La Liberté

La compassion au pouvoir

Valeurs • Des décideurs de la politique et de l’économie se sont réunis à Reykjavik pour le Forum «Esprit d’humanité». Ils militent pour que l’éthique gouverne le monde.

Près de 230 décideurs de l’économie, de la politique et de la religion se sont réunis à Reykjavik à l’enseigne du «Forum d’humanité». © Catherine Erard
Près de 230 décideurs de l’économie, de la politique et de la religion se sont réunis à Reykjavik à l’enseigne du «Forum d’humanité». © Catherine Erard

Catherine Erard, RTS

Publié le 18.05.2014

Temps de lecture estimé : 7 minutes

de retour de Reykjavik

Une économie basée sur une croissance illimitée, des politiques à court terme et des relations internationales conçues en termes de puissance et de peur: les valeurs dominantes actuelles ont mené la planète au bord du gouffre. Pour éviter de faire le pas de trop, il est urgent de réintroduire des notions telles que la coopération, la solidarité et la compassion dans toutes les sphères de décisions.

C’est la conviction profonde des participants au récent «Forum d’humanité» qui s’est tenu en avril à Reykjavik. La réunion a rassemblé 230 décideurs de plus de 40 pays, issus de domaines aussi variés que l’économie, la politique, la spiritualité ou l’éducation. L’urgence de la crise à laquelle la planète est confrontée leur a d’emblée été rappelée par le président islandais, Olafur Ragnar Grimsson, dans son discours d’ouverture: «La fonte rapide de la banquise arctique est la première cause de graves désastres climatiques dans le monde. La glace, qui n’a ni agenda politique, ni idéologie, est le messager le plus important de notre temps. Espérons que son message forcera l’humanité à se rassembler dans un esprit de solidarité.»

«Et vos enfants?»

Et cet esprit, à entendre divers orateurs, peut soulever des montagnes. L’ancien directeur général adjoint de l’Unicef, le Népalais Kul Gautam, a ainsi raconté comment il parvenait à convaincre des chefs d’Etat de financer des campagnes de vaccinations. Lorsque les statistiques et les rapports d’experts s’avéraient inutiles, Kul Gautam demandait au président si des enfants de sa famille étaient morts. Il lui expliquait alors comment le financement d’une campagne de vaccination pouvait éviter ces tragédies. Et souvent il emportait l’adhésion du chef d’Etat. Toucher l’humanité d’autrui est pour Kul Gautam la clé indispensable à la réussite de projets de développement.

La recette peut s’appliquer aussi au domaine politique. Matthias Strolz a fondé un nouveau parti en Autriche, NEOS, qui est entré au parlement en 2013 avec neuf députés. Dans son discours d’investiture, Mathias Strolz a commencé par relever les qualités de ses concurrents politiques. Une façon de sortir d’une culture du dénigrement constant de l’adversaire. Un des projets phares de NEOS est de baser la réforme des retraites sur la notion de justice générationnelle.

L’Anglaise Scilla Elworthy est pour sa part à la tête de l’organisation non gouvernementale (ONG) Peace Direct. Selon elle, l’échec des négociations pour la paix en Syrie s’explique en partie par l’absence de femmes à la table de discussions. «Lorsque les personnes qui sont le plus affectées par les conflits sont représentées durant les négociations de paix, l’issue est différente», affirme-t-elle.

A plus large échelle

Scilla Elworthy estime que les différents modèles de fonctionnement basés sur des valeurs humaines fondamentales ont démontré leur efficacité dans tous les domaines de la société. «Nous ne sommes plus dans une phase de test. Il faut à présent qu’ils soient mis en œuvre à une échelle plus large.»

Mais comment passer d’initiatives éparses à une plus large échelle? La question revient dans la bouche des nombreux intervenants, mais les réponses restent floues. Beaucoup évoquent l’importance de l’éducation des nouvelles générations. D’autres pensent que l’ampleur et les conséquences de la crise écologique, politique et économique finiront par devenir telles qu’elles provoqueront chez les humains un sursaut de conscience.

Pour l’Egyptienne Aliaa Rafea, la révolution qui a eu lieu dans son pays est un espoir pour le monde entier. Elle n’était ni attendue, ni préparée, ni menée par une idéologie, et elle était pacifique. Ce n’était, selon elle, pas uniquement un renversement de régime, mais un changement de niveau de conscience qui a fait tomber la prison de la peur. «Faisons de notre mieux pour faire évoluer les mentalités. Plus nous serons convaincus que le changement va venir, plus rapidement nous pourrons le faire advenir. Nous n’avons pas le choix.» I

> Liens: spirit of humanity forum, www.sohforum.org

> A écouter: «Les valeurs humaines: solution pour un monde en crise», une série diffusée sur les ondes de RTS Espace 2 dans l’émission «A vue d’esprit», du 9 au 13 juin. www.rts.ch/esprit

«L’humain a du bon en lui»

L’ambassadeur Ragnar Ängeby a été directeur du Secrétariat pour la prévention des conflits au Ministère des affaires étrangères suédois. Il est l’un des fondateurs du forum «Esprit d’humanité».

 

D’où vient votre intérêt pour les valeurs?

Ragnar Angeby: J’ai toujours cru que l’être humain avait du bon en lui. J’ai rencontré beaucoup de personnes actives dans divers milieux qui avaient des bons projets de développement, mais chacune restait dans son domaine.

Comment est née l’idée de ce forum?

Nous étions un groupe d’amis réunis à Oxford pour réfléchir à la paix. L’idée est alors venue de rassembler ces personnes issues de différents milieux et qui souhaitent que les valeurs fondamentales de l’humanité deviennent la référence de l’action humaine. Parfois, certains ont peur de parler de leurs propres valeurs, ils se sentent isolés. Si beaucoup de personnes faisaient leur «coming out» et partageaient leur intérêt pour ces valeurs et leurs expériences, ils gagneraient en confiance.

N’est-ce pas l’affaire des religions que de parler d’amour et de compassion?

Il est réducteur de dire que ces valeurs viennent des religions. Elles sont intrinsèques à l’être humain et ont été reprises par les religions et parfois dévoyées. Si l’on permet à chacun de développer ces valeurs, de les exprimer, ce sera au bénéfice de toute la communauté humaine.

Propos recueillis par CE

Les valeurs à l’école

Neil Hawkes est le fondateur d’un programme d’éducation basé sur le développement des valeurs. Aujourd’hui, 10% des écoles publiques de Grande-Bretagne appliquent ce programme ainsi que de nombreuses autres écoles à travers le monde.

En quoi votre programme consiste-t-il?

Neil Hawkes: Le corps enseignant choisit lui-même les valeurs qu’il souhaite mettre en avant. Certaines écoles ont choisi le respect, la liberté, la simplicité, l’humour, la coopération, etc. Chaque mois, une de ces valeurs est abordée à travers des échanges et une pédagogie adaptée à chaque tranche d’âge. La valeur est ensuite reprise dans les différents cours. Les enseignants sont la clé de voûte de ce programme. Ils doivent devenir des modèles de ces valeurs pour les élèves.

Vous prônez également des temps de méditation pour les élèves. De quoi s’agit-il?

J’ai constaté, comme directeur d’école, que le fait de rester assis en silence pour un temps de réflexion aidait les enfants à avoir davantage confiance en eux. Ils deviennent plus sensibles à ce qui se passe en eux et sont mieux à même de gérer leurs émotions. Ils sont plus réceptifs au cours qu’ils reçoivent et leurs résultats scolaires ainsi que leurs compétences relationnelles s’améliorent. Ces valeurs humaines positives les construisent et feront d’eux des citoyens capables d’agir pour le bien commun.

Propos recueillis par CE

Articles les plus lus
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11