La Liberté

Le Hezbollah, cet «islam de résistance»

Liban • Engagé en Syrie contre les djihadistes sunnites, tout en poursuivant la lutte contre Israël, le parti chiite semble trahir des visées expansionnistes. Son objectif n’est que de sécuriser son fief libanais, assure une politologue.

Propos recueillis par Pascal Fleury

Publié le 13.02.2015

Temps de lecture estimé : 11 minutes

Acteur de la stabilité du Liban ou dangereux mouvement aux visées expansionnistes, le Hezbollah? Le parti chiite libanais, qui soutient le régime syrien de Bachar al-Assad au travers de sa puissante branche armée - mise sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne -, suscite bien des interrogations. Les explications de la politologue franco-libanaise Aurélie Daher, auteure de l’ouvrage «Le Hezbollah - Mobilisation et pouvoir»(Ed. Presses Universitaires de France, 2014), spécialiste de la politique libanaise, de l’alliance syro-iranienne et du chiisme politique, à Washington.

- Malgré plus de trente ans d’existence, le Hezbollah reste difficile à appréhender. Comment le comprendre?

Aurélie Daher: Pour comprendre le Hezbollah, il faut remonter à ses racines: la Résistance islamique au Liban (RIL). Cette organisation armée a été créée en juin 1982, en réaction à la seconde grande invasion israélienne au Liban. C’est elle qui a fondé le Hezbollah, quelques mois plus tard, comme un appendice civil, avec deux missions principales: mobiliser les jeunes aspirants chiites au combat et incarner un réseau d’institutions sociales, politiques et médiatiques chargé de défendre ses intérêts dans la sphère publique, puis plus tard au sein des institutions de l’Etat. Le Hezbollah n’est donc pas militaire par définition, mais représente le bras social et politique d’une organisation militaire, la RIL.

Quel a été le rôle de l’Iran dans la création de ce mouvement?

Contrairement à une idée largement répandue, la création de la RIL, comme du Hezbollah, n’est pas d’inspiration iranienne. Les fondateurs sont Libanais. Ils ont eu l’idée de lutter contre l’occupation israélienne - qui durera au total 22 ans - sans que les Iraniens n’aient eu besoin de la leur souffler! Après avoir posé les principes de base, ils ont sollicité une aide iranienne, essentiellement «organisationnelle». Ce qu’ils attendaient du mentor iranien - qui en réalité n’était initialement que très peu enthousiaste à l’idée de s’embourber dans la tragédie libanaise et s’est réellement fait prier - était un «savoir-faire», pour réussir à mettre sur pied les premières structures.

- Suivent les années noires des attentats-suicides et des prises d’otages. Les visées du Hezbollah sont-elles toujours les mêmes?

Cette partie de l’histoire du Hezbollah est incroyablement complexe. Les études faites sur les prises d’otages ont montré par exemple que si les instigateurs des enlèvements étaient le plus souvent chiites, une implication du Hezbollah était loin d’être systématique et de nombreux enlèvements ont été essentiellement le résultat de pêches à la rançon de la part d’acteurs isolés, ou le moyen de faire libérer des membres de la famille emprisonnés en Occident.

Quant aux détournements d’avions, le plus célèbre reste celui de la compagnie TWA en 1985. Il a été mené par Imad Mughniyyé, qui sera reconnu plus tard par le Hezbollah comme un membre de l’organisation mais qui, en réalité, obéissait bien plus directement aux autorités iraniennes qu’à la direction du Hezbollah. Il faut ensuite replacer ces événements dans le cadre du bras de fer américano-iranien qui a suivi la Révolution iranienne, et du désaccord franco-iranien autour d’Eurodif (société spécialisée dans l’enrichissement de l’uranium, ndlr), Paris s’entêtant à l’époque à refuser de rembourser un investissement réalisé par Téhéran au temps du chah.

- Le Hezbollah, c’est littéralement le «parti de Dieu». Dans votre étude, vous qualifiez son engagement d'«islam de résistance»…

Si le Hezbollah est une organisation islamique, il n’a pas montré jusqu’à présent qu’il était «islamiste». En d’autres termes, c’est une organisation dont l’univers de sens et l’identité portent une dimension religieuse - un peu comme un parti chrétien-démocrate - mais qui dans son discours comme dans ses actes semble rester très loin de chercher à imposer un quelconque régime islamique au Liban. L’islam du Hezbollah est avant tout, et en tout, orienté vers une justification de la résistance contre l’occupation israélienne - et depuis 2006 contre une attaque israélienne de grande envergure contre le Liban. C’est donc un «islam de résistance».

- Risque-t-on la création d’un «Etat islamique hezbollah» au Liban?

La probabilité d’une émergence d’un «Etat islamique hezbollah» est quasi nulle. Le Hezbollah reconnaît lui-même que dans un pays multiconfessionnel comme le Liban, cette éventualité est selon toute vraisemblance impossible. Le parti insiste d’ailleurs pour qu’un éventuel passage à un régime islamique se fasse de manière démocratique et légaliste. Or, ni le nombre des sièges autorisés au parlement pour la communauté chiite, ni un référendum ne permettraient d’y arriver.

- Pourtant, la branche militaire du Hezbollah est très puissante aujourd’hui. On dit qu’elle est mieux équipée que l’armée libanaise…

Effectivement, la Résistance islamique au Liban (RIL) est mieux équipée - et surtout mieux formée et mieux entraînée - que l’armée libanaise, ce qui n’est malheureusement pas très difficile lorsqu’on regarde l’état de l’armée nationale. Son financement est essentiellement libanais, avec un armement en partie iranien et syrien. Son rôle est de défendre le territoire libanais contre la capacité de nuisance israélienne. On l’a vu durant les années de résistance (1982-2000) comme à l’été 2006, dans le cadre de la grande offensive israélienne contre le Liban.

Depuis 2013, toutefois, une partie de ses effectifs se bat aussi en Syrie - principalement dans une portion restreinte de la frontière libano-syrienne - aux côtés des forces régulières de Bachar al-Assad. Son engagement vise moins à sauver le régime syrien qu’à sécuriser ses propres territoires libanais limitrophes des zones de combat (Békaa-Nord essentiellement) et à éloigner la menace des djihadistes sunnites.

- Justement, son principal ennemi semble être désormais davantage les sunnites qu’Israël. N’y a-t-il pas là une volonté d’asseoir la domination des ayatollahs chiites sur le monde musulman?

Il faut voir qui a déclaré la guerre à qui… La RIL n’avait pas encore mis les pieds en Syrie que les groupes radicaux sunnites de l’opposition syrienne menaçaient le Hezbollah des «feux de l’enfer». Les réseaux wahhabites (saoudiens), dont s’inspirent les djihadistes en Syrie, ont toujours estimé que les chiites étaient des mécréants qui méritaient de finir en enfer! Si la RIL combat en Syrie, ce n’est pas pour s’assurer une domination régionale, mais bien pour éloigner les sunnites radicaux de ses frontières.

- Que va-t-il se passer pour le Hezbollah si le régime de Bachar al-Assad tombe?

L’implication de la Résistance islamique au Liban (RIL) en Syrie étant très relative, la chute d’Assad ne signifiera en aucun cas celle du Hezbollah. Son pouvoir et sa force reposent sur des leviers libanais bien plus solides que celui de ses seules alliances régionales. Il aura éventuellement à y laisser quelques plumes, mais rien d’insurmontable. Tout dépendra en outre des dispositions de l’éventuel prochain régime syrien à l’égard de Téhéran.

> Voir aussi le documentaire «Liban, de fracture en fracture», dimanche sur RTS 2.

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Alliances chrétiennes

La minorité chrétienne (33%) au Liban est aujourd’hui prise entre sunnites et chiites. Selon la politologue Aurélie Daher, elle n’est cependant pas menacée à l’heure actuelle. «La seule source de nuisance qui pourrait potentiellement leur causer des problèmes reste l’Etat islamique et ses affiliés au Liban. Mais ceux-ci semblent pour l’instant plus préoccupés par leur combat contre les chiites», souligne-t-elle. Les chrétiens du Liban sont depuis 2005 politiquement embarqués dans deux types d’alliances.

La première est représentée par les Forces libanaises de Samir Geagea et est alliée avec les sunnites, au cœur de la coalition du 14-Mars. La seconde, représentée par Michel Aoun, est alliée avec les chiites, notamment le Hezbollah. «A l’aune des événements en Syrie, et de la tentation d’un nombre non négligeable de sunnites libanais de soutenir les radicaux proches de l’Etat islamique, Michel Aoun se trouve en position de force», note la chercheuse. En automne 2014, le patriarche maronite lui-même déclarait que «sans le Hezbollah, l’Etat islamique aurait déjà investi» les principales villes chrétiennes du Liban. 

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Financement: un impôt religieux chiite

Le Hezbollah dispose non seulement d’un bras armé puissant, au travers de l’organisation Résistance islamique au Liban (RIL), il gère aussi une quinzaine d’associations caritatives et sociales, qui offrent des services scolaires et hospitaliers de qualité - et à bas prix - à l’ensemble des Libanais, quelle que soit leur confession. Le parti de Dieu finance en outre la reconstruction des bâtiments endommagés dans les attaques israéliennes. Mais d’où viennent tous ces millions? L’avis de la politologue Aurélie Daher.

- Les besoins financiers du Hezbollah sont très importants. Où le parti trouve-t-il ses fonds?

Aurélie Daher: Depuis les années de diète imposées par la distanciation prise par le régime iranien sous les mandats des présidents Rafsandjani (1989-1997) et Khatami (1997-2005), le Hezbollah a largement appris l’autofinancement. Ses sources sont essentiellement libanaises: communauté de bienfaiteurs, revenus réalisés sur les scolarités des écoles gérées par le parti, revenus de ses hôpitaux, etc. Puis il y a les revenus du «khums», un impôt religieux typiquement chiite que les fidèles reversent à l’ayatollah de leur choix. Les chiites libanais reversent 20% de leur salaire net ou de leurs économies annuelles aux représentants de Khamenei au Liban, à savoir Hassan Nasrallah et Mohammad Yazbeck, tous deux membres de l’appareil de décision du Hezbollah. A noter que le parti n’a en cela aucune exclusivité: tous les partis libanais disposent de leurs propres réseaux de contrôle social et de charité publique, qui servent le plus souvent à créer de solides réseaux clientélistes aux visées clairement politiques.

- Le trafic de drogue et le racket sont aussi évoqués comme sources de financement. Le Liban est connu comme un centre de production de haschich. Et le Hezbollah a été montré du doigt par des agences américaines…

Ces allégations émanent surtout de rapports de services de renseignement américains. Elles méritent d’être traités avec prudence. Certaines observations de «réseaux de drogue du Hezbollah» se sont avérées être des collectes de «khums», mal comprises par lesdits services… Quant aux cas de racket, je n’en ai jamais relevés malgré mes longues années d’observation du parti sur le terrain. 

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