Dieu se cache-t-il dans la nature?
Planète • Entre l’approche chrétienne de la nature, sa perception orientale ou sa lecture athée, les spiritualités s’entrechoquent. Mais le désir de réenchanter le monde est omniprésent.
Pascal Fleury
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«Dieu, c’est la nature.» Alors qu’approche la conférence parisienne sur le climat (COP 21), l’éditeur et écrivain français Marc de Smedt s’est intéressé à la célèbre phrase du philosophe hollandais Spinoza, pour qui la nature est une expression de l’essence divine.
«La nature donne l’image d’une Création où violence et harmonie, destruction et fécondation, vide et plénitude, désert et luxuriance s’interpénètrent. Donc pas d’angélisme: les forces naturelles sont tissées de vie et de mort», expose Marc de Smedt dans l’ouvrage collectif «La Nature miroir du divin»*. Pour mieux saisir l’insaisissable, il a demandé à une trentaine de spécialistes, philosophes, scientifiques, naturalistes, sociologues, ethnologues et poètes de témoigner, dans leur sphère et partant de leur propre expérience, de la façon dont le concept de nature leur parle jusqu’au plus profond de leur être.
Résultat: un caléidoscope complexe, aussi riche et passionnant que notre planète, une «écologie spirituelle» allant des précieux et subtils enseignements des ermites d’antan à la conscience de l’impermanence de la beauté au Japon ou aux observations extatiques des explorateurs en solitaire.
Chaque goutte de pluie...
Au XIIe siècle, la visionnaire Hildegarde de Bingen, abbesse de plusieurs monastères bénédictins, femme médecin considérée comme la première naturaliste allemande, estimait ainsi que chaque fragment de rocher, de plante, chaque goutte de pluie et chaque animal sont reliés entre eux, à nous et à l’univers car, disait-elle, «tout ce qui se trouve sous le statut de Dieu se répond l’un l’autre».
Dans son rapport avec la nature, l’astrophysicien et écologiste Hubert Reeves lui ferait volontiers écho, mais il se sent beaucoup plus en accord avec les visions bouddhistes et hindouistes qu’avec les religions monothéistes: «Ces dernières, explique-t-il dans l’ouvrage, placent l’hom-me au centre de tout, en mettant le reste à son service. C’est écrit dans la Bible: «Dominez, asservissez», alors que c’est justement ce qu’il ne faut pas faire. Notre attitude vis-à-vis de l’environnement, en voulant absolument le contrôler, nous a mis dans le mur!»
Ni humaine ni divine
André Comte-Sponville propose pour sa part de passer par la philosophie pour mieux comprendre notre rapport complexe, multiforme et contradictoire avec notre environnement: «La nature, écrit-il, n’est ni serve ni maîtresse, ni humaine ni divine. Nous n’en sommes ni les propriétaires, ni les esclaves. Nous sommes en elle et elle est en nous. (...) Que la nature soit notre demeure et notre origine, ce n’est pas une raison pour la vénérer - la nature n’est pas Dieu -, mais c’en est une, et suffisante, pour la connaître, pour la respecter, pour la préserver - pour l’aimer.»
Pour le philosophe français Michel Onfray, qui se dit «radicalement athée», la formule «Dieu, c’est la nature» de Spinoza est celle d’un panthéiste. Lui préfère dissocier la nature et le divin. «Je ne ressens pas le besoin de donner une forme religieuse à ma spiritualité», précise-t-il.
«Renaturer» nos esprits
Au-delà des chapelles, noblement respectées, l’ouvrage collectif met l’accent sur l’importance qu’il y a de «renaturer» nos esprits, de réenchanter la nature afin de lui redonner un rôle majeur dans nos existences. «Les Anciens croyaient les oliviers immortels, raconte Marc de Smedt. Bien que plusieurs fois centenaires, ils meurent aujourd’hui par milliers dans le sud de l’Italie, terrassés par une vulgaire mouche. Un signe des temps parmi d’autres. Mais en Provence, sur la colline où j’habite, ils avaient été détruits par un gel printanier tardif en 1954: ils sont repartis par la souche! C’est aussi cela, la grande leçon de la nature...»
* La Nature miroir du divin, collection Question de... No 2, sous la direction de Marc de Smedt, Editions Albin Michel, 2015.