La Liberté

Ceux qui préfèrent le bleu au gris-vert

Histoire vivante-Conflits Ils s’appellent les bérets bleus. Sur mandat de l’Organisation des Nations Unies (ONU), ces soldats et officiers aident au maintien de la paix sur des théâtres de guerre parfois explosifs. La Suisse y contribue depuis 1990.

Le colonel Patrick Gauchat (sur la photo lors d’une mission dans leSahara occidental)est l’un des officiers les plus expérimentés des bérets bleus suisses. Il travaille actuellement au quartier général de New York. © DR
Le colonel Patrick Gauchat (sur la photo lors d’une mission dans leSahara occidental)est l’un des officiers les plus expérimentés des bérets bleus suisses. Il travaille actuellement au quartier général de New York. © DR
Ceux qui préfèrent le bleu au gris-vert © Valérie Régidor
Ceux qui préfèrent le bleu au gris-vert © Valérie Régidor

Propos recueillis par Pierre-André Sieber

Publié le 02.10.2015

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Colonel d’état-major général (EMG), Patrick Gauchat (47 ans) a passé de nombreux jours en gris-vert. Mais sa couleur préférée, c’est le bleu du béret qu’il a porté dans de nombreuses zones de conflits pour les missions de la paix de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Résidant à Romont, diplômé de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), ce béret bleu fribourgeois travaille depuis quinze mois au quartier général de l’ONU à New York, au département du maintien de la paix ou, dans le jargon, département de peacekeeping.

Avant d’arriver à ce poste névralgique, l’officier de la paix suisse a dû effectuer de nombreuses missions sur le terrain, qui l’ont mené du Kosovo au Liban jusqu’en Corée. Une condition sine qua non. Il a aussi dû passer les sélections onusiennes. Interview.

- Evoluer dans le contexte tendu et complexe d’un conflit n’est pas du ressort de tout le monde. Quelle qualité faut-il avoir pour être un bon béret bleu?

Patrick Gauchat: Pour être un bon «peacekeeper» (gardien de la paix, ndlr.), il s’agit d’être en tout instant convaincu non seulement de la tâche mais aussi du privilège de pouvoir aider d’autres populations. Il faut pouvoir garder son calme lors de situations de stress. Il faut être capable d’ouverture d’esprit par rapport aux camarades de très nombreuses nationalités. Diversité de culture et difficultés de communication dues aux nombreuses langues qu’on rencontre sur le terrain nécessitent une attention soutenue et de la tolérance.

- Si on vous suit, il faut être apte à assimiler davantage que les règles militaires…

Quand on part pour une mission au travers du SWISSINT (unité suisse qui forme et envoie les militaires à l’étranger, notamment les bérets bleus, ndlr.), les soldats et officiers suisses sont très bien préparés. Etre au top des connaissances militaires et être prêt à intégrer les nouvelles règles internationales, sans oublier les règles nationales qui sont toujours valables, sont deux éléments clefs pour la réussite en missions internationales.

- Il faut aussi une bonne dose de courage pour courir les zones de conflits…

Effectivement, les bérets bleus ne sont pas armés. J’ai principalement effectué des missions sans armes au Moyen-Orient, en Egypte, dans la partie Syrie-Israël-Liban et entre les deux Corées. Ici, à New York, nous sommes bien entendu sans armes, même lorsque nous visitons ou «inspectons» les missions sur le terrain.

- Ne pas être armé, à l’heure où frappe l’Etat islamique en Syrie et en Irak, est-ce encore une protection?

Oui, je veux le croire: être sans armes est encore une protection. Lorsque j’étais responsable des observateurs militaires de l’ONU au Moyen-Orient entre 2011 et 2013, jamais les rebelles n’ont retenu plus de 5 heures des observateurs militaires désarmés. En revanche, les soldats ou troupes équipés d’armes défensives qui ont été enlevés l’ont été pour plusieurs jours.

- Avec la violence des affrontements des conflits modernes, la donne est en train de changer…

Oui. Ne pas être armé reste un avantage mais la venue sur certains théâtres d’opérations d’acteurs très violents rend les choses plus difficiles. C’est pourquoi lors de missions à risques, des patrouilles armées assurent la sécurité des troupes non armées, principalement des observateurs militaires.

- Comme vous le dites, les observations sur les lignes de front sont parfois très dangereuses. Avez-vous déjà été blessé?

Je n’ai jamais été blessé mais durant mes voyages en Syrie, être pris entre deux feux était le danger le plus fréquent. Le respect des voitures blanches à sigle de l’ONU était une protection. Les tirs s’arrêtaient. Lors de discussions avec des groupes armés, l’explication de la mission et la mise en évidence de l’aide pour la population ont toujours été le sésame qui ouvrait les barrages routiers. Malheureusement, le respect pour l’ONU et d’autres organisations officielles a tendance à diminuer.

- Dans quels pays avez-vous exercé des missions de la paix?

J’ai travaillé durant les 15 dernières années dans plusieurs missions à la KFOR au Kosovo, à l’UNTSO en Syrie, au Liban, en Israël-Jordanie et Egypte ainsi qu’à la NNSC entre les deux Corées, à Panmunjom, ville frontière entre les deux pays.

- C’est ce qui s’appelle voir du pays! Mais votre tâche est ingrate parfois. Permet-elle vraiment le maintien de la paix?

Je vous réponds par une anecdote vécue en mission sur le plateau du Golan, entre la partie occupée par Israël et celle sous contrôle de la Syrie. Lors de la relocalisation sous pression des rebelles d’une partie des troupes de la mission onusienne (UNDOF), le Conseil de sécurité avait convoqué une réunion d’urgence pour faire le point. J’étais prêt avec une carte présentant exactement la situation et les mouvements sur le terrain. J’avais aussi les commentaires nécessaires pour l’explication des faits au Conseil de sécurité. Ces informations ont été essentielles à la prise de décision.

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Repères

Accidents

> 1993 accident de la circulation: 1 blessée (infirmière) au sein de la MINURSO au Sahara occidental.

> Janvier 2001 grave accident de travail: 1 membre de la SWISSC0Y au Kosovo.

> Septembre 2004 grave accident de travail. Deux officiers de l’ISAF en Afghanistan ont subi un léger traumatisme auditif lors d’une attaque de missiles sur le camp des forces terrestres allemandes à Kunduz.

> 22 juin 2007 accident de la circulation avec un piranha: 5 blessés au sein de la SWISSCOY au Kosovo.

> 7 mars 2015 blessure par balle: 2 Suisses sont victimes de coups de feu durant leur temps libre lors d’une attaque à Bamako, capitale du Mali. Ils étaient engagés comme experts.

Décès

> 1954 accident de baignade en mer pendant le temps libre: 1 mort (soldat) en Corée.

> 1960 suicide: 1 mort (caporal) à la NSSC en Corée.

> 1992 accident de la circulation: 1 mort (infirmière) au sein de la MINURSO au Sahara occidental.

> 1993 accident de la circulation: 1 mort (pilote) au sein de la MINURSO au Sahara occidental.

> 8 octobre 2001 chute d’hélicoptère lors d’un vol de patrouille: 1 mort (observateur militaire) au sein de l’UNOMIG en Géorgie.

> 22 Juin 2007 accident de la circulation: 1 mort (conducteur char Piranha) au sein de la SWISSCOY au Kosovo.

> 5 novembre 2007 suicide: 1 mort (premier-lieutenant) au sein du contingent SWISSCOY au Kosovo.

SWISSINT/PAS

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«Maintenir la paix dans la guerre du papier…»

- Après toutes ces zones de conflits, New York vous apparaît sans doute fort calme?

Patrick Gauchat: La ville est électrique et au quartier général de l’ONU nous essayons souvent de maintenir la paix dans la guerre du… papier! Je n’ai pas vu le temps passer. D’une durée de deux ans, il faut mentionner que mon engagement actuel est parsemé de visites assez fréquentes sur le terrain pour les missions de maintien de la paix dont nous avons la responsabilité.

- De grandes responsabilités reposent sur vos épaules. Quelle est votre mission de béret bleu au quartier général de New York?

Concernant les missions de la paix de l’ONU au Moyen-Orient et en Asie, je représente la partie militaire dans le groupe opérationnel intégré qui traite de multiples aspects des missions, à savoir politique, militaire, police, logistique ou encore des droits de l’homme. Ce groupe envoie des messages ou directives aux missions. Il rend compte du travail de ces dernières par la rédaction de rapports transmis au Conseil de sécurité.

- Combien de soldats et officiers suisses travaillent avec vous au quartier général de l’ONU?

Je suis le seul militaire suisse. En tout, il y a 104 officiers sélectionnés par l’ONU provenant de 45 pays pour œuvrer au quartier général de New York. Nous portons l’uniforme national avec l’insigne de l’ONU et le béret bleu pour les cérémonies officielles ou pour les visites sur le terrain. Les autres jours, nous sommes en complet cravate comme tous les employés de l’ONU!

- Allez-vous repartir à la fin de votre mandat actuel pour une zone de guerre?

Je pense qu’il est bon de faire des périodes en Suisse après une ou deux missions. Cela permet de garder ses racines, retrouver ceux qui nous sont chers, veiller sur sa famille, renouer des liens avec ses amis et sa culture, retrouver son métier d’origine. Travailler à l’étranger est cependant devenu pour moi une passion. Alors oui, je serai intéressé dans le futur à refaire une mission. Où? Cela est difficile à dire tant les crises se multiplient et tellement la nature des résolutions des conflits change au fil des ans.

Propos recueillis par PAS

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ONU: dernière station avant l'enfer

La mission première de l’ONU, à la fois utopique et réaliste, est d’assurer la paix et la sécurité dans le monde. Comment est né et s’est imposé cet étrange concept de «soldats de la paix»? Journaliste et réalisateur indépendant pour la télévision, Pierre-Olivier François a notamment réalisé en Corée «l’Impossible réunification» (2013), «Adieu camarades» (2012) et «Alzheimer, la course contre la montre» (2011). En 1999-2000, il a travaillé comme journaliste au siège des Nations Unies à New York. A voir dimanche sur RTS 2.

Histoire vivante sur La Première, du lundi au vendredi de 20 à 21 h et sur RTS 2 dimanche 21 h 00 Lundi 23 h 35.

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