatibles», explique l’historien Pierre-Olivier Léchot. Il faut dire que le mercenariat individuel avait alors pris des proportions inouïes, et les services des soldats les plus appréciés s’arrachaient parmi les princes à des prix astronomiques. L’historien américain Bruce Gordon n’hésitait pas à comparer ces mercenaires surcotés aux footballeurs contemporains.

Mais cette recherche vénale de l’argent facile, associée à une culture guerrière grandissante au sein de la jeunesse, inquiète une partie de la population, au point que la Confédération tente de juguler le phénomène en 1503 avec le Pensionsbrief, qui interdit le mercenariat individuel. Mais les cadavres de Marignan révèlent son succès relatif, aussi la population se montre particulièrement à l’écoute de ces prêtres peu conventionnels prenant parti contre le mercenariat qui ravage sa progéniture. «Aux yeux des réformateurs, l’attrait pour la violence et l’argent incarné par le mercenariat était le signe d’une décadence morale et du manque de discipline spirituelle du clergé suisse», commente Pierre-Olivier Léchot. La prise de position radicale de Zwingli contre le mercenariat va contribuer à sa popularité au sein de certains cercles zurichois. Il finit par y être élu prêtre en 1519, et commence à prêcher avec le succès qu’on lui connaît. LRO

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